Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Kōrin et Kenzan (suite)

La collaboration entre deux frères

Les deux frères connurent une jeunesse heureuse et facile dans le milieu artistique qui entourait la famille Ogata, apparentée aux grands décorateurs du xviie s., Kōetsu* et Sōtatsu*. Sōken, leur père, lui-même bon calligraphe et peintre, fut le premier maître de Kōrin, qu’il confia ensuite à un membre de l’atelier des Kanō*. Aussi doué que son frère, mais d’un caractère plus discret, Kenzan s’intéressa à la calligraphie et au zen ; de plus, il fréquenta, en amateur, l’atelier du célèbre potier Nonomura Ninsei, créateur de céramiques à décors polychromes dans le style des peintres Kanō et Tosa*.

Malgré l’importante fortune reçue en héritage, les dépenses fabuleuses de Kōrin et la faillite, en 1697, de la maison d’étoffes conduisirent bientôt les deux frères à la ruine. Kōrin décida alors de tirer parti de ses talents de peintre pour subvenir à ses besoins. Kenzan, quant à lui, choisit le métier de potier et ouvrit son propre four à Narutaki, dans la banlieue de Kyōto. Entre 1699 et 1701, les deux frères travailleront dans un même esprit, Kōrin décorant de croquis pleins d’humour les poteries blanches de Kenzan.


La carrière tardive de Kōrin

Encouragé par son frère et gratifié dès 1701 du titre honorifique de « hōkkyō », Kōrin, alors âgé de quarante-trois ans, se consacre à la peinture. Peu d’œuvres de cette époque sont connues, mais les carnets de dessins légués par l’artiste à ses descendants révèlent le travail acharné qui permit l’éclosion de son style et lui donna sa puissance d’abstraction. En même temps, il étudie l’art de Sōtatsu, dont il exécute plusieurs copies en accentuant les effets décoratifs. Chef-d’œuvre de ces années de formation, le paravent aux Iris du musée Nezu de Tōkyō montre déjà une stylisation audacieuse dans les bouquets de fleurs bleues et les feuillages, groupés selon une composition mouvante sur le fond d’or. Ce thème, inspiré d’une anecdote des Contes d’Ise, sera repris souvent pour les décors d’éventails et de laques rehaussés de poudre d’or (maki-e) créés par l’artiste.

En 1704, Kōrin se rend à Edo. Il y séjourne pendant plusieurs années tout en poursuivant ses recherches de style et de couleurs sous le patronage de riches familles de la ville. Cependant, son génie de décorateur ne se manifeste pleinement que vers la fin de sa vie, après son retour définitif à Kyōto. À cette période (1711-1716) se rattachent les superbes paravents aux Paons et roses trémières (coll. part. Tōkyō) et aux Pruniers blanc et rouge (musée d’Atami), dans lesquels la richesse des couleurs s’allie à des compositions savantes de courbes.


Kenzan, potier et peintre

En 1713, Kenzan ferme son four de Narutaki pour s’établir en pleine ville et entreprendre un commerce de céramiques avec l’aide de Watanabe Shikō (1683-1755), un des disciples de Kōrin. Sa production abondante comprend surtout de la vaisselle de table, décorée de motifs en noir ou en couleurs évoquant les saisons. Le même dessin d’une facture très libre, influencé par la calligraphie, apparaît dans les peintures que l’artiste exécute à Edo, parallèlement à son activité de potier, au cours des dix dernières années de sa vie. L’une des plus connues est les Trois Paniers de fleurs (Musée national de Tōkyō), signée dans une belle écriture : « Peint par Shisui Shinsei [autre nom de Kenzan], l’oisif de Kyōto, 1739. »

L’art de Kenzan, longtemps imité à Edo et à Kyōto, traduit peut-être une compréhension plus intime et plus poétique de la nature que celle de Kōrin. Celui-ci, oublié après sa mort durant un siècle, sera remis en honneur par un fervent admirateur, Sakai Hōitsu (1761-1828), et dès lors sa renommée ne fera que croître. Pour rendre hommage au grand décorateur, Hōitsu peint au revers de ses paravents des Dieux du Vent et du Tonnerre, copie d’une œuvre de Sōtatsu, deux compositions d’herbes d’automne battues par le vent et la pluie, en affinité spirituelle avec le sujet principal.

