Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jésus (Compagnie ou Société de) (suite)

Parmi leurs « ministères », il en est un qui procure aux Jésuites plus de tribulations que de consolations : les rois de France depuis Henri III jusqu’à Louis XV, les rois d’Espagne, les empereurs d’Allemagne, les rois de Pologne, ducs et princes choisissent de préférence leurs confesseurs dans la Compagnie. Comment s’y dérober quand Ignace, jadis, lui-même, ordonna à Luis Gonçalves da Câmara d’accepter ce poste auprès de Juan III, roi de Portugal ? Mais il suffit de citer le nom du père La Chaise (1624-1709), confesseur de Louis XIV, pour mesurer les désagréments d’un tel « honneur ».

En 1749, le dernier catalogue paru avant la suppression indique que l’ordre comptait 22 589 membres, dont 11 293 prêtres. Pourtant, lorsque Lorenzo Ricci est nommé général en 1758, tout le monde, et l’élu le premier, pressent la tempête.


La suppression de la Compagnie

Lorenzo Ricci ne se trompait pas ; mais il faudrait parler plutôt des suppressions que de la suppression de la Compagnie. C’est du Portugal que partit le premier assaut : pour se venger de la défaite que les Guaranis du Paraguay avaient infligée à leurs troupes, Joseph Ier et son ministre, le marquis de Pombal*, promulguèrent, le 3 septembre 1759, un décret contre les Jésuites : expulsions, déportations, bateaux-prisons, rien ne fut épargné aux religieux, surtout aux missionnaires.

Bientôt, la France imitait le Portugal : à la faveur de la « faillite » du P. Antoine La Valette à la Martinique, le parlement de Paris, par un arrêt du 6 août 1762, expulsait les Jésuites de tous les territoires dépendant de la Couronne ; et, par décret du 26 novembre 1764, Louis XV prononçait la dissolution de la Compagnie. Quelques années plus tard, le roi d’Espagne Charles III* et son ministre le comte d’Aranda agissaient plus brutalement encore : en une nuit (le 2 avr. 1767), ils faisaient arrêter et déporter tous les jésuites vivant sur leurs terres. Enfin, le 21 juillet 1773, Clément XIV, à l’instigation des Bourbons régnants, publiait le bref Dominus ac Redemptor, qui rayait de l’Église la Compagnie de Jésus. Les rois d’Espagne exigèrent même que le général Lorenzo Ricci soit emprisonné au château Saint-Ange, où il mourut en 1775.

En fait, le bref de Clément XIV n’eut jamais son plein effet. Outre que Pie VI, dès son élection (1775), prépara le rétablissement de la Compagnie, le bref n’atteignit pas les missionnaires de Chine ; la France ne l’appliqua pas au Levant, ni en Inde. Le roi de Prusse Frédéric II* et l’impératrice de Russie Catherine II* n’autorisèrent pas les évêques à le transmettre aux jésuites de leurs États. Une petite « semence » demeura vivante. La suppression n’en fut pas moins un coup pour l’ordre : des missions florissantes y périrent.


La Compagnie de Jésus rétablie : de 1814 à nos jours

Il serait prématuré de découper en époques ce siècle et demi. On peut cependant y retrouver les lois « biologiques » de la Compagnie ignatienne.

D’abord, le rythme fondamental. À peine renée de ses cendres par la constitution Sollicitudo omnium ecclesiarum de Pie VII (7 août 1814), la Compagnie — 70 membres à la fin de 1814 — relance les œuvres qui, alors, apparaissent les plus urgentes dans l’Église : missions populaires et extérieures, retraites, enseignement.

Ce faisant, elle suscite de nouveau autour d’elle amitiés et tempêtes. D’autant que le climat politique a changé depuis les révolutions nationales de la fin du xviiie s. : l’idée « républicaine » est née, révolutions et restaurations partout alternent. Les sociétés s’industrialisent peu à peu, accentuant les inégalités sociales, déchristianisant les masses, laïcisant les élites. Les unités nationales (notamment en Italie) se cherchent, et souvent par la guerre. Les gouvernements ont pris conscience de l’importance politique de l’école et s’efforcent de monopoliser l’université, etc. Dans ces conflits, quelles seront les options de la Compagnie de Jésus ? Son sort ?

Pour ne parler que de la France, songeons aux décrets de 1880 et aux lois de 1901 et de 1904 contre les congrégations, surtout enseignantes ; à la naissance de l’Action* catholique ; au rôle des théologiens jésuites dans la crise moderniste ; à la fondation de l’Action populaire ; ou, plus près de nous, à l’effort dramatique d’un Teilhard* de Chardin pour « réconcilier la science et la foi ». Dant tous les pays d’Europe, les Jésuites connaissent tour à tour exils ou faveurs selon les gouvernements en place.

Suivant l’esprit de ses origines, la Compagnie se développe en dehors de la vieille Europe ; des territoires de mission, spécialement aux Amériques, en Inde, au Levant, accèdent peu à peu au statut juridique de provinces. Mouvement spécialement sensible depuis que les peuples revendiquent l’indépendance politique. Le visage de la Compagnie de Jésus (comme celui de l’Église) s’en trouve modifié. Dans ses congrégations générales, comme dans ses hautes instances, la représentation européenne diminue en importance relative, tandis que le nombre des jésuites dans le monde augmente (du moins jusqu’en 1965). On comptait 20 000 compagnons en 1914, 33 828 en 1969 et 30 030 en 1973.


Aggiornamento

Il serait étonnant que la Compagnie de Jésus, dont l’histoire fut toujours si imbriquée dans l’histoire de l’Église, ne participât pas à la crise actuelle. En 1971, elle ne compte plus que 31 800 membres. Elle aussi, en raison même de ses Constitutions, doit faire son aggiornamento : il est en cours. Que sera demain ? On cite souvent cette anecdote d’Ignace, qui avouait à quelqu’un qui envisageait devant lui l’hypothèse d’une suppression de la Compagnie que ce serait pour lui une épreuve très dure, mais, disait-il : « Il me suffirait d’un quart d’heure d’oraison pour retrouver la paix. » Et de bons esprits ajoutent ; « ... et pour me remettre avec quelques compagnons au service de l’Église dans la personne du Vicaire du Christ. »