Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

Les tentatives de construction effective d’un calculus ratiocinator ont été effectuées pendant la période qui va de 1679 à 1690, l’une en 1679, une autre dans les années 1685-86, et une dernière en 1690. On y trouve un certain nombre d’éléments concrets qui auraient pu constituer les bases d’un traitement proprement moderne de la logique, notamment en ce qui concerne le calcul des classes. La limitation la plus sérieuse qui affecte la logique de Leibniz est probablement sa fidélité à la conception attributive de la proposition, qui, en dépit du fait qu’il connaissait et admirait les travaux de Jungius, l’empêche de développer une véritable logique des relations.

Malgré la relative prudence qu’il observe dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Leibniz a tendance à surestimer l’importance des principes de contradiction et d’identité et semble bien avoir été convaincu à certains moments que toutes les vérités nécessaires (« vérités de raison ») devaient pouvoir être démontrées à partir de ces deux principes. Kant adopte une position fondamentalement analogue à celle de Leibniz lorsqu’il fait du principe de contradiction le principe suprême de tous les jugements analytiques.

Parmi les successeurs de Leibniz, il faut faire une place à Jean Henri Lambert (1728-1777), qui reprend la tentative de constitution d’un calcul logique et fournit notamment quelques éléments de logique des relations, et à L. Euler* (1707-1783), auteur d’une méthode de représentation figurée des déductions syllogistiques inspirée de Leibniz et connue habituellement sous le nom de méthode des diagrammes d’Euler.

Le père Giovanni Gerolamo Saccheri (1667-1733) est connu surtout par sa tentative infructueuse de démonstration du postulat euclidien des parallèles, qui suggérera, un siècle plus tard, la constitution des géométries non euclidiennes. Mais il avait publié auparavant une Logica demonstrativa dans laquelle il essayait d’appliquer à la logique une méthode strictement « géométrique ». Deux points importants y sont en particulier soulignés : (1) la consequentia mirabilis (ou « loi de Clavius ») et la méthode correspondante de démonstration d’une proposition qui consiste à établir qu’elle est une conséquence de sa propre négation ; (2) la distinction entre les définitions nominales et les définitions réelles, sur laquelle avaient déjà insisté Pascal et la Logique de Port-Royal.

À l’exception de Leibniz (et plus tard de Husserl), les grands philosophes modernes n’ont guère porté d’intérêt à la logique formelle. Kant* est connu pour avoir considéré qu’elle n’avait fait ni ne pouvait faire aucun progrès réel depuis Aristote. Sa distinction entre propositions analytiques et propositions synthétiques est importante du point de vue du vocabulaire qui sera utilisé par la suite ; mais, telle qu’elle est présentée chez lui, elle est notoirement insuffisante et imprécise. Hegel* a été un adversaire particulièrement virulent du traitement formel de la logique (en particulier du projet leibnizien de langage symbolique universel) et des tentatives de mécanisation de l’inférence logique. Sa « logique » métaphysique est habituellement ignorée ou traitée de façon particulièrement sévère par les historiens de la logique. Stuart Mill*, auteur de A System of Logic, Ratiocinative and Inductive (Logique inductive et déductive, 1843), est connu surtout par la contribution qu’il a apportée à la logique inductive. Sa logique est d’inspiration antiformaliste et empiriste. Du point de vue de la terminologie, on lui doit l’introduction de la distinction entre la connotation et la dénotation d’un terme.


Bolzano

Bernhard Bolzano (1781-1848) est notamment l’auteur d’une monumentale Wissenschaftslehre (1837) et de Paradoxien des Unendlichen (1851). La Wissenschaftslehre contient un certain nombre de contributions originales et très modernes à la logique proprement dite. Mais il a fallu attendre Husserl pour que l’importance de l’œuvre de Bolzano dans l’histoire de la logique soit signalée et reconnue. C’est certainement Bolzano qui a proposé pour la distinction entre propositions analytiques et propositions synthétiques la première définition digne d’intérêt. On notera que la caractérisation bolzanienne de la notion d’analyticité s’applique non pas à des phrases déclaratives, en tant qu’entités linguistiques, mais plutôt aux contenus de signification propositionnels (Sätze an sich) qu’elles expriment. Elle est donc beaucoup moins précise et beaucoup plus problématique qu’elle ne peut le paraître lorsqu’elle est transcrite dans la terminologie moderne. Bolzano part d’une proposition vraie ou fausse et considère ce qu’il advient de sa valeur de vérité lorsqu’on effectue toutes les substitutions possibles de termes appropriés à l’un ou l’autre de ses termes. Si toutes les « variantes » ainsi obtenues sont vraies, la proposition sera dite universellement valide par rapport à celui ou ceux de ses constituants pour lesquels la substitution a été envisagée. Si elles sont toutes fausses, elle sera dite universellement contravalide par rapport au constituant ou aux constituants en question. Le degré de validité d’une proposition relativement à un des constituants est défini comme le rapport du nombre des variantes vraies au nombre des variantes fausses (cette notion est importante pour la théorie de la probabilité développée par Bolzano). Si une proposition est soit universellement valide soit universellement contravalide par rapport à certains constituants, elle est dite « analytique » par rapport à eux ; sinon, elle est dite « synthétique ». Cette définition est évidemment beaucoup trop large pour pouvoir rendre compte des notions de vérité et de fausseté logiques au sens étroit. Bolzano considère donc que l’on pourrait appeler logiquement analytique ou analytique au sens étroit une proposition qui est analytique par rapport à tous ses constituants extra-logiques (pour parler en termes modernes). Cela revient à peu de chose près à dire qu’une proposition est logiquement vraie ou fausse si elle est vraie ou fausse d’une manière telle que seuls des mots du vocabulaire logique, à l’exclusion de tout terme descriptif, y ont des occurrences « essentielles », selon une définition célèbre proposée en 1940 par Quine. Une des particularités du langage de Bolzano est qu’il désigne par analyticité aussi bien un certain type de fausseté qu’un certain type de vérité, cela dans le dessein d’obtenir une répartition exhaustive des propositions en analytiques et synthétiques, à la différence de ce qui se passe chez Kant. C’est cependant l’usage kantien qui a été adopté le plus souvent par la suite. Carnap a suggéré, pour sa part, d’appeler L-déterminées (logiquement déterminées) les propositions qui sont logiquement vraies (analytiques) ou logiquement fausses (contradictoires). Une autre notion très importante analysée par la Wissenschaftslehre est celle de dérivabilité (Ableitbarkeit), dont Bolzano donne une définition finalement assez proche de celle de notre concept sémantique de conséquence logique.