Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Liban (suite)

L’œuvre politique de l’émir est très importante ; en effet, il est le premier à avoir unifié le Liban, à en avoir fait une vivante réalité en rassemblant les petites féodalités et en les fondant dans un véritable État. Le premier aussi, il prit soin d’effacer toute inégalité entre chrétiens et musulmans. Cet hétérodoxe musulman fut un libéral qui construisit des couvents et eut un ministre chrétien durant tout son règne. À l’unité territoriale et à celle des communautés, qui demeurent ses plus grands titres de gloire, il faut ajouter une politique culturelle remarquable : construction de palais et de routes, immenses travaux d’irrigation, création, en 1610, à Mar Kozhaya, de la première imprimerie d’Orient, etc.

Le prestige de Fakhr al-Dīn était tel que, quelques années après sa mort, les Ottomans durent se résoudre à confier de nouveau le gouvernement du Liban à la famille des Ma‘n. Le neveu et le petit-neveu de l’émir, Malḥam et Aḥmad, régnèrent successivement en s’inspirant de ses principes. En 1697, à la mort de ce dernier sans postérité mâle, le pouvoir passa à la famille des Chihāb, proche de celle des Ma‘n. Bachīr Ier Chihāb, puis, en 1706, Ḥaydar et ses successeurs Malḥam et ses frères, puis Yūsuf continuèrent la tradition des Ma‘n.

Leurs armées, qui ne comportaient plus que des Libanais, constituaient la base de leur puissance. Durant tout le xviiie s., les émirs guerroyèrent pour imposer leur autorité aux autres chefs libanais. Yūsuf se convertit au christianisme et fut le premier émir chrétien, mais sa politique fiscale souleva contre lui ses sujets, qui le chassèrent ; il fut remplacé par son petit-cousin, Chihāb « le Grand » (1767-1851), qui allait régner plus d’un demi-siècle sur le Liban (1788-1840).

Bachīr II eut l’habileté, lorsque le général Bonaparte songea, en 1798, à remonter d’Égypte vers la Syrie, de ne pas s’engager aux côtés des Français ni lors de la victoire de Bonaparte au mont Thabor ni lors de son échec devant Saint-Jean-d’Acre. Les Ottomans conservèrent leurs faveurs à Bachīr, qui continua sa politique de bonne entente avec la Porte. L’émir devint bientôt l’homme indispensable à la Turquie, chargé de faire régner l’ordre dans le Levant. Grâce à une armée solide, il mit à la raison les potentats turcs révoltés contre le Sultan d’Istanbul, mais sa puissance, comme jadis celle de Fakhr al-Dīn II, porta bientôt ombrage aux Ottomans, qui l’exilèrent.

Réfugié en Égypte, Bachīr II dut à l’amitié du vice-roi Méhémet-Ali de retrouver ses États. Mais ce dernier, s’étant rendu indépendant de la Turquie, reprit à son compte les anciennes ambitions territoriales de l’Égypte sur la Syrie et, en 1831, de connivence avec son ami Bachīr, il envahit les possessions turques du Levant. Etabli au Liban, il y agit en véritable despote. En voulant obliger les habitants à combattre comme mercenaires dans ses armées, il souleva le pays contre lui et déconsidéra l’émir Bachīr.

La révolte du Liban fut suscitée par des émissaires anglais ; en 1840, en effet, la situation dans le Levant avait eu des répercussions internationales, l’Angleterre ne consentant pas à ce que Méhémet-Ali, fidèle allié de la France, renforçât sa puissance dans cette partie de la Méditerranée. D’autre part, la dure occupation égyptienne provoqua un sursaut unitaire et national. Le 8 juin 1840, les chefs des différentes communautés — maronites, grecs orthodoxes et catholiques, druzes, musulmans — se réunirent à Antélias (Antiliyās) et jurèrent de maintenir leur union contre l’envahisseur.

À la fin de l’année, l’intervention des Anglais avait chassé les troupes de Méhémet-Ali du Liban, et le vieux Bachīr II, compromis par son allié, avait abdiqué ; il devait mourir à Istanbul en 1851, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Malgré son échec final, il avait continué l’œuvre de Fakhr al-Dīn en imposant la tolérance entre les diverses communautés, en construisant aqueducs, routes et palais, et en maintenant une solide armée nationale.

Le sursaut de 1840 marque le début de la nation libanaise ; cette réalité, malgré les vicissitudes de la seconde moitié du xixe s., ne devait plus jamais se démentir par la suite.


Le long chemin vers l’indépendance (1840-1943)

Le successeur de Bachīr le Grand, Bachīr III, fut le dernier émir Chihāb à régner sur le Liban. Ayant abandonné la sage politique de tolérance et persécuté les druzes, il provoqua une révolte de ces derniers, qui attaquèrent les chrétiens maronites. Les Turcs profitèrent de ces troubles pour intervenir et instituer un partage administratif du pays destiné à détruire le nationalisme libanais, qui les inquiétait.

En 1860, de nouveaux massacres de chrétiens maronites par les druzes, encouragés par les autorités ottomanes et qui firent près de 20 000 victimes, provoquèrent une nouvelle intervention européenne dans le Levant. Les puissances chargèrent la France de rétablir l’ordre au Liban. En septembre, des troupes commandées par le général Beaufort d’Hautpoul (1804-1890), débarquées à Beyrouth, mirent fin aux massacres et obligèrent les Turcs à accorder en 1861 l’autonomie administrative au « Mont-Liban », qui fut confirmée en 1864 par un texte qui, soixante-quinze ans après la Révolution française, abolissait le système féodal au Liban. Même si le Liban était amputé de la plaine intérieure de la Bekaa (al-Biqā‘) et des grands ports de Beyrouth et de Saïda (Ṣaydā), la montagne libanaise, sagement administrée par les gouverneurs agréés par les Occidentaux, allait, durant un demi-siècle (1864-1914), maintenir intact l’idéal national libanais.

La Première Guerre mondiale devait délivrer le Liban du joug turc. En 1914, la Porte avait déclaré la guerre aux Alliés et dénoncé l’accord de 1864 sur l’autonomie du Liban. Durant la guerre, les Libanais souffrirent de la famine et des épidémies (un million de morts) ; enfin, en octobre 1918, l’armée anglaise du général Allenby (1861-1936) chassa définitivement les Turcs du Levant.

Le traité de Sèvres, signé en 1920 avec la Turquie, détachait de celle-ci le Liban et la Syrie, qui devaient rester sous l’autorité d’un mandataire jusqu’à ce qu’ils fussent en mesure de se gouverner seuls. La France, chargée du mandat, que la S. D. N. confirmera en 1922, dota le Liban d’un statut le 1er septembre 1920.