Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

• Une source innomée du droit : les groupes de pression Infléchissant l’action législative et réglementaire. Le droit légiféré se sécrète essentiellement par l’action de la fonction législative, à laquelle il faut aujourd’hui (art. 37 de la Constitution d’oct. 1958) ajouter l’action de la fonction gouvernementale. Mais la participation au pouvoir légiférant de « classes » dominantes semble un phénomène de science juridique capital à élucider. De même qu’une théorie de la « décision des entrepreneurs » est à établir pour comprendre le fonctionnement du milieu socio-économique qu’est la firme, de même une théorie de la formation de la loi qui serait enrichie par l’étude de la pression qu’exercent les « élites » sur les législateurs, serait éclairante de la manière dont s’élabore le droit.

Il apparaît symptomatique que Proudhon ait pu, dès 1865, employer le terme de « capacité politique des classes ouvrières ». Mais, en ce temps, c’est une autre pression, émanant d’un autre groupe, qui se fait surtout sentir et qui explique plusieurs aspects du droit français : celle de la bourgeoisie industrielle, en matière fiscale et douanière notamment, quand il s’agit d’obtenir des barrières protégeant l’industrie contre la pénétration des marchandises étrangères. Il est indubitable que, dans une phase ultérieure, la pression des classes ouvrières évoquée par Proudhon ait permis à son tour un infléchissement du droit du travail en faveur des masses laborieuses.

• La jurisprudence. La jurisprudence (que certains auteurs préfèrent appeler droit judiciaire) recouvre un processus de formation de la norme de droit lorsque celle-ci est élaborée par voie de décision juridictionnelle à propos d’une espèce particulière. Les juridictions remplissent une fonction d’élaboration du droit subsidiaire dans la mesure où elles interviennent pour pallier les insuffisances du droit écrit et perdent de leur importance, a contrario, quand le législateur a prévu avec un grand luxe de précisions des « catalogues » de règles de droit préétablis et complets.

Un droit judiciaire autonome, tout d’abord, est représenté par les décisions des juges créant — en quelque sorte ex nihilo — une norme juridique. Un droit judiciaire interprétatif d’un droit préexistant (droit lacunaire ou mal ajusté à de nouvelles circonstances que le texte n’a pu prévoir), second type de droit judiciaire, s’appuie, lui, sur les règles coutumières ou écrites préexistantes. L’action du juge se situe donc « entre la création et l’application du droit ».

• La doctrine. C’est l’œuvre des « juristes » qui interprètent, critiquent, analysent le droit, jurisprudentiel, coutumier ou légiféré. Il y a œuvre, ici, de dépassement de ces sources de droit fondamentales, le professeur ou le chercheur critiquant ces droits en vigueur, les approuvant ou proposant des normes d’une nature différente. (V. infra : « Quelques juristes français et étrangers. »)

• Une source particulière du droit (en matière de droit du travail) : la convention collective. Le droit connaît parfois des modes d’élaboration d’une nature hybride, procédant du contrat par certains de leurs aspects, de la mesure réglementaire par certains autres : telle, en droit du travail, la convention collective, forme mixte de contrat, trouvant sa source dans le libre débat des parties, rappelant le règlement par contre par son champ d’application, qui peut être autoritairement étendu en dehors des seules parties contractantes. La convention collective, apparue en France en 1919, est réglementée ensuite en 1950.

• Enfin, la science juridique doit percevoir une dernière source essentielle de droit, plus ou moins informelle, où convergent des éléments que le juriste distingue nettement, mais que le sociologue ou l’historien du droit verrait de préférence se mêler dans un « fonds » commun : droit naturel, valeurs éthiques, apports sociaux y paraissent comme portant à leur tour leur « charge » de droit. Parmi ces éléments, les « principes généraux du droit », qui ont une valeur égale ou même supérieure à celle des textes constitutionnels eux-mêmes, s’imposent au premier chef dans le champ de vision de la science juridique.

• La convention internationale (v. ce mot).

J. L.


La diversification des sciences juridiques

La multiplication des rameaux de la science juridique est un phénomène remarquable de l’époque contemporaine. Cette multiplication est due à la complexité de plus en plus grande de la vie moderne : le développement de droits, comme le droit aérien, le droit spatial, le droit des assurances, etc., en semble bien un reflet. Mais la diversification n’apparaît réellement que lorsque des principes juridiques spécifiques régissent les domaines de la vie sociale nouvellement apparus : c’est lorsque des principes autonomes régissant la vie des travailleurs ont détaché du tronc primitif du droit civil (incapable d’en rendre compte) la réglementation de l’existence des salariés que le droit du travail est apparu. C’est lorsque la vie des affaires a milité pour une simplification des formes juridiques prévues par le droit civil que le droit commercial a fait d’immenses progrès.

À ce rythme, le spécialiste contemporain des sciences juridiques ne peut plus embrasser d’un seul coup d’œil, maîtriser de son seul savoir (comme, voici un siècle, pouvaient le faire certains esprits puissants) l’ensemble des branches du droit, tant chacune de celles-ci s’est enflée. Un « publiciste », aujourd’hui, pourra éventuellement maîtriser une, deux (voire trois) branches du droit public — par exemple le droit administratif et le droit constitutionnel —, mais, à lui seul, il ne pourra aucunement prétendre se rendre maître des disciplines qui, dans leur ensemble, forment cette partie du droit.

En un sens, le spécialiste de l’histoire du droit (ou le philosophe du droit) serait peut-être le mieux outillé (ces sciences étant omnidisciplinaires) pour réaliser les plus vastes synthèses au sein des disciplines juridiques essentielles. Les autres devront choisir et se cantonner. Le règne des esprits capables de pratiquer d’immenses mises au point (Hauriou, Duguit) semble à jamais révolu.