Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juillet (monarchie de) [1830-1848] (suite)

Si Louis-Philippe doit compter avec les parlementaires, l’origine et la réalité du pouvoir royal font aussi l’objet de discussions. Les thèses diffèrent. Pour Guizot*, « le trône n’est pas un fauteuil vide », et le roi, en accord avec les Chambres, doit exercer une autorité active. Thiers*, qui passe pour le champion du système parlementaire, affirme que le roi règne et que les ministres gouvernent.

Le roi-bourgeois est obligé de composer, mais il entend exercer pleinement la direction des affaires. Intelligent et retors, il interviendra constamment, mais secrètement et de manière détournée, faussant par ses intrigues le système parlementaire.


Le système électoral

Organisé par la loi du 19 avril 1831, il repose sur le régime censitaire. Le droit de suffrage est limité aux contribuables payant au moins 200 francs de contributions directes, et l’éligibilité à ceux qui paient au moins 500 francs. Les conditions de cens ont été abaissées par rapport à la Restauration, mais l’immense majorité des Français est écartée des urnes par la volonté d’une classe bourgeoise qui fait sien le régime de Juillet et monopolise la représentation nationale dans ses fondements. Un an après les Trois Glorieuses, le pays légal est constitué de 168 000 personnes, 5 électeurs sur 1 000 habitants. Le chiffre variera peu, et toutes les modifications proposées dans un sens plus démocratique ou plus réaliste seront repoussées.

Suffrage censitaire et scrutin d’arrondissement morcèlent le corps électoral : sur environ 500 collèges électoraux, 143 comportent moins de 500 inscrits. L’électeur isolé subit la pression de l’Administration comme celle des notables. Quant à l’élu, il ne représente ni un parti ni un mouvement, mais les intérêts de son arrondissement. Son vote à la Chambre n’est soumis à aucun contrôle des électeurs, et le mandat confié n’est nullement lié à un programme. D’ailleurs, libéral ou conservateur, voire républicain, chaque « représentant de la nation » ne représente, en fait, que 200 ou 300 Français.

Le corps électoral est dominé par une énorme majorité de propriétaires fonciers. Si la bourgeoisie d’affaires tient une place privilégiée dans le régime de Juillet, sa représentation parlementaire est faible. Dans la Chambre de 1840, sur 459 députés, il y a 137 propriétaires, 87 membres des professions libérales, 175 hauts fonctionnaires, officiers supérieurs et magistrats, et seulement une soixantaine de manufacturiers et de négociants.


Les groupes politiques à la Chambre

Les regroupements politiques à la Chambre — il n’y a pas de partis proprement dits, ni dans le pays, ni au Parlement — se font autour de puissantes personnalités.


Les conservateurs

Dès 1831, avec Casimir Perier* et la « Résistance », ils ont réussi à briser toute velléité de réforme. Bloc polycéphale, cimenté par l’intérêt de classe et l’hostilité à la démocratie, épisodiquement divisé par des rivalités de personnes, ils monopoliseront les cabinets ministériels jusqu’à la chute du régime. La terminologie parlementaire fait état d’un centre droit (Perier, duc de Broglie, Molé, Guizot), d’un centre gauche (les conservateurs emmenés par Thiers) et du tiers parti (dirigé par un avocat en renom, Dupin aîné). Le tiers parti, formation clé « d’honnêtes indécis et d’intrigants méticuleux » (Guizot), arbitre les conflits et monnaie son appui ou ses défections.


La gauche dynastique

Héritière du « Mouvement » du banquier Laffitte, elle constitue l’essentiel de l’opposition. Son chef est l’avocat Odilon Barrot (1791-1873). Dynastique, car elle ne remet pas en cause le régime, elle prône une politique de prestige pour flatter le nationalisme primaire des masses. Obstinément muette sur les réformes sociales, elle réclame une extension modérée du droit de vote, qui rencontre un certain écho dans sa clientèle de petite et de moyenne bourgeoisie.


Les républicains

Ils ne sont qu’une poignée, hors de proportion avec leur force réelle dans le pays. Appelés « radicaux » depuis la proscription de l’idée républicaine par les lois de septembre 1835, ils défendent imperturbablement les grands principes, réveillent les souvenirs de 1789, exigent le suffrage universel et dénoncent les tares du régime. Leurs chefs de file, bourgeois sincères mais sans envergure, sont Hippolyte Carnot*, le second fils du Conventionnel, E. J. L. Garnier-Pagès aîné (1801-1841) et Ledru-Rollin*.


Les légitimistes

Minoritaires, les défenseurs parlementaires de la branche aînée représentent en outre une tendance, celle des réalistes, ou « politiques », qui pensent, avec le talentueux Pierre Antoine Berryer (1790-1868), député des Bouches-du-Rhône, mener un combat efficace en composant avec les institutions. Leur libéralisme circonstanciel et parfois démagogique scandalise les vieux fidèles du drapeau blanc, qui se réfugient dans une abstention dédaigneuse. Le monde des manoirs et des gentilhommières ne se reconnaît pas toujours dans sa représentation parlementaire.

La vie politique à la Chambre se réduit principalement aux discussions d’affaires (la conversion des rentes, les chemins de fer, la question douanière...). Le pays réel, écarté des urnes, ignore ces débats ésotériques.


La Chambre des pairs

La Haute Assemblée est composée de membres nommés par le roi, mais la loi du 29 décembre 1831 a aboli l’hérédité. Elle possède une part du pouvoir législatif et juge des crimes de trahison et des complots contre l’État. Le nouveau régime a été très mal accueilli par de nombreux pairs, mais la plupart, satisfaits et honorés, servent tous les gouvernements orléanistes. Il est vrai que la Chambre haute, composée de grands seigneurs libéraux, d’anoblis de l’Empire, de « fournées » de la Restauration, voire de la monarchie de Juillet (la dernière est de décembre 1831), a une tradition de complaisance rarement démentie envers tous les régimes successifs. Âgés, étroitement unis par la communauté de fortune, de position sociale, de liens de famille, les pairs orléanistes sont très conservateurs.