Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XV (suite)

De 1758 à 1770, le duc de Choiseul* dirige la politique de la France. La Pompadour est morte en 1764, et le duc a été nommé secrétaire d’État aux Affaires étrangères, puis ministre de la Guerre et de la Marine. Il a à rétablir la position de la France dans le monde, et notamment contre l’Angleterre, qui, au traité de Paris (1763), lui a ravi l’Inde* et le Canada*. En 1766, Choiseul procède au rattachement de la Lorraine* et achète en 1768 la Corse* aux Génois. Il réorganise l’armée et la marine, et crée à Lorient un port militaire. Son attitude face aux privilégiés est moins heureuse. Les projets de réforme fiscale agitent de nouveau les parlementaires. Ceux de Rouen, en 1760, affirment qu’il est de l’essence de la loi d’être acceptée et que le droit d’accepter est le droit de la nation. « Ce droit subsiste encore malgré les efforts conjugués des passions intéressées à l’anéantir. Exercé pendant l’intervalle des états par ceux que la nation regarde comme dépositaires de la législation (c’est-à-dire les parlementaires), ce droit sacré est imperscriptible. » Pour mieux combattre l’absolutisme royal, les parlementaires font cause commune avec les philosophes et imposent à Louis XV la suppression de la Compagnie de Jésus, à l’occasion du procès La Valette (1764). Ils soutiennent la réforme municipale (édit d’août 1764) qui fixe la représentation de chaque ordre au sein des administrations des villes. Ils acceptent la politique de libéralisme économique poursuivie par le secrétaire d’État et physiocrate Henri Léonard Bertin (1720-1792).

Comme les économistes de cette école, celui-ci est persuadé que la principale richesse vient de la terre et qu’il faut aider les propriétaires à accroître la production par la fixation du juste prix. Celui-ci ne peut être obtenu que par la liberté du commerce, d’où, entre autres, les ordonnances de 1763 et de 1764 sur le commerce du blé. En même temps, il s’attache à assouplir la réglementation industrielle et à anéantir le monopole de la Compagnie des Indes (1769).

Mais, lorsque Bertin, devenu contrôleur général des Finances (1759), tente d’augmenter les impôts pesant sur tous, l’opposition parlementaire apparaît de nouveau. Elle se transforme en véritable révolte à l’occasion de l’affaire de Bretagne. En 1765, le duc d’Aiguillon (1720-1788), gouverneur de la province, est accusé par le parlement de Bretagne d’actes arbitraires. Le procureur Louis René de Caradeuc de La Chalotais (1701-1785) l’attaque dans un réquisitoire d’une rare violence. Le roi défend son représentant et fait emprisonner, puis exiler La Chalotais. Le parlement de Paris se saisit de l’affaire, décide non seulement de déchoir de ses privilèges le gouverneur, mais aussi de contrôler en cette circonstance les actes de l’administration royale. Le duc de Choiseul soutient les parlementaires. Louis XV, qui ne veut pas de guerre avec l’Angleterre et qui se méfie de la politique entreprise par son ministre dans la colonie anglaise d’Amérique, le renvoie. Les protégés de la du Barry le remplacent.

De 1770 à 1774, le « triumvirat » formé par le duc d’Aiguillon, le chancelier Maupeou (1714-1792) et l’abbé Terray (1715-1778) mène avec l’appui de Louis XV une politique de réaction contre les parlementaires et impose un plan de réformes. Les philosophes, tel Voltaire depuis les affaires Calas et Sirven, qui ont montré l’intolérance des milieux parlementaires, s’en détachent et les dénoncent auprès de l’opinion publique.

En 1771, le parlement de Paris refusant de rendre la justice tant que le roi ne sera pas revenu sur sa décision d’annuler les procédures entamées contre le due d’Aiguillon, Maupeou exile les récalcitrants et les remplace par six conseils supérieurs de justice sans aucune attribution politique. Les juges deviennent des fonctionnaires payés par l’État, et la justice, rapprochée des administrés, est presque gratuite. L’opposition des parlementaires étant désormais moins à craindre, l’abbé Terray agit dans le domaine financier. En novembre 1771, il fait du vingtième l’impôt universel sur le revenu voulu par Machault. Mais dans l’immédiat, il est contraint de recourir aux pires expédients : emprunts forcés, réduction de rentes et augmentation des impôts qui reposent presque entièrement sur les roturiers. Le roi participant aux affaires d’une société qui commerce sur les grains, le peuple l’accuse d’être un accapareur et un affameur. Quand, le 10 mai 1774, la maladie l’emporte, on l’enterre promptement, et, « à son passage, écrit la comtesse de Boufflers (1725 - v. 1800), des cris de dérision ont été entendus : on répétait « Taïaut ! taïaut ! » comme lorsqu’on voit un cerf et sur le ton ridicule dont il avait coutume de le prononcer [...], rien n’est plus inhumain que le Français indigné et, il faut en convenir, jamais il n’eut plus le sujet de l’être ».

À dresser le bilan du règne, les historiens se partagent. Les uns en font ressortir les aspects négatifs : c’est la ruine de l’œuvre de Dupleix* aux Indes et de Montcalm (1712-1759) au Canada, alors que l’Angleterre, qui en bénéficie, développe partout ses colonies d’exploitation ; c’est, en Europe, l’accroissement inquiétant de la Prusse, tandis que la Pologne, mal secourue, subit un premier partage. C’est, à l’intérieur, l’incapacité où se trouve la royauté de résoudre le problème financier, cependant que le roi gaspille les deniers de son peuple avec ses courtisans et ses maîtresses. D’autres historiens, au contraire, sont sensibles aux tentatives de Louis XV pour tenir tête aux nobles : ainsi, à propos des affaires de Bretagne, en 1766, quand, au cours de la séance de la Flagellation, il rappelle le parlement à l’obéissance. Ils soulignent l’importance des mesures prises à partir de 1770 et parlent à ce sujet de « révolution royale » destinée à transformer l’État et la société. Le roi a « su et tenté le bien », il ne lui a manqué « sans doute que le lourd poing du despote pour réussir et être aimé » (R. Mousnier). Mais une monarchie pouvait-elle s’attaquer aux aristocrates et faire les réformes qui les condamnaient, alors même qu’elle était d’essence aristocratique ?

J.-P. B.