Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Léopold II (suite)

Autoritaire et jaloux de ses prérogatives royales, Léopold Ier* avait maintenu son successeur à l’écart du pouvoir. Encore à la veille de sa mort, il refusa de faciliter la première succession dynastique par l’instauration d’une régence en faveur de son fils. À l’autoritarisme de son père, le prince héritier opposait une indépendance d’esprit qui s’affirmait par un goût prononcé pour le monde des affaires et pour les voyages d’exploration. Sénateur de droit à sa majorité en 1853, il fit de la tribune du Sénat la plate-forme de ses idées d’expansion commerciale. Reçues avec indulgence, les « utopies » du prince ne furent pas prises au sérieux.


La défense nationale

Acceptant le régime parlementaire en vigueur, Léopold II, devenu roi en 1865, se maintint au-dessus de la lutte des partis, affectant même un certain mépris pour les querelles partisanes opposant libéraux et catholiques. Son intervention la plus spectaculaire fut une proposition infructueuse, faite lors de la révision constitutionnelle conduisant au suffrage universel, pour instaurer un droit de référendum d’initiative royale.

Défenseur de la neutralité armée, le roi reprit la politique de son père, s’opposant à l’électoralisme des partis politiques et à l’antimilitarisme de l’électorat. Les inquiétudes les plus vives lui vinrent de la France du second Empire, dont la mégalomanie était habilement flattée par Bismarck. Alerté au début du règne par les ambitions de Napoléon III et par la guerre franco-allemande de 1870, à la fin du règne par la tension internationale et par une mise en demeure brutale de l’empereur, il insista tout au long du règne sur la nécessité de renforcer la défense nationale, n’hésitant pas à prendre position à l’encontre de l’opinion publique. Son insistance aboutit à la construction d’une ligne de fortifications le long de la Meuse et au renforcement du réduit anversois. En 1909, l’instauration du service militaire personnel mit fin au système de tirage au sort avec faculté de remplacement.


L’entreprise coloniale


L’État indépendant du Congo

Guettant les possibilités d’expansion coloniale au-delà des mers, Léopold II suivait de près l’exploration de l’Afrique centrale. Dès 1876, il réunit à Bruxelles la Conférence internationale de géographie et se fit offrir la présidence d’une Association internationale africaine (A. I. A.). Le caractère scientifique et philanthropique de l’Association de même que son caractère international étaient destinés à rassurer les grandes puissances, mais recouvraient de secrètes ambitions coloniales. Stanley*, éconduit par la Grande-Bretagne, fut engagé par Léopold II en 1878 au nom d’un Comité d’études du Haut-Congo, nouvellement créé dans un but commercial et bientôt politique. La cession de centaines de droits de souveraineté fut obtenue des chefs indigènes, et quelques dizaines de postes furent établis. Entre-temps, Léopold II avait procédé à la liquidation du Comité d’études, remplacé par une Association internationale du Congo (1882), dont l’appellation équivoque et l’image de marque scientifique et philanthropique servaient de paravent à une entreprise privée financée intégralement par le souverain.

La politique du fait accompli pratiquée au Congo par Léopold II éveilla les ambitions coloniales des puissances européennes et posait la question du partage de l’Afrique centrale. Exploitant habilement la rivalité des grandes puissances, Léopold II s’assura successivement l’accord de la France, bénéficiant d’un droit de préemption, le consentement du Portugal, abandonné par la Grande-Bretagne, le soutien de l’Allemagne, rassurée par la liberté de commerce. Dès 1884, les États-Unis procédaient à la reconnaissance diplomatique de l’Association internationale du Congo. La conférence de Berlin (1884-85) consacrait la reconnaissance européenne d’un État indépendant du Congo, placé sous la souveraineté de Léopold II. Intervenant en coulisse, celui-ci obtenait une délimitation fort avantageuse.


L’héritage colonial

À partir de 1885, les expéditions se multiplièrent, destinées à assurer l’expansion territoriale au-delà du bassin du fleuve Congo. Faute de ressources fiscales, les investissements considérables nécessités par l’infrastructure économique, militaire et administrative engloutirent la fortune personne le du roi. En 1890, Léopold II arracha à la conférence antiesclavagiste de Bruxelles, en échange de la poursuite de la lutte contre les trafiquants d’esclaves, un assouplissement des dispositions interdisant la levée de droits d’entrée. La même année, le roi intéressa la Belgique à son entreprise en obtenant un prêt de l’État qui accordait à la Belgique, en contrepartie, un droit de regard sur la gestion congolaise et lui laissait le choix entre le remboursement ou la reprise du Congo au bout de dix ans. À cette occasion, Léopold II annonça son intention de léguer le Congo à la Belgique.

Les investissements royaux et les emprunts ne suffisaient pas à équilibrer le budget congolais. Une partie importante des capitaux fut, dès lors, obtenue par l’autofinancement, fondé sur un impôt en nature entraînant le travail forcé. Les épidémies, décimant la population indigène, empêchent d’estimer le coût humain de ce système de prélèvement. Les milieux philanthropiques s’émurent, soutenus financièrement par les affairistes exclus du trafic colonial. La publication en 1904 d’un Livre blanc anglais, couronnement d’une campagne de presse internationale, provoqua la nomination par le roi d’une commission d’enquête internationale qui décida la Belgique à prendre le Congo.

En 1885, une première fois, la Belgique avait repoussé l’offre d’acquisition du Congo, préférant remédier aux difficultés financières en souscrivant à un nouvel emprunt plutôt que d’hériter du lourd passif congolais. En 1900 encore, le Parlement remettait la prise en charge du Congo, quoique les bilans témoignaient d’une rentabilité encourageante à mesure qu’augmentait la production de caoutchouc et de l’ivoire. Au moment où la Belgique cédait aux instances de l’étranger, l’annexion de la colonie (1908) était devenue une opération rentable au point de justifier le versement à Léopold II d’une centaine de millions de dédommagement.