Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Joseph II (suite)

La politique religieuse

L’anticléricalisme est issu de l’esprit philosophique. L’édit de tolérance de 1781 apparaît comme une concession à l’esprit du siècle (l’Aufklärung) et à l’utilité de l’État. Il accorde la liberté de conscience aux dissidents, permet l’édification de maisons de prière — les temples — sans clocher, accorde aux Juifs des conditions de résidence et de culte (privé) plus favorables.

La suppression de l’ordre des Jésuites, effectuée sous le règne de sa mère, accompagnée de la confiscation des biens, attribués au Studienfonds (1774), entraîne en 1781 une réorganisation générale des ordres monastiques (suppression des établissements ne se livrant ni à l’enseignement, ni à l’assistance) et de l’éducation, déjà commencée sous le règne précédent. Les revenus récupérés sont utilisés pour la modernisation des hôpitaux, pour la multiplication des « écoles moyennes » et des universités, dont celle de Vienne, pour l’établissement de séminaires, où les élèves sont formés selon les principes de l’Aufklärung.

La formation du clergé, qui reçoit un traitement, appartient à l’État ; le catholicisme reste religion officielle. Le pape Pie VI est accueilli à Vienne en 1782, mais l’empereur, soutenu par Kaunitz et Ludwig Cobenzl, reste ferme sur ses positions. Il se rend à Rome l’année suivante ; un concordat est signé pour la Lombardie. Le fébronianisme se manifeste par l’adhésion de Joseph II aux vingt-trois articles de la Punctation d’Ems (1786), qui tend à réduire les pouvoirs des papes à leurs attributions du iiie s. Instrument de lutte intérieure, le joséphisme apparaît également comme un article d’exportation.


La politique extérieure

Le but de cette politique est d’assurer plus de cohésion à ses États, d’arrondir ses possessions en suivant non plus l’esprit de l’Aufklärung, mais les principes les plus traditionnels de l’ambition monarchique : question allemande, politique des partages, question d’Orient, autant d’éléments à considérer successivement.

Le premier élément, qui tourne autour de la Bavière, objet des convoitises de l’empereur, a débuté au temps de la régence, Joseph II ayant épousé en secondes noces la fille de l’Électeur Maximilien III Joseph, mort en 1777 sans laisser d’héritiers. La guerre éclate entre l’Autriche et la Prusse ; engagée en Amérique, la France reste neutre. Par la paix de Teschen (13 mai 1779), l’Autriche renonce à la succession de Bavière. En 1785, Joseph II reprend ses projets, essaie à la fois d’obtenir la libre navigation sur l’Escaut et le troc de la Bavière contre les Pays-Bas autrichiens. Nouvel échec du fait de l’appui tiède de la France et de la constitution en Allemagne d’une ligue des Princes (Fürstenbund) sous l’inspiration de Frédéric II. En 1788 éclate la révolution brabançonne, qui ruine la domination autrichienne aux Pays-Bas.

Le deuxième élément tourne autour de la crise polonaise, ouverte, après la mort d’Auguste III en 1763, par l’élection, sous la pression russe, de Stanislas-Auguste Poniatowski. Le traité de partage de février-mars 1772 entre l’Autriche, la Prusse et la Russie, véritable attentat contre le droit des gens, accorde à l’Autriche 2 300 000 âmes en Galicie orientale et la Petite Pologne moins Cracovie.

Le dernier élément traite des rapports avec les Turcs, au moment où la Russie de Catherine II fonce vers la mer Noire, qu’elle atteint au traité de Kutchuk-Kaïnardji (1774), l’Autriche obtenant en 1775 la Bucovine. L’idée d’un partage de l’Empire turc fait du chemin : Joseph II déclare la guerre aux Turcs en février 1788, mais la situation est mauvaise : le Saint Empire est en effervescence, et la Prusse est menaçante. Selim III succède en 1789 au faible Abdülhamid Ier. Laudon s’empare de Belgrade en octobre de la même année. L’empereur meurt le 20 février 1790. Une paix peu glorieuse est conclue à Sistova (Svištov) par Léopold II (4 août 1791), au moment où, mettant en jeu principes et territoires, va s’ouvrir le grand conflit qui opposera l’Autriche des Habsbourg à la France révolutionnaire, qui a rejeté les Bourbons.

Le joséphisme

« Dans quelle mesure les différentes mesures qui constituent l’œuvre de Joseph II forment-elles un système coordonné méritant le nom de joséphisme, concept désignant un mythe ou plutôt deux mythes antagonistes, objet lui-même de bien des vicissitudes ? » (R. Bauer.) On s’accorde aujourd’hui à penser que les réformes de Joseph II ont été le couronnement et l’aboutissement d’une évolution fort longue, la personnalité de l’empereur disparaissant derrière la trame de la conjoncture politique, administrative, religieuse alors dominante dans l’Europe. Ce n’est plus l’empereur, mais le contenu spirituel lui-même auquel on a donné son nom qui est maintenant mythifié : d’un côté, le baroque autrichien, impérial, aristocratique, catholique et terrien ; de l’autre, le joséphisme anticatholique, voltairien, fébronien, laïque, voire libéral et étatique.

En fait, les idées de Joseph II, aussi éloignées de la philosophie du Siècle des lumières que du libéralisme d’inspiration française ou de l’utilitarisme britannique, aboutissent à renforcer l’absolutisme monarchique à l’image d’un empereur fonctionnaire, serviteur de l’État, épousant le germanisme par nécessité administrative, au sein d’un État supranational, ennemi des privilèges de la noblesse terrienne et courtisane, favorisant la naissance, difficile et tardive, d’une bourgeoisie nouvelle, support d’une vie intellectuelle rénovée, s’imposant d’elle-même à l’Église, dans laquelle elle voit une institution d’État, le prêtre étant considéré comme un professeur de morale et un administrateur — tolérant — des âmes.

Ainsi s’expliquent et la complexité de la notion de « joséphisme », qui a été souvent l’objet d’interprétations partisanes et passionnées, et les résistances diverses — sociale, linguistique, religieuse, nobiliaire, économique — qu’a rencontrées l’empereur face à une société dont il voulait faire le bonheur et qui ne l’aimait pas. Plus que la nécessité du changement inéluctable, au moment des grandes mutations structurelles de l’Occident européen, c’est cependant la méthode employée par Joseph II (rupture brutale avec le passé) qui a fait l’objet des critiques les plus vives. Mais, pour créer un État moderne, affirmer dans la bureaucratie la synthèse des forces rationnelles (M. Weber), éveiller au sein des différents peuples une conscience nouvelle dans une tentative — peut-être utopique —, et autour d’une capitale, Vienne, en plein éclat, d’État supranational, libérer l’homme tout en assurant la prospérité de tous, était-il possible de faire autrement ?

G. L.

➙ Autriche / Habsbourg.