Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jésus (suite)

Jésus vient se faire baptiser par lui, puis, semble-t-il, l’imite dans sa prédication et dans son activité baptismale ; il recrute ses premiers compagnons parmi les disciples de Jean ; toujours, il manifestera une grande admiration pour le prophète du désert. À la suite de l’emprisonnement du Baptiste par Hérode Antipas, Jésus retourne en Galilée, choisit Capharnaüm pour centre de rayonnement, peut-être parce qu’il dispose là de la maison de Pierre. Il circule dans la région de Galilée, prêchant dans les synagogues aux jours du sabbat, annonçant la Bonne Nouvelle du royaume de Dieu, guérissant les malades. Probablement, ces derniers traits ont-ils été quelque peu forcés par les narrateurs, mais le fait de ces « miracles » est certain : les contemporains de Jésus ont reconnu — ou méconnu — l’action de Dieu agissant à travers ces actions surprenantes. Cependant le plus étonnant se montre dans la liberté souveraine avec laquelle Jésus accueille les « pauvres » (Matthieu, xi, 2-5), les femmes, les enfants, les déshérités, les gens méprisés par les « pratiquants ». Il bouscule ainsi l’étroitesse de vue et le rigorisme des pharisiens ; il place le bien de l’homme au-dessus de la pratique cultuelle (Marc, ii, 15-17), mais il se refuse à combler les aspirations révolutionnaires du peuple (Jean, vi, 14-15) ; si les paroles et les actes de Jésus ont une répercussion dans la politique, ils ne sont aucunement d’essence politique et n’ont rien à voir avec la manière des « zélotes ». Afin d’étendre son action et de répandre au loin la Bonne Nouvelle, Jésus groupe autour de lui quelques disciples fidèles, des pêcheurs et même un collecteur d’impôts. S’il en choisit douze de façon spéciale, c’est sans doute afin d’évoquer le nombre des tribus d’Israël et ainsi de préfigurer l’Israël nouveau.

Combien de temps a duré ce ministère en Galilée ? On hésite entre un, deux ou même trois ans, avec en plus quelques mois ; à cause des données du IVe Évangile, on se rallie ordinairement à deux ans et quelques mois. Au terme de cette activité, Jésus s’est heurté définitivement à ses contemporains. Hérode Antipas, qui a fait décapiter Jean, s’inquiète de ce prophète turbulent. Les chefs religieux ont juré de se débarrasser de lui. Enfin, les compatriotes de Jésus se méprennent sur la portée religieuse et non politique de son message. Ainsi s’explique le départ de Jésus : hors de Galilée, il veut rester incognito (Marc, vii, 36). Mais, après un bref séjour aux confins du pays, au cours duquel les disciples reconnaissent en lui le Messie (Marc, viii, 29), Jésus se rend à Jérusalem ; il en profite pour rectifier dans la mesure du possible la conception qu’ont les disciples de sa « messianité ». De la Transjordanie, où il s’est retiré un moment, il refait une apparition triomphale dans la capitale au jour de la fête des Rameaux. Probablement est-ce alors qu’il fait esclandre en chassant les marchands et changeurs du Temple. Cet acte de violence, joint à un enseignement de plus en plus radical et tranchant, l’engage dans un conflit irréductible avec les autorités sadducéennes et pharisiennes, qui décident de mettre fin à son activité et utilisent les offices de Judas le traître.

Quelques jours plus tard, Jésus prend un dernier repas (la Cène eucharistique), au cours duquel il fait ses adieux à ses disciples. Dans la nuit, au jardin de Gethsémani, où il est allé prier, il est arrêté, probablement par une troupe romaine, guidée par Judas (Jean, xviii, 3). Il est questionné au petit matin par les chefs juifs qui l’estiment digne de mort pour avoir blasphémé en prétendant à une dignité divine ; ils le livrent donc au préfet Pilate. Celui-ci le juge au lithostrotos (au « Dallage », en un lieu qu’on a peut-être identifié à Jérusalem), prenant sur lui la responsabilité juridique de la condamnation de Jésus : c’est un agitateur qui a troublé l’ordre public en se prétendant « roi des Juifs ».

La date précise de ces événements reste controversée. Jésus est sûrement mort un vendredi qui tombait soit le jour de la Pâque du 15 nisan (pour ceux qui estiment que la Cène correspond au repas pascal du 14), soit plus vraisemblablement la veille de la fête de Pâques, c’est-à-dire le 14 nisan ; ces deux possibilités permettent de retenir, entre 29 et 36, les dates suivantes : 18 mars 29, 7 avril 30, 27 avril 31, 3 avril 33 et 23 avril 34. Les années 30 et 33 ont le plus de partisans. Pour le jour du dernier repas, trois hypothèses sont avancées. Jésus aurait anticipé le repas pascal par rapport à la coutume officielle soit de son propre chef, soit en se conformant au calendrier essénien (en ce dernier cas, ce serait alors le mardi soir). D’autres critiques pensent que le dernier repas de Jésus ne fut pas célébré selon le rite pascal, mais dans une ambiance pascale.

La vie de Jésus semble achevée avec la mise au tombeau. Cependant, l’historien demeure en présence d’une histoire qui continue : l’histoire de Jésus devient celle de ses disciples. Ceux-ci en effet déclarent que le tombeau de Jésus a été trouvé vide et que Jésus leur est apparu vivant à diverses reprises. Ce constat ouvre une question, comme nous le dirons plus loin.


Ce que Jésus a dit

Avant de rapporter les réponses à cette question, l’historien se doit d’interroger les paroles de Jésus et ainsi d’accéder à sa pensée. L’entreprise est conditionnée par l’état des textes : ceux-ci ne nous livrent pas des paroles enregistrées en quelque sorte sur magnétophone, si bien qu’on n’obtient ordinairement pas les ipsissima verba de Jésus ; mais ils nous permettent, moyennant l’exercice de la critique, d’atteindre ce que Jésus a pensé. On a pris Jésus tour à tour pour un rabbi, c’est-à-dire pour un maître d’enseignement, et pour un prophète, c’est-à-dire pour un homme qui, ayant le sens de Dieu, manifeste le sens du présent des hommes et parfois annonce ainsi l’avenir. Quand il parle, Jésus se montre à la fois héritier de la tradition biblique et homme d’expérience personnelle soit dans la manière dont il présente son message, soit dans ce qu’il dit sur lui-même. Aussi le Dieu dont il révèle la présence dans l’histoire n’est-il pas, aux yeux et sur les lèvres de Jésus, un personnage dont on parle à l’occasion, mais quelqu’un qui est là, partout, à partir duquel seulement on peut comprendre le temps, l’homme, l’humanité entière.