Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lorraine (suite)

En ces temps féodaux, la domination de l’aristocratie nobiliaire reste entière. La continuité a été assurée par les grandes familles des temps carolingiens. Comtes et seigneurs augmentent le nombre des lignages. Puis la chevalerie, née du service des grands, prend au xiie s. une place prépondérante. Quant à la paysannerie, elle représente le groupe prédominant : libres ou serfs, les hommes sont tous assujettis à des obligations très lourdes ou à un arbitraire seigneurial, que les franchises généreusement octroyées à l’ouest ou les rapports de droits mis au point à l’est ne parviennent guère à atténuer.

La Lotharingie

Du Jura à la mer du Nord, elle forme, après le règne de Lothaire II (855-869), le « royaume de Lothaire » (Lotharii regnum). Elle devient duché à partir de 928. Bruno Ier, archevêque de Cologne, duc de 953 à 965, la partage en deux ; le Sud, ou Haute-Lotharingie, deviendra la Lorraine ; le Nord, ou Basse-Lotharingie, sera le Lothier, dont l’histoire se confondra avec celle du Brabant*. Dès lors, il y a deux ducs de Lorraine (dux Lotharingiae).

Dans le duché de Haute-Lotharingie, des principautés se dégagent : les Trois-Évêchés (Metz, Toul, Verdun), les comtés de Bar, de Salm, de Sarrewerden, de Sarrebruck et de Luxembourg. Le duché, réduit à ses possessions méridionales, à quelques forteresses de la Moselle (Prény, Sierck) et à la région de Bitche, constitue désormais seul la « Lorraine ».

Dans la terminologie moderne, il importe de distinguer entre la Lorraine, province française groupant les quatre départements de la Meuse, de Meurthe-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges, et le duché de Lorraine, opposé au Barrois et aux Trois-Évêchés.


Le temps des duchés (1301-1552)

L’érection du comté de Bar en duché (1354) marque l’apogée de cette principauté, traditionnellement hostile au duché de Lorraine. L’un et l’autre ne cessent de grignoter les positions des trois évêques, dont le temporel a subi depuis le xiie s. de fortes amputations. Mais ils demeurent face à face. Et c’est à la suite d’une série d’alliances dynastiques, après la sanglante bataille de Bulgnéville (1431), que les duchés de Bar et de Lorraine et le comté de Vaudémont se trouvent réunis sous une seule autorité : René II est en 1480 le premier souverain unique de la Lorraine laïque.

Pendant ce temps, les empereurs marquent peu d’intérêt pour cette marche, à l’exception des souverains de la maison de Luxembourg. Le Grand Schisme* donne au clergé lorrain l’occasion de se solidariser avec la France, et, au xve s., Louis d’Orléans reprend la tradition d’intervention française. La jeune paysanne Jeanne* d’Arc sait bien quel est son roi quand des voix lui ordonnent de venir à son aide.

Au xve s., l’action de la Bourgogne* se fait également sentir. Le duc Charles* le Téméraire, désireux d’unir les Pays-Bas à son duché, occupe la capitale lorraine et envisage une action plus vaste. La bataille de Nancy (1477) et sa mort mettent fin à ce rêve. Mais l’indépendance lorraine ne peut durer, les rois de France craignant toujours une action impériale sur les bords de la Moselle. Après un dur affrontement autour de Metz en 1552 entre Charles* Quint et François de Guise, représentant du roi Henri II*, la France s’empare des Trois-Évêchés.

Cette fin du Moyen Âge n’a pas vu une amélioration du commerce lorrain. Les cités jusque-là les plus riches connaissent une décadence. Le vin, le fer se vendent moins bien. Des difficultés éclatent entre les lignages patriciens et les mal nantis. Des bourgades moins importantes commencent à rattraper leur retard. Elles s’entourent d’une enceinte, attirent les marchands, occupent des artisans, animent une petite industrie (Thionville, Saint-Mihiel, Nancy, Épinal, etc.). Le succès des foires de Saint-Nicolas-de-Port en est l’illustration. La campagne ne connaît pas une situation meilleure qu’avant. La guerre de Cent* Ans et les Grandes Compagnies ont touché la Lorraine. Bientôt, les duchés regroupés prennent le dessus, et, au début du xvie s., l’évolution tourne en leur faveur : les mines d’argent de Saint-Dié et du val de Lièpvre appartiennent aux ducs ; le Barrois et la vallée de la Meuse profitent des activités françaises.

La vie religieuse de la période médiévale a toujours été développée. Le catholicisme restera profondément ancré dans les âmes. La Réforme aura beaucoup de mal à se faire une place à Metz, chez les marchands, ou sur les bords de la Sarre. Le papisme demeurera de loin le plus fort et le mieux soutenu.


La Lorraine, pion sur l’échiquier européen (1552-1789)

Deux longs règnes pacifiques rendent la prospérité au duché, qui atteint enfin l’importance que les siècles médiévaux lui ont refusée. Antoine (duc de 1508 à 1544) et Charles III (duc de 1545 à 1608) font tout pour la croissance de leur autorité et le bien de la population. Pendant cette époque de construction et de rénovation, l’économie reprend son essor : verreries de Darney et de l’Argonne, papeteries des Vosges, salines de la Meurthe, de la Seille et de la Sarre, forges du Barrois et d’Hayange traduisent le nouvel élan. Le réseau des routes s’améliore ; la corvée refait les chemins, facilite les transactions. C’est l’apogée des foires de Saint-Nicolas-de-Port.

La sécurité du pays s’accroît avec l’institution d’une armée permanente. Nancy mérite son titre de capitale grâce à l’établissement de la Ville-Neuve, créée par Charles III. La vie culturelle, jusque-là retenue, progresse avec la naissance de l’université jésuite de Pont-à-Mousson (1572).

La dynastie ducale, qui s’attache à souligner son ascendance carolingienne (elle se réclame de Charlemagne et de Godefroi de Bouillon), s’unit aux grandes familles du royaume, notamment à celle des Bourbons et exprime des ambitions royales. Elle refuse d’admettre le droit de regard de l’Empire sur son destin. Elle prétend, sans doute aucun, avoir gagné son indépendance et sa liberté d’action entre ses deux puissants voisins, la France et l’Empire germanique. La suite des événements montre la vanité de ces calculs.