Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

linguistique (suite)

La linguistique structurale

Le mouvement structuraliste qui a caractérisé le développement de la linguistique au cours de la première moitié du xxe s. se place aujourd’hui dans une perspective historique, en raison des tendances nouvelles qui ont remis en cause la théorie du langage qu’il impliquait. Malgré certaines divergences — soit théoriques, soit méthodologiques —, les écoles structuralistes s’inscrivent dans le même courant de recherche en privilégiant la perspective synchronique et en se proposant de décrire le fonctionnement de la langue par l’étude des unités des différents niveaux linguistiques et des règles de combinaison entre ces unités.

On s’accorde généralement à reconnaître dans le linguiste suisse F. de Saussure le fondateur du structuralisme. Son influence s’exerça essentiellement sur des auditeurs (par exemple A. Meillet en France), d’abord à Paris, où il enseigna la grammaire comparée pendant une dizaine d’années, puis à Genève (1891-1912), où il commença ses cours de linguistique générale en 1906. Ces derniers, réunis par ses élèves (Ch. Bally*, Charles Albert Séchehaye [1870-1946]), furent publiés trois ans après sa mort, en 1916, sous le titre de Cours de linguistique générale. Ils contiennent l’ensemble des principes fondamentaux qui vont caractériser le développement de la linguistique jusqu’à la fin des années 1950. Cependant, en dehors du petit groupe de disciples qui ont reçu l’enseignement direct de F. de Saussure, son influence reste longtemps imprécise et diffuse. Ce n’est qu’à la fin des années 1920 qu’un certain nombre de linguistes, en Europe, se réclament explicitement de lui (par exemple N. Troubetskoï à Prague) ; mais il est presque inconnu aux États-Unis, où des thèses linguistiques s’élaborent, de façon indépendante, sur des principes similaires.


L’école américaine

Une tradition comparatiste existait aux États-Unis, associée aux écoles européennes, mais la création d’une linguistique structuraliste provient moins d’une remise en cause théorique des fondements du comparatisme que des problèmes pratiques que posaient les langues amérindiennes (plus d’un millier) parlées par les tribus indigènes d’Amérique du Nord. Les langues amérindiennes sont non seulement fort différentes entre elles, mais encore totalement irréductibles aux catégories grammaticales indo-européennes : la tradition écrite étant en outre presque toujours inexistante, la description de la langue considérée ne peut être réalisée qu’à partir d’un matériel parlé. Cet ensemble de conditions particulières a donné un aspect original aux recherches linguistiques américaines, qui resteront étroitement liées aux travaux des anthropologues sur ces mêmes sociétés : la linguistique dépendra du développement de l’ethnologie, de la sociologie et de la psychologie. Un des premiers grands spécialistes américains des langues amérindiennes, Franz Boas*, entreprend en 1911 la publication d’ouvrages concernant la description de ces langues ; l’introduction de son Manuel des langues amérindiennes marque une étape importante dans la définition de la méthodologie de l’enquête et de l’analyse de ces langues. L’un des élèves de F. Boas, Edward Sapir*, à la fois ethnologue et linguiste, en arrive à une réflexion théorique proche de celle de F. de Saussure. Fondé sur l’expérience d’un très grand nombre de langues, son ouvrage Language (1921) marque en quelque sorte le point de départ de la linguistique structurale américaine. En 1924 se crée la Société de linguistique américaine, et, en 1925, paraissent les premiers numéros de la revue Language, sorte d’ « organe central » des discussions linguistiques dont un des principaux fondateurs et collaborateurs a été Leonard Bloomfield*. Celui-ci édifie une stricte méthodologie de l’analyse linguistique, fondée sur les principes psychologiques du béhaviorisme, et il l’expose avec une rigueur et une cohérence remarquables dans son livre Language, publié en 1933. Les néo-bloomfieldiens de l’école de Yale (Zellig S. Harris, M. Swadesh, Bernard Bloch, George L. Trager, Robert Anderson Hall), plus connus sous le nom d’école distributionnelle, ont dominé pendant une vingtaine d’années l’activité linguistique américaine. Ils ont appliqué systématiquement les méthodes proposées par L. Bloomfield, et leurs résultats, abondamment discutés, donnèrent lieu à des développements théoriques qui trouvent leur achèvement, mais aussi leurs limites, en 1951, dans Methods in Structural Linguistics, de Z. S. Harris.


L’école de Prague

Le Cercle de Prague se constitue en 1926, à l’initiative de Vilém Mathesius (1882-1945), et avec la participation de trois linguistes russes : S. Kartsevski, N. Troubetskoï* et R. Jakobson*. Les « thèses de Prague », présentées au premier Congrès international de linguistique, à La Haye, en 1928, sont d’abord un programme de travail qui envisage les questions fondamentales de la linguistique et les problèmes relevant de la langue littéraire et poétique ; c’est aussi une base pour le développement d’une discipline essentielle : la phonologie*. Plus étroitement liés à la pensée saussurienne que l’école américaine (l’un d’eux, S. Kartsevski [1884-1953], avait été l’élève de F. de Saussure à Genève), ils reconnaissent également comme un de leurs précurseurs le linguiste polonais Jan Baudouin de Courtenay (1845-1929).

La personnalité de Nikolaï Troubetskoï domine à ses débuts les recherches du « Cercle ». Le volume II des « travaux du Cercle linguistique de Prague », publié en 1939 et dû à N. Troubetskoï, Principes de phonologie, fonde la linguistique « fonctionnelle ». Cette forme du structuralisme sera longtemps la seule connue en France, comme dans l’ensemble de l’Europe. Ainsi, André Martinet, très tôt collaborateur des travaux du Cercle de Prague, représente en France une des tendances de la linguistique fonctionnelle.

Émile Benveniste, à travers une œuvre originale, en particulier par ses liens avec la pensée d’Antoine Meillet* et la tradition comparatiste renouvelée par l’apport saussurien, est également un de ceux qui ont le plus contribué à introduire les thèses de Prague en France.