Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

latins du Levant (États) (suite)

Malgré l’énergie et l’héroïsme du roi Baudouin IV le Lépreux (1174-1185) et de son meilleur conseiller, le comte Raimond III de Tripoli (1152-1187), à deux reprises régent du royaume de Jérusalem (1174-1176 et 1185-86), les Francs ne peuvent en effet empêcher Ṣalāḥ al-Dīn de parachever leur encerclement en enlevant aux Zangīdes Damas en 1176 et Alep en 1183, positions d’où il lui est possible de lancer en 1187 l’assaut final contre un royaume miné de l’intérieur par la folle imprudence du seigneur d’outre-Jourdain, Renaud de Châtillon, par la faiblesse du pouvoir royal, théoriquement exercé en 1185-86 par un enfant. Baudouin V, en fait par sa mère, la reine Sibylle, et par son second époux, Gui de Lusignan (1186-1192). Dénué de sens politique et de talent militaire, le nouveau roi de Jérusalem est battu et fait prisonnier à Ḥaṭṭīn le 4 juillet 1187 par Ṣalāḥ al-Dīn, qui s’empare aussitôt des principaux ports chrétiens du littoral avant d’occuper, le 2 octobre 1187, Jérusalem, pourtant bien défendue par Balian II d’Ibelin. Seuls Tyr, Tripoli, Tortose, Antioche et les forteresses des Hospitaliers : le Krak des Chevaliers et le château de Margat (al-Marqab), échappent au vainqueur. Mais pour combien de temps !

Assises de Jérusalem

La tradition attribue aux premiers croisés la rédaction en français des « usages de leurs terres », recueillis par « ouï-dire et par usage » dans les « Lettres au Sépulcre » qui auraient été déposées au Saint-Sépulcre par Godefroi de Bouillon et qui auraient disparu lors de la prise de Jérusalem par Saladin (Ṣalāḥ al-Dīn Yūsuf) en 1187. En fait, les Assises de Jérusalem (et de Chypre) [assise = status, « établissement »] auraient été élaborées progressivement grâce à la fois à l’activité juridictionnelle des cours du royaume (tel le concile de Naplouse de 1120) et au travail législatif du souverain et de ces mêmes cours. Exprimant en général la théorie d’une monarchie subordonnée et contrôlée, certaines de ces Assises sont pourtant favorables à la Couronne, telle l’Assise sur la ligèce d’Amaury Ier et l’Assise sur le balayage des rues, qui n’est d’ailleurs pas considérée comme légale au xiiie s., les barons et les bourgeois ne l’ayant pas approuvée avant sa promulgation par le roi. La première de ces Assises domine pourtant, selon M. Grandclaude, « toute la vie politique des deux royaumes (de Chypre et de Jérusalem) ; elle est la grande charte de l’Orient latin, qui marque le triomphe du monarque et de ses petits vassaux sur les grands barons ». Rédigés après le désastre, de 1187, quatre traités du xiiie s. nous font connaître le contenu de ces Assises de Jérusalem : le Livre de Philippe de Novare, écrit sans doute avant 1253 ; le Livre de Jean d’Ibelin, qui développe le contenu du précédent vers 1253 ; le Livre au Roi, qui traite des droits et des devoirs réciproques du roi et de ses vassaux ; enfin, le Livre des Assises des bourgeois, qui embrasse le droit civil entre 1229 et 1244.

L’importance historique de ces documents est considérable, car ils nous font connaître non seulement le fonctionnement de quatre cours hiérosolymitains, mais aussi le droit féodal d’origine coutumière tel qu’en lui-même le texte l’a figé dans l’Orient latin au xiie et au xiiie s.


Le temps de la reconquête (1187-1244)

L’arrivée d’un nouveau croisé, le marquis piémontais Conrad Ier de Montferrat († 1192), qui met Tyr en état de défense dès 1187, la libération et l’audace de Gui de Lusignan, qui ose mettre le siège devant Saint-Jean-d’Acre à la fin d’août 1189, l’intervention décisive de Philippe II Auguste et de Richard Cœur de Lion, qui font capituler la place le 12 juillet 1191, tous ces faits contribuent à assurer l’incroyable survie, au cours du xiiie s., du royaume de Jérusalem, dont la capitale de fait est alors Saint-Jean-d’Acre. Les Latins disposent en outre, grâce au roi d’Angleterre, d’une base insulaire à l’abri des coups de main musulmans : l’île de Chypre*, érigée en royaume en mai 1192 au profit du malheureux Gui de Lusignan, qui renonce dès lors à disputer ses anciennes possessions de terre ferme au second, puis au troisième mari de la princesse Isabelle d’Anjou (1169-1205), fille cadette du roi Amaury Ier. Conrad de Montferrat, assassiné en 1192 par des Ismaéliens, puis Henri II de Champagne (1192-1197) sont en effet reconnus tour à tour souverains d’un royaume de Jérusalem dont la capitale leur échappe en fait et dont la survie côtière dépend désormais uniquement de l’aide que peut leur accorder l’Occident par l’intermédiaire intéressé des commerçants italiens, parmi lesquels dominent les éléments pisans, génois et vénitiens, dont la présence est tolérée en fait par les Ayyūbides, qui trouvent un avantage économique certain à la survie de leurs comptoirs littoraux.

La dévolution par les barons palestiniens du royaume latin de Jérusalem au roi de Chypre, Amaury (Amauri II de Lusignan), qui épouse en 1197 la reine Isabelle Ire de Jérusalem, l’union du comté de Tripoli et de la principauté d’Antioche au profit de Bohémond IV († 1233), fils adoptif du comte de Tripoli Raimond III, qui hérite de la première de ces principautés en 1187 ou 1189 et de la seconde en 1201, renforcent temporairement la position des États latins, dont les souverains sont déçus par le détournement vers Constantinople de la quatrième croisade.

L’avènement en 1205 de la jeune Marie de Montferrat, fille de Conrad de Montferrat et d’Isabelle Ire, qui régnera jusqu’en 1210, la rupture de la trêve franco-ayyūbide affaiblissent de nouveau le royaume latin et incitent alors le régent (1205-1210) Jean Ier d’Ibelin, sire de Beyrouth (1197-1236), à chercher des appuis extérieurs : celui du valeureux chevalier champenois Jean de Brienne, qui épouse alors Marie de Montferrat sur le conseil de Philippe II Auguste, celui de la papauté, qui organise alors une cinquième croisade dont les éléments regroupés sont lancés par le nouveau roi de Jérusalem à l’assaut de Damiette, qui succombe le 5 novembre 1219. Affolés, les Ayyūbides démantèlent toutes leurs forteresses palestiniennes, offrent d’évacuer toutes leurs possessions à l’ouest du Jourdain, y compris Jérusalem, en échange de cette ville. Convaincu du proche et total effondrement de l’islām, l’intransigeant et autoritaire légat Pélage organise vers Le Caire une expédition qui échoue, ce qui contraint Jean de Brienne, roi de Jérusalem (1210-1225), à évacuer ses conquêtes pour obtenir la libération de son armée encerclée (capitulation du 30 août 1221, évacuation complète le 7 sept.).

Ruiné, le roi de Jérusalem part alors chercher du secours en Occident, où il donnera en 1225 sa fille Isabelle en mariage à l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, qui s’octroie aussitôt la couronne de Jérusalem au détriment de son beau-père, qui, juridiquement, ne la détient qu’à titre de régent de sa fille.