Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kenya (suite)

Cependant, en même temps qu’ils s’appropriaient le sol, excluaient les Noirs des cultures d’exportation sous prétexte que leur négligence discréditerait le Kenya sur les marchés, les colons transformaient en salariés certains Kikuyus réinstallés sur les terres en « squatters ». L’accès des autres, grâce aux écoles de la Church Missionary Society, aux petits emplois (sauf dans la police de recrutement kamba) ne compensait pas cette situation.


Vers l’indépendance

La poussée démographique et leur forte cohésion amenèrent les Kikuyus à organiser, les premiers, une protestation africaine. Celle-ci prit d’abord la forme d’une défense du sol et de la coutume par les anciens ; en 1920, le chef Koinange créa ainsi la Kikuyu Association. La Young Kikuyu Association, fondée en 1921, était déjà plus radicale, mais son chef, Harry Thuku, fut arrêté, et l’association dissoute après des émeutes sanglantes (1922). En 1925, d’anciens militants et des nouveaux venus, dont Joseph Kangethe et Jomo Kenyatta*, créèrent la Kikuyu Central Association (KCA). Recrutée à la fois parmi les paysans et les urbanisés, organisée sur le modèle des classes d’âge, la KCA mêlait des objectifs traditionnels (respect des coutumes, comme la clitoridectomie) et des objectifs modernes (garantie des droits fonciers, création d’un enseignement ouvert à tous les niveaux, entrée des indigènes au Conseil). Malgré la répression à partir de 1930 (exil de Kenyatta), elle survécut et suscita des mouvements non kikuyus et les premiers syndicats. La Seconde Guerre mondiale stoppa cette évolution, quand la KCA fut déclarée illégale (mai 1940). Mais, profitant de la libéralisation de 1944-1946 (autorisation des associations), un véritable parti intertribal, bien qu’en majorité kikuyu, se créa : la Kenya African Union (KAU). Fondée par E. Mathu, un Kikuyu, et, J. B. Ohanga, un Luo, présidée en juin 1947 par Kenyatta, la KAU fut un mouvement de masse comptant près de 100 000 membres en 1952. Ouvertement nationaliste, elle réclama l’indépendance et l’égalité raciale.

En même temps que se développait l’opposition légale, le mécontentement, souterrain et complexe, des Kikuyus déboucha sur le terrorisme. Visant d’abord des Africains, les « Mau-Mau » (dénomination non élucidée et probablement extrinsèque aux révoltés) frappèrent des Européens à partir de 1952, peut-être avec l’encouragement des extrémistes de la KAU. L’état d’urgence, l’arrestation de Kenyatta et des principaux leaders de la KAU, l’interdiction des partis politiques noirs ne ramenèrent pas le calme. Kenyatta, accusé, sans preuve formelle d’ailleurs, d’intelligence avec les « Mau-Mau », fut condamné à sept ans de prison en avril 1953. La répression s’était alors transformée en guerre qui ne prit fin qu’en 1956 ; l’état d’urgence fut levé en 1959. Au caractère spectaculaire du terrorisme, au recours à la magie (serments initiatiques, sacrifices sanglants) répondirent des arrestations et internements massifs. Le bilan donna environ 11 500 tués « mau-mau », plus de 28 000 arrestations, 1 300 victimes du terrorisme, 500 policiers ou soldats tués.

Le soulèvement permit aux autres ethnies de jouer un rôle, aux Luos surtout, qui remplacèrent les Kikuyus dans les emplois salariés. Il détermina aussi le transfert de l’action vers les syndicats fédérés sous la direction de Tom Mboya avec l’appui de la CISL. Lorsqu’en 1956 reprit la vie politique, il devint évident que la solution aboutirait à l’indépendance, à l’exemple de la Gold Coast, malgré la résistance des colons et les tentatives de troisième force multiraciale. Surtout, le People’s Convention Party de Mboya, vainqueur aux élections de 1958 prévues par la Constitution Lennox-Boyd, qui élargissait la représentation noire au Conseil, entama une campagne en faveur de Kenyatta. Mis en résidence surveillée en avril 1959, celui-ci devint président du nouveau parti, la Kenya African National Union (KANU). Malgré l’apparition d’un concurrent, la Kenya African Democratic Union (KADU) de Ronald Ngala, représentant les petites ethnies, les élections de février 1961 acculèrent les Britanniques à libérer Kenyatta (avr.) et à discuter avec lui (nov.). Les divergences entre partis ralentirent l’accès à l’indépendance jusqu’en 1963 : le 12 décembre, le Kenya devenait indépendant, et, un an plus tard, la république était proclamée.


L’État indépendant

Deux problèmes se posaient au nouvel État : d’une part, le marasme provoqué par la fuite des capitaux et le chômage, aggravé depuis la « démobilisation » des « Mau-Mau » ; d’autre part, l’inachèvement national d’un pays qui comptait de puissantes minorités (blanche, arabe, asiatique) et une majorité noire divisée entre Kikuyus et Luos. La KANU elle-même était divisée en une tendance prochinoise et en une tendance pro-occidentale.

Le gouvernement Kenyatta s’efforça d’unifier le pays afin de rassurer les investisseurs et de faire face aux revendications extérieures (de la Somalie sur le Nord). Mais il dut d’abord triompher d’une mutinerie de l’armée (1964). Puis il obtint le ralliement de la KADU à la KANU, ce qui permit, en novembre 1964, de modifier la Constitution dans un sens centralisateur. En même temps, il réalisa, avec l’aide britannique, le rachat des terres et, par un régime fiscal favorable et des garanties, attira de nouveau les capitaux en dépit d’un ralliement théorique au socialisme (démenti d’ailleurs par la rupture avec l’U. R. S. S. et la Chine). Mais il faut inscrire au passif du gouvernement Kenyatta : le favoritisme kikuyu, l’octroi de sinécures, l’émigration quasi forcée depuis 1969 des Indiens, des tensions à l’intérieur même de la KANU. La fraction de gauche d’Oginga Odinga passa à l’opposition en 1966 ; l’équilibre entre Luos et Kikuyus fut rompu en 1969, lorsque Tom Mboya fut assassiné. Des troubles éclatèrent, que la victoire de Kenyatta aux élections de 1970 ne fit pas oublier.

M. M.

➙ Afrique noire / Empire britannique / Kenyatta (Jomo) / Kikuyus / Nairobi.