F. D.

 Tanaka Ichimatsu, l’Art de Kōrin (en jap., résumé en angl., Tōkyō, 1959-1965).

Korolenko (Vladimir Galaktionovitch)

Écrivain russe (Jitomir, Volhynie, 1853 - Poltava 1921).


Une œuvre empreinte de bonté et de poésie, une vie au service de la justice, une foi indestructible en les vertus du peuple et de l’individu : ces qualités assurèrent à Korolenko une place exceptionnelle dans la littérature russe, que ne lui ôtèrent ni les bouleversements politiques ni les changements survenus dans les goûts du public.

Comme beaucoup de radicalistes populistes, Korolenko appartient d’une certaine manière à cette génération de « nobles repentants » qui, découvrant soudain les méfaits du servage, vouèrent leur vie à instaurer plus de justice sociale. Né par sa mère d’une famille aristocratique polonaise, qui choisit après la révolte de 1863 la nationalité russe, Korolenko connut dès l’enfance les misères de l’oppression. Il pratiqua tôt la contestation politique en s’affiliant à une association secrète, alors qu’il faisait ses études à l’école d’agriculture de Moscou : on l’en expulsa aussitôt. En 1879 parut sa première nouvelle, Épisodes de la vie d’un chercheur (Epizody iz jizni iskatelia), nouvelle qu’il désavoua à la fin de sa vie, mais qui contenait déjà quelques-uns des thèmes chers aux populistes. La même année, il fut arrêté et envoyé au nord-est de la Sibérie, où il vécut plusieurs années, comme cordonnier.

Malgré les rigueurs de l’exil, le jeune écrivain ne contracta en Sibérie ni aigreur ni amertume à l’égard du genre humain. Au contraire, il acquit une certaine sérénité, renforça ses convictions progressistes et se découvrit, devant ces immenses plaines glacées, un goût de la nature, une sensibilité aux paysages dont chacune de ses œuvres portera désormais la trace.

En 1885, les autorités permettent à Korolenko de s’installer à Nijni-Novgorod. Il publie là le Songe de Makar, écrit en Sibérie, et compose pendant dix ans ses meilleurs contes (le Musicien aveugle, En mauvaise société, La forêt murmure). Vie d’écrivain repliée et méditative, mais non coupée des réalités : Korolenko mène avec persévérance son combat pour la justice. Un peu plus tard, il défend la cause de juifs « accusés d’assassinat rituel ».

En 1902, en refusant de siéger à l’Académie de Saint-Pétersbourg, dont Gorki a été évincé par le gouvernement, il rend hommage du même coup aux choix politiques et au talent de l’écrivain.

La littérature pâtit de cette activité sociale. Korolenko n’écrit presque plus, ses Mémoires exceptés. Il consacre ses forces à dénoncer les abus des tribunaux et de la police et à lutter contre la loi martiale et la peine de mort.

Chacun sait qu’il a le cœur à gauche, mais beaucoup de lecteurs conservateurs lui gardent leur estime. D’ailleurs, le goût de la vérité l’emporte toujours sur la polémique : après la révolution de 1917, Korolenko n’hésite pas à dénoncer dans une série de magnifiques lettres à Lounatcharski les funestes effets de la révolution bolchevique sur la civilisation.

Pour le lecteur russe de la fin du siècle, Korolenko reste essentiellement l’auteur du Songe de Makar (Son Makara, 1885), récit tendre et teinté d’humour dans lequel un pauvre bougre de paysan sibérien, bourlingué par la vie, doit rendre compte du vol d’un rouble au dieu de la forêt. Sa pitoyable confession fait pleurer les anges et attendrit son juge, qui l’acquitte !

Toutes les nouvelles de Korolenko témoignent de cette même compassion, de cette gentille ironie à l’égard des pauvres hères, victimes de la société capitaliste, de cette sensibilité aux charmes de la nature. Lyrique dans la tradition de Tourgueniev, il brosse des paysages ou des tableaux empreints de poésie, usant d’une langue raffinée sans pédanterie ni rhétorique.