Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

Shikitei Samba (1776-1822), tout en faisant fortune dans la pharmacie, publia des ouvrages fort divers, notamment d’excellentes critiques de théâtre. Sa gloire littéraire, cependant, est fondée sur deux « livres drolatiques » : l’Ukiyo-buro (Au bain public, 1809-1812), et l’Ukiyo-doko (Chez le barbier, 1812-1814). Dans ces deux « salons où l’on cause », toute la population d’Edo se mêlait, sans distinction de rang ni de fortune. Il suffisait d’enregistrer les conversations en les arrangeant à peine pour obtenir, sous forme de dialogues à bâtons rompus, un tableau complet de toute une société, dont l’effet comique est irrésistible.


Le théâtre

Dès le xviie s. s’était constitué à Kyōto, puis à Edo et à Ōsaka un théâtre d’acteurs, le kabuki, issu directement des spectacles de bateleurs et des kyōgen. Fort populaire dans les trois villes, il évoluait assez rapidement vers un véritable théâtre dramatique, à qui la coopération de l’acteur Sakata Tōjūrō et de Chikamatsu avait contribué à donner le contenu littéraire qui lui manquait encore. L’association du dramaturge avec Gidayū, puis la mort de Tōjūrō, qui détermina sa conversion totale au jōruri, porta un rude coup au kabuki, qui se replia sur Edo, dont le public, plus fruste, se montrait moins exigeant sur la qualité littéraire des spectacles. C’est là qu’Ichikawa Danjūrō (1660-1704) mit au point le style dit aragoto (« manière rude »), qui, par un grossissement des effets, contribua efficacement à la stylisation du jeu.

Lorsque, après la mort de Chikamatsu et passé l’émerveillement causé par les perfectionnements apportés aux marionnettes vers 1730, le public commença à se lasser du jōruri, le kabuki effectua un retour triomphal en lui empruntant son répertoire, à commencer par les pièces de Chikamatsu. Bientôt, les auteurs se détournèrent des poupées pour écrire directement pour le kabuki. Parallèlement, Edo supplanta Ōsaka dans son rôle de capitale du théâtre. Ce déplacement est illustré par la carrière des trois Namiki (nom transmis de maître à élève) : le premier, Sōsuke (1695-1751), fut le dernier des grands auteurs de jōruri ; le second, Shōzō (1730-1773), converti au kabuki, vécut à Ōsaka ; le troisième, Gohei (1747-1808), émigra à Edo en 1794. C’est à Edo, enfin, que vécurent les deux meilleurs dramaturges du xixe s. : Tsuruya Namboku et Kawatake Mokuami.

Tsuruya Namboku (1755-1829) consacra la rupture définitive avec le jōruri en créant une forme de drame propre au kabuki, par la synthèse du dialogue dramatique mis au point par Chikamatsu et des techniques de la « manière rude » d’Edo. Il excella dans le drame fantastique, dont le chef-d’œuvre reste l’Horrifique Histoire de Yotsuya (Yotsuya Kaidan), qui retrace les tribulations d’un mari persécuté par le spectre d’une épouse assassinée.

Kawatake Mokuami (1816-1893) est au kabuki ce que Zeami fut au et Chikamatsu an jōruri. Comme Ikku et Samba, il était issu du peuple des bas quartiers d’Edo, dont mieux que personne il a su rendre la vivacité, l’humour, l’ironie et la truculence dans ses drames, dont les héros sont des mauvais garçons de la ville. Cela ne l’empêcha nullement de porter à la scène des adaptations de et des drames historiques dont la subtilité fait encore aujourd’hui les délices des connaisseurs. Dans la dernière partie de son œuvre, contemporaine de la restauration de Meiji, son ironie s’exerça, avec une grande finesse, aux dépens de la bourgeoisie « évoluée », dont le snobisme consistait à singer l’Occident.


La poésie

Si les lettrés continuent à cultiver le waka, toutes les classes de la société s’adonnent au haïku. Les vrais poètes, cependant, sont rares ; on peut retenir pour le waka le moine Ryōkan (1757-1831), qui retrouve parfois la liberté de ton et la fraîcheur du Manyō-shū, pour le haïku le peintre Buson (1716-1783), qui illustra les haibun de Bashō, et surtout Kobayashi Issa (1763-1827), poète tendre et sensible, le seul qui puisse être mis en parallèle avec Bashō et qui, comme ce dernier, laissa une série de nikki parsemés de haïku.

Face au waka et au haïku, genres sérieux, citons, pour être complet, les kyōka (« chants sans rime ni raison ») et les senryū, qui admettent, dans les mêmes formes métriques, la parodie, la satire, le calembour, voire le non-sens délibéré ; replacés dans leur contexte historique et sociologique, ils apportent des renseignements fort utiles sur la société du temps.


La littérature contemporaine (de 1868 à nos jours)


L’ère Meiji (1868-1912)

La chute des Tokugawa, la restauration impériale de Meiji et l’introduction brutale de la culture occidentale remettaient en cause toute la civilisation japonaise, fondée sur l’apport chinois du vie au viiie s. Les lettres, bien entendu, subirent immédiatement le contrecoup de cette véritable révolution. L’intérêt du public jeune se détournait subitement des auteurs d’Edo pour se tourner vers ceux qui lui révélaient les secrets de la suprématie scientifique, technique et politique de l’Europe et de l’Amérique.

C’est ce qui explique le succès sans précédent d’un Fukuzawa Yukichi (1834-1901), dont l’État de l’Occident (Seiyō-jijō, 1866) atteignit dès le premier tome un tirage de 200 000 exemplaires ; cette popularité fut dépassée bientôt par la Promotion des sciences (Gakumon no susume, 1872-1876), dont les dix-sept volumes atteignirent les 700 000. Ce triomphe étonnant était dû précisément à ce que les critiques traditionalistes reprochèrent à l’auteur : pour être compris « par une servante venue des montagnes qui les entendrait lire à travers une cloison », celui-ci avait écrit ses livres dans une langue rajeunie, proche de l’expression parlée. À ce titre et bien que pour lui les préoccupations proprement littéraires n’eussent guère compté, Fukuzawa doit être cité parmi les précurseurs des lettres modernes.

L’Occident étant à la mode, certains littérateurs se taillèrent de beaux succès avec des « à la manière » des « livres drolatiques », tel Kanagaki Robun (1829-1894) avec son Voyage en Occident (Seiyō dōchū Hizakurige), qui promène dans un Londres de fantaisie les facétieux héros de Jippensha Ikku, ou l’Agura-nabe, pastiche de l’Ukiyo-buro, qui réunit autour d’un plat de viande de bœuf à l’européenne les nouveaux bourgeois de Tōkyō.