Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Kafka (Franz) (suite)

En août 1914, Kafka rédige le récit inachevé Souvenir du chemin de fer de Kalda, qui raconte la vie d’un employé de chemin de fer au fin fond de la Russie. Pris un jour d’une mauvaise toux dont il ne guérit pas, il prévoit qu’il lui faudra partir pour Kalda. La seule œuvre achevée de cette période est la Colonie pénitentiaire (In der Strafkolonie, 1919), évocation insolite d’un univers concentrationnaire sur une île tropicale, où un voyageur visite un bagne qui vit sous la terreur d’une machine hautement perfectionnée, destinée à inscrire dans la chair des condamnés la sentence, que ceux-ci ne comprennent qu’au bout de quelques heures, juste avant une mort extatique. Au moment où la machine se détraque et déchire l’officier qui l’avait manœuvrée, le voyageur quitte l’île, seul dans son canot.

Dans les années 1914-15, Kafka s’adonne à la lecture de Strindberg, avec lequel il se découvre avec délice une secrète parenté. En février 1915, il écrit la première version des Recherches d’un chien (Forschungen eines Hundes) [une seconde version sera élaborée en 1922], qu’il appelle son Bouvard et Pécuchet. Puis il entreprend un voyage en Hongrie. En octobre, l’écrivain Carl Sternheim (1878-1942) obtient le prix Fontane, mais le cède à Kafka pour sa nouvelle le Chauffeur. Pendant l’hiver 1916-17, Kafka, extrêmement sensible aux bruits, habite une curieuse petite maison qu’Ottla, sa sœur cadette, avait achetée dans la rue des Alchimistes, un quartier très tranquille de la Vieille Ville. Il rédige Un médecin de campagne (Ein Landarzt), publié trois ans plus tard chez Kurt Wolff dans un recueil comprenant encore treize autres récits, parmi lesquels l’admirable page Dans la galerie (Auf der Galerie), et l’ironique Rapport pour une académie (Ein Bericht für eine Akademie) où un chimpanzé raconte son ascension vers l’humanité. Ce recueil est dédié à son père : « Non que j’espère ainsi réconcilier mon père, écrit-il à Max Brod, mais j’aurai fait quelque chose. »


Fiançailles

En été 1917, Kafka se rend une seconde fois en Hongrie pour accompagner Felice chez la sœur de celle-ci. Il quitte sa fiancée à Budapest et rentre seul à Prague, décidé à la rupture. En août 1917, l’hémoptysie se déclare. Le 4 septembre, le médecin constate un catarrhe pulmonaire, et le danger de tuberculose n’est pas exclu. Kafka accueille le diagnostic avec un mélange de soulagement et d’accablement : libéré subitement de tant d’obligations qu’il ne savait pas assumer, il ressent la maladie également comme un châtiment, comme un « pacte » que son cerveau et ses poumons auraient conclu à son insu. « À vrai dire, écrit-il à Max Brod, il y a aussi la plaie dont celle des poumons n’est que le symbole. » Le même mois, il se met à l’étude de l’hébreu. Il passe un congé de longue durée chez sa sœur Ottla, dont il se rapproche beaucoup pendant ce séjour. Elle gère à Zürau, près de Saaz (auj. Žatec), au nord-ouest de la Bohême, une petite propriété de son beau-frère. Kafka se trouve pour la première fois en contact avec des paysans allemands, milieu dans lequel il semble se sentir très à l’aise. Felice Bauer lui rend visite dans sa retraite campagnarde, mais la séparation s’impose et survient à Prague à la fin de décembre 1917. Peu après, Kafka retourne à Zürau, où il reste jusqu’en été 1918. Il extrait de ses notes les cent neuf aphorismes, mais écrit peu par ailleurs, préoccupé surtout de ses lectures de Kierkegaard et de saint Augustin. Lorsqu’il revient à Prague, il reprend sporadiquement son service, consacrant ses après-midi au jardinage dans un institut homologique à proximité de la capitale. En 1918-19, il compose un long récit dont il ne reste que quelques fragments, la Muraille de Chine (Beim Bau der chinesischen Mauer), qui traite de la construction de la Grande Muraille et des relations du peuple chinois avec l’empereur et les lois. En novembre 1918, il part pour Schelesen (auj. Želizy), près de Liboch, au nord de Prague, où il vit jusqu’au printemps 1918. Il y rencontre Julie Wohryzek, une jeune Tchèque qui possède « un merveilleux mélange de chaleur et de froideur, très difficile à troubler de l’extérieur ». Il fait une nouvelle tentative de mariage : il se fiance pour la troisième fois. Cependant, les doutes et scrupules ne tardent pas à l’envahir, et il rompt avec Julie à Prague en novembre 1919.


Procès du père

Revenu à Schelesen, où Max Brod le rejoint, Kafka rédige un bouleversant document autobiographique, la Lettre au Père (Brief an den Vater), qui n’a jamais été remise à son destinataire, la mère de Franz refusant de la transmettre. Longue de plus de cent pages, cette lettre est un véritable « procès » où Kafka analyse le conflit profond et insoluble dans les relations avec son père. Kafka n’a jamais surmonté un besoin de s’expliquer et de se justifier devant cet homme robuste, fortement ancré dans la réalité. Le mélange d’admiration et de haine qu’il éprouve pour son père a fait naître en lui un inextricable sentiment de culpabilité. Conscient de l’incompatibilité de leur caractère et de leurs intérêts, il n’est cependant pas arrivé à se libérer de l’emprise paternelle et n’a pas cessé de solliciter une approbation impossible à obtenir.

En avril 1920, il part pour Merano, où il passe trois mois et écrit ses premières lettres à une jeune Tchèque, Milena Jesenská-Pollaková, qui vient de lui demander l’autorisation de traduire en tchèque certaines de ses œuvres. Fille très émancipée d’un chirurgien renommé de Prague, mariée à un homme de lettres, Ernst Pollak, et peu heureuse dans cette union, elle voue bientôt un amour passionné et exclusif à Franz Kafka, qui, effrayé, d’abord, ému ensuite, lui rend visite à Vienne, puis la retrouve fréquemment à Prague. Vers la fin de l’année, Kafka doit faire un séjour dans un sanatorium dans les Hautes Tatras, où il se lie avec un autre malade, Robert Klopstock, alors étudiant en médecine. La cure reste sans effet, et Kafka rentre à Prague en septembre 1921. Il se trouve alors volontiers en compagnie des jeunes : il reçoit souvent le lycéen Gustav Janouch et s’entretient longuement avec lui de sujets littéraires, sociologiques, religieux, personnels même. Janouch publiera ces conversations en 1951, traduites en français l’année suivante sous le titre de Kafka m’a dit.