Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kafka (Franz) (suite)

« le Château »

C’est probablement en 1921 que Kafka se met à rédiger son dernier roman, inachevé, le Château (das Schloss) : l’arpenteur K., venu de loin, cherche en vain droit de cité dans un village et échoue dans ses tentatives d’entrer en rapport avec « les messieurs du Château ». Eternel étranger, personne en surnombre, sa liaison avec Frieda, fille « d’ici », enracinée dans le réel comme l’était Felice Bauer, ne fera pas de lui un indigène, semblable à ses semblables, tout au contraire : il s’épuise dans sa situation de paria, qui est à la fois son privilège et sa misère.

En été 1923, Kafka se rend à la plage de Graal-Müritz, sur la Baltique, avec sa sœur Elli. Lors d’une visite de la colonie de vacances du Foyer populaire juif de Berlin, il rencontre la jeune monitrice Dora Dymant, issue d’une famille juive hassidique, qui deviendra sa dernière compagne. En dépit de l’opposition de sa famille, il s’installe avec elle à Berlin en septembre 1923. Pour la première et la dernière fois de sa vie, il semble avoir connu le bonheur, se croit un moment libéré de ses démons et trouve un certain équilibre moral. L’inflation de l’hiver 1923 le contraint à de dures privations. En mars 1924, son état physique s’aggrave, et son oncle Siegfried Löwy accourt à Berlin et constate une infection du larynx sans espoir de guérison. Kafka rentre à Prague chez ses parents. Il écrit sa dernière œuvre achevée, Joséphine la Cantatrice ou le Peuple des souris (Josefine, die Sängerin oder Das Volk der Mäuse), qui paraît en automne 1924 avec trois autres récits : Premier Chagrin (Erstes Leid), Une petite femme (Eine kleine Frau) et Un champion de jeûne (Ein Hungerkünstler). C’est peut-être Un champion de jeûne qui reflète le destin de Kafka avec le moins de déguisement : « Je voulais toujours vous faire admirer mon jeûne, dit le héros avant de mourir, mais vous ne devriez pas l’admirer [...]. Je ne peux pas faire autrement [...] Parce que je n’ai pas pu trouver d’aliment qui me plaise [...] »

Kafka est transporté dans un sanatorium, où l’on constate une laryngite tuberculeuse, puis transféré en avril 1924 dans une clinique à Vienne, où il est traité avec un peu d’égards. Ses amis l’installent finalement dans une clinique à Kierling, aux environs de Vienne. Kafka écrit au père de Dora Dymant pour demander la main de la jeune fille, mais reçoit une réponse négative. Il souffre de violentes douleurs, doit parler le moins possible et ne peut presque plus manger. Il meurt le 3 juin 1924, assisté dans ses derniers moments par Dora Dymant et Robert Klopstock. Il est enterré au vieux cimetière juif de Prague. Max Brod, son exécuteur testamentaire, édite ses œuvres contre la volonté de Kafka, qui lui avait demandé de brûler ses manuscrits.

Avec Kafka disparaît un des écrivains les plus originaux du début du siècle. Les nombreuses interprétations de son œuvre restent sans issue : « C’est le destin, et peut-être la grandeur de cette œuvre que de tout offrir et de ne rien confirmer », note Albert Camus en 1943 dans l’Espoir et l’absurde.

E. M.

 M. Brod, Franz Kafka, eine Biographie (Prague, 1937 ; 4e éd. 1954 ; trad. fr. Franz Kafka, Gallimard, 1945 ; nouv. éd., 1962). / M. Robert, Introduction à la lecture de Kafka (le Sagittaire, 1946) ; Kafka (Gallimard, 1960 ; nouv. éd., 1968) ; l’Ancien et le nouveau (Grasset, 1963 ; nouv. éd., Payot, 1967). / K. Wagenbach, Franz Kafka, eine Biographie seiner Jugend, 1883-1912 (Berne, 1958 ; trad. fr. Franz Kafka, les années de jeunesse, Mercure de France, 1967) ; Franz Kafka (Hambourg, 1964 ; trad. fr. Kafka par lui-même, Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1968). / E. Canetti, Der andere « Prozess », Kafkas Briefe an Felice (Munich, 1969 ; trad. fr. l’Autre « Procès », lettres de Kafka à Felice, Gallimard, 1972).

Kagel (Mauricio)

Compositeur argentin (Buenos Aires 1931).


Collaborateur dès 1947 à l’Agrupación Nueva Música, chef d’orchestre d’opéra au Teatro Colón, à l’Opéra de chambre de Buenos Aires et à la radiodiffusion argentine, il acquit, au contact des œuvres des trois Viennois (Schönberg, Berg, Webern), la maîtrise de la méthode sérielle. Par la suite, il travailla au studio de la Westdeutscher Rundfunk, à Cologne. L’utilisation de la bande magnétique combinée avec le jeu vivant des exécutants deviendra une des caractéristiques de sa manière et de son style. Quant aux formes de sa pensée, elles évolueront avec le temps. C’est ainsi que le compositeur, tout d’abord préoccupé de formes purement musicales (Variations pour quatuor mixte, flûte, clarinette, violon, violoncelle [1952] ; Sextuor à cordes [1953-1957] ; Quatre Pièces pour piano [1954]), s’aiguillera ensuite vers des œuvres fondées sur un programme. Tel est le cas d’Anagrama (1958), comportant un chœur parlé, quatre chanteurs solistes et un orchestre de chambre. Désormais, la conception de Mauricio Kagel apparaîtra comme particulièrement singulière. En effet, le texte latin utilisé dans Anagrama : in girum imus nocte et consumimur igni (« nous tournons dans la nuit et sommes consumés par le feu »), est un palindrome médiéval, indiscernable à l’audition et qui n’apparaîtra qu’une seule fois sous sa forme originelle. Par la suite, ses traductions en français, en allemand, en italien et en espagnol seront réduites à l’état d’éléments purement phonétiques, dénués de toute signification littérale. Il s’agit donc d’une destruction systématique des rapports qui unissent traditionnellement musique et parole.

Peu à peu, Kagel en viendra à ce qu’il appelle le théâtre instrumental, ainsi nommé parce que les instrumentistes se livrent sur le plateau à des mimiques ou à des évolutions prétendues humoristiques. Les œuvres nées de cette conception tiennent bien plutôt des jeux du cirque que d’une manifestation musicale ; comme dans Match (1964), tournoi entre deux violoncellistes arbitré par le percussionniste ; ou encore Sur scène (1959-60), où les musicologues et les critiques musicaux sont tournés en dérision ; Phonophonie (1963), qui brosse une caricature à la fois auditive et mimique d’un chanteur sur le point de perdre sa voix. En définitive, Kagel se situe comme une sorte de pamphlétaire manifestant un goût prononcé pour le sarcasme, la farce, mais dont les œuvres tendent à perdre peu à peu leur valeur proprement musicale.

R. S.