Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Liban (suite)

Les Occidentaux dans le Levant (xiie-xve s.)

L’établissement des Francs au Levant, qui dura plus de deux siècles, y eut peu de résultats. Les chrétiens hétérodoxes ne se rallièrent pas à l’Église catholique, et les habitants refusèrent la latinisation. Il faut sans doute attribuer cet insuccès au fait que les croisés se contentèrent d’occuper la plaine côtière et gouvernèrent l’intérieur grâce à de petits émirs locaux qui surent également ménager leurs anciens maîtres musulmans. Seuls les maronites orthodoxes coopérèrent étroitement avec les Francs, ce qui leur valut après le départ des croisés d’être persécutés par les Mamelouks d’Égypte, qui rétablirent l’autorité de l’islām sur le Liban à la fin du xiiie s.

Cependant, les croisades* n’en eurent pas moins une importance capitale pour l’histoire future du Liban. À l’époque des principautés franques des États latins* du Levant, des relations économiques et culturelles s’étaient établies entre l’Occident et cette région du Proche-Orient. Les croisades terminées, les échanges commerciaux demeurèrent ; ils connurent surtout à partir du xve s., par l’entremise de la dynastie des Lusignan, qui régnait à Chypre, un superbe renouveau.

Les Mamelouks, qui touchaient des droits importants sur les marchandises, favorisèrent ce trafic et permirent aux nations occidentales d’établir consulats, églises et entrepôts dans les ports côtiers. Vénitiens, Génois, Catalans, Français et chevaliers de Rhodes réapparurent dans ces régions comme commerçants et pèlerins. Des liens solides s’établirent ainsi entre les Européens et le Levant.


Formation du Liban moderne (xvie-xixe s.)

En 1453, la prise de Constantinople consacrait une puissance nouvelle, celle des Turcs Ottomans. Le Liban faisait partie de ces terres qui s’étendaient entre les possessions ottomanes de Turquie et celles des Mamelouks d’Égypte. Ces régions, disputées jadis entre les pharaons et les rois d’Assyrie, puis entre les souverains hellénistiques d’Antioche et d’Alexandrie, allaient également susciter la convoitise des Ottomans avant de voir un autre souverain égyptien, Méhémet-Ali, s’en emparer au xixe s.

Au début du xvie s., le Sultan Selim Ier de Constantinople envahissait le pays et, à la bataille de Dābiq en 1516, chassait les Mamelouks de la Syrie. Les Turcs allaient conserver le pays plus de quatre siècles. Ces événements tirent la fortune d’un émir druze de la famille des Ma‘n, Fakhr al-Dīn, qui eut la chance de prendre parti pour les vainqueurs. Les Ottomans firent de celui-ci un chef puissant, l’émir des druzes sous le nom de Fakhr al-Dīn Ier.

Au xvie s., le Liban était partagé en une multitude de petites féodalités batailleuses perpétuellement en lutte les unes contre les autres : chrétiens maronites dans le Nord, musulmans chī‘ites, druzes et sunnites dans le Sud. Ces querelles étaient encouragées par les Turcs, qui mettaient en pratique la devise « diviser pour régner ».

Un clan familial, pourtant, avait émergé, on l’a vu, parmi les nombreux potentats libanais, celui des Banū Ma‘n druzes ; un autre, très puissant et apparenté aux Ma‘n, celui des émirs Chihāb, était demeuré sunnite. Il devait revenir au petit-fils de Fakhr al-Dīn Ier, Fakhr al-Dīn II (v. 1572-1635), de fédérer et d’unir ces diverses communautés pour en faire le Liban moderne.

Cet émir, arrivé au pouvoir à l’âge de douze ans en 1585, n’en prit réellement possession qu’après 1590. Personnalité énergique, il se donna pour tâche de combattre les Ottomans, responsables de la mort de son père et de son grand-père. Pour mener cette œuvre à bien, il entreprit d’étendre son pouvoir aux dépens des autres chefs locaux ; à la tête de ses soldats druzes, des montagnards rudes et belliqueux, il guerroya contre eux et élargit considérablement son domaine.

En outre, il réussit habilement à neutraliser l’hostilité du sultan de Constantinople, qui était d’ailleurs paralysé par une guerre contre ses voisins hongrois et persans, en payant ponctuellement son tribut et en soudoyant les ministres de son suzerain ; de plus, il rechercha l’appui des Occidentaux, particulièrement du grand-duc Cosme II de Toscane (1609-1621), soucieux de supplanter les Vénitiens dans le commerce du Levant. Mais sa puissance s’était accrue dans de telles proportions que la Turquie prit peur : celle-ci chargea le pacha de Damas, le cruel Aḥmad Ḥāfiẓ, de s’opposer à l’émir et lui envoya une flotte importante pour soutenir ses troupes, considérées comme trop faibles.

En 1613, Ḥāfiẓ, renforcé par des chefs druzes qui avaient été vaincus jadis par Fakhr al-Dīn, ravagea le Liban. Pour arrêter les dévastations, l’émir se retira et laissa le pouvoir à son fils et à son frère. Il profita de son exil pour voyager en Italie et séjourner chez son allié Cosme II de Toscane. En 1618, le Sultan lui permit de reprendre le pouvoir, mesure imprudente, car aussitôt Fakhr al-Dīn II recommença ses conquêtes ; il défit à la bataille d’Anjar (‘Andjar) le pacha de Damas et triompha de celui de Tripoli. En 1634, il s’affronta à l’armée même du Sultan, qui revenait d’une campagne en Perse. Les Ottomans se décidèrent alors à le supprimer. Une armée turque supérieure en nombre vainquit celle de Fakhr al-Dīn dans une terrible bataille où périrent le frère de l’émir et son fils ‘Alī. Fakhr al-Dīn, conduit à Istanbul, y fut exécuté le 13 avril 1635.

Les victoires de Fakhr al-Dīn — qui sont devenues légendaires — s’expliquent par la composition de son armée. Celle-ci comprenait un fort contingent de troupes permanentes formées de mercenaires étrangers, véritables professionnels de la guerre (sans doute une quinzaine de milliers d’hommes), auxquels il faut ajouter l’armée féodale des vassaux druzes et maronites, regroupant environ 40 000 hommes. Les combats en terrain montagneux et connu, la série de forteresses qui servait de refuges contribuaient également à rendre invincible l’armée de Fakhr al-Dīn.