Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

latins du Levant (États) (suite)

Par des secours en hommes et en argent d’abord, il contribue à la reconquête de Sidon (1227) et à la construction de la forteresse de Montfort par le grand maître de l’ordre Teutonique, Hermann von Salza (v. 1170-1239) ; par son intervention personnelle ensuite, dans le cadre de la sixième croisade, mais en accord en fait avec le sultan Malik al-Kāmil, à la recherche d’un allié contre son cousin le roi ayyūbide de Damas, l’empereur obtient par le traité de Jaffa du 11 février 1229 la cession de la seigneurie du Toron (auj. Tibnīn), du territoire de Sidon et surtout celle des trois villes saintes de Nazareth, Bethléem et Jérusalem, où il reconnaît aux musulmans la liberté du culte avant de regagner l’Occident, le 1er mai 1229.

Monument de tolérance, cet accord mécontente les barons du royaume, dont le chef, Jean d’Ibelin, reproche à son auteur de lui avoir retiré la régence et la suzeraineté de Chypre lors de son séjour dans l’île en 1228.

Aussi, prolongeant en Terre sainte la querelle des guelfes* et des gibelins, Jean d’Ibelin entre-t-il en conflit avec les forces impériales, qu’il chasse de Beyrouth, puis de Chypre en 1232 ; le 12 juin 1243, son fils et successeur, Balian III, seigneur de Beyrouth (1236-1247), reprend enfin leur dernière place forte en Palestine : Tyr. Affaibli par ces querelles intestines, privé de souverain puisque les représentants de Frédéric II ont été chassés, le royaume latin de Jérusalem se transforme en une sorte de république féodale dominée par la famille d’Ibelin. Sauvé par l’intervention de la croisade de 1239 et par la dissension ayyūbide, qui assure aux Francs la possession d’Ascalon en 1240, le second royaume franc de Jérusalem ne survit pas à l’intervention des Turcs Khārezmiens, qui enlèvent la ville sainte le 23 août 1244, Tibériade le 17 juin 1247 et Ascalon le 15 octobre 1247.

Ébranlées en Palestine, les positions franques le sont également en Syrie, où l’éviction de Raimond Roupên († 1219) de la principauté d’Antioche par Bohémond IV (1201-1216 et 1219-1233) provoque un conflit avec sa famille maternelle : celle des rois d’Arménie, qui contribue même à sa restauration temporaire (1216-1219) au temps de Léon II le Grand. Prolongé au temps de Bohémond V (1233-1251), ce conflit annule les effets heureux de l’union des deux États francs d’Antioche et de Tripoli.


Agonie et mort des États francs du Levant (1247-1291)

Affaiblis par les querelles intestines, ces États reçoivent un dernier secours de l’Occident : celui du roi de France Louis IX. À l’issue de sa malencontreuse croisade* en Égypte (1249-1250), le roi de France séjourne en effet au Levant du 13 mai 1250 au 24 avril 1254. Substituant son autorité morale personnelle à la puissance nominale de l’empereur Conrad IV de Hohenstaufen (1250-1254), le souverain restaure les fortifications des principaux ports francs : Acre, Césarée, Jaffa et Sidon, contraint à l’obéissance grands barons et ordres militaires et enfin négocie habilement avec les puissances musulmanes, exploitant en particulier l’hostilité des Ayyūbides de Syrie à l’égard des Mamelouks, qui les ont évincés d’Égypte en assassinant le 2 mai 1250 Malik al-Mu‘aẓẓam Tūrānchāh.

Spectaculaires, ces résultats ne survivent pas au départ du roi de France. Toujours sous l’autorité nominale d’un Hohenstaufen, le jeune Conradin (1254-1268), à l’autorité duquel se substitue en fait celle des rois de Chypre, Henri Ier (1218-1253) et Hugues II (1253-1267), le royaume latin de Jérusalem tombe, en fait, sous le contrôle des républiques maritimes italiennes, Gênes et Venise, dont la querelle pour la possession de l’établissement Saint-Sabas à Acre s’étend, de 1256 à 1258, à l’ensemble du Levant, où se constituent deux partis : celui des Vénitiens, soutenu par les sires d’Ibelin, maîtres de Beyrouth et de Jaffa, par les Templiers, par les Teutoniques, par les Pisans, par les Provençaux et par le prince d’Antioche, Bohémond VI ; celui des Génois, appuyé par Philippe de Montfort, seigneur de Tyr, par les Hospitaliers, par les Catalans et par Bertrand de Gibelet, vassal du prince d’Antioche. Révolté contre son seigneur, Bertrand est assassiné en 1258, sans doute à l’instigation de Bohémond, dont la dynastie est finalement déclarée déchue en 1287, par le dernier héritier de son vassal, Barthélemy de Gibelet.

Bohémond VI (1251-1268) avait pourtant eu l’intelligence d’apporter son soutien aux Mongols de Hūlāgū, qui chasse les derniers Ayyūbides d’Alep et de Damas alors que les barons francs du royaume de Jérusalem, effrayés par la barbarie des nouveaux envahisseurs, commettent l’erreur de s’allier contre eux aux Mamelouks d’Égypte. Vainqueurs à ‘Ayn Djālūt le 3 septembre 1260, Quṭuz et le sultan Baybars Ier (1260-1277) étendent alors l’autorité des Mamelouks du Caire à Alep. Encerclés de nouveau, comme au temps de Saladin, les États francs ne peuvent que retarder l’issue fatale. En mai 1268, Antioche succombe la première, et son prince ne contrôle plus que le comté de Tripoli, affaibli par les querelles qui opposent le parti « poulain » (créoles) au parti « romain », dirigé par le comte romain Paolo Conti de Segni, frère de Lucienne de Conti de Segni : celle-ci détient, en effet, la régence de l’État de Tripoli au nom de son fils mineur Bohémond VI (1237-1251), dont le règne (1251-1275) et celui de Bohémond VII (1275-1287) sont marqués par la querelle qui oppose leur famille à celle des Gibelet. Dans ces conditions, le sultan Qalā‘ūn s’empare de Tripoli après moins de deux mois de siège, le 28 avril 1289. Deux ans plus tard, son successeur, al-Malik al-Achraf Ṣalāḥ al-Dīn Khalīl, s’empare de Saint-Jean-d’Acre au terme d’un siège court (5 avr. - 18-28 mai), mais héroïque. En s’emparant en août de Tortose (Tartous), le vainqueur fait disparaître la dernière place forte occupée par les Francs en Terre sainte.

P. T.

➙ Antioche / Croisades / Jérusalem / Louis IX / Palestine / Syrie.