Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

Chikamatsu avait trouvé un rival en Ki no Kaion (1663-1742), qui, du reste, ne faisait que l’imiter, quand il ne le pastichait pas. Après sa mort et jusque vers 1780, plusieurs auteurs travaillèrent pour le théâtre de marionnettes ; souvent, ils s’associaient à plusieurs pour monter de lourdes machines pseudo-historiques, dont l’intérêt principal résidait dans les prodiges de virtuosité qu’elles exigeaient d’animateurs qui avaient considérablement perfectionné leur jeu.

Matsuo Munefusa, dit Bashō*, porta à sa perfection l’art du haïku et du haibun. En plus de milliers de haïku recueillis en plusieurs anthologies par ses disciples, son œuvre comporte une centaine de haibun, cinq récits de voyage (kikō) et deux journaux poétiques (nikki). Le chef-d’œuvre en est la Sente étroite du Bout-du-Monde (Oku no Hosomichi, 1702), récit d’un voyage dans les provinces du Nord.


Le siècle d’Edo (1750-1850)

Au xviie s., Ōsaka, devenu le centre commercial du Japon, avait, par l’élaboration d’une littérature bourgeoise et populaire, représentée par les sōshi, les jōruri et les haikai, supplanté Kyōto dans sa primauté culturelle. Capitale administrative des Tokugawa, Edo, qui avait d’abord été le quartier général des gens de guerre, avait attiré cependant une population de plus en plus nombreuse, au point de rivaliser avec les métropoles de l’Ouest. Tout le Japon, peu à peu, se mettait à la mode d’Edo, qui devint au cours du xviiie s. le centre intellectuel du pays, où s’élaboraient les théories politiques qui aboutirent en 1868 à la restauration du pouvoir impérial, mis en tutelle par les shōgun depuis le xiie s., restauration qui fera d’Edo la « capitale de l’Est », Tōkyō.

Les Tokugawa, qui attachaient une grande importance aux idées politiques confucéennes, avaient fondé à Edo une sorte d’université sinologique dont l’activité fut considérable pendant les deux siècles et demi de leur gouvernement. Une très abondante littérature philosophique en résulta, faite principalement de commentaires des classiques chinois.

Citons parmi les lettrés qui s’y distinguèrent : Hayashi Dōshun (1583-1657), théoricien officiel du régime ; Kaibara Ekiken (1630-1714), moraliste qui fut célèbre par ses recueils de préceptes, et notamment par son École des femmes (Onna-daigaku) ; surtout Arai Hakuseki (1657-1725), dont l’autobiographie, Ori-taku-shiba-no-ki (Feu de bois), se lit encore avec intérêt.

En face de ces « sinologues » (kangaku-sha), une nouvelle école de philologues « japonisants » (kokugaku-sha ou wagaku-sha) tenta de réhabiliter les lettres nationales en remettant à la mode les classiques anciens : Manyō-shū, Ise-monogatari, Genji-monogatari, etc. L’un des premiers fut Kitamura Kigin (1624-1705), qui fut, en matière de haikai, le maître de Bashō. Shaku Keichū (1640-1701), avec une grande étude sur le Manyō-shū publiée en 1690, inaugurait une méthode plus rigoureuse en revenant à l’étude directe du texte, par-delà les commentaires qui l’avaient submergé pendant des siècles. Kada no Azumamaro (1669-1736) engagea ces recherches sur les sources nationales dans une voie politique, en les opposant aux idées chinoises et bouddhiques ; ce fut le point de départ de ce qui deviendra à la fin du xixe s. le shintoïsme d’État, fondement théorique du nipponisme totalitaire moderne. Son disciple Kamo (no) Mabuchi (1697-1769) devint un des oracles les plus écoutés du nationalisme.

La renommée de ce dernier fut toutefois surpassée de loin par Motoori Norinaga (1730-1801), qui fit du Kojiki un commentaire exhaustif (Kojiki-den) qui fait encore autorité dans une certaine mesure. Dans le domaine strictement littéraire, il fut cependant éclipsé par son ennemi acharné Ueda Akinari, à qui l’étude attentive du Manyō-shū, de l’Ise-monogatari, et du Genji-monogatari inspira un style narratif nouveau, adroite synthèse entre la manière de l’ukiyo-zōshi qu’il pratiqua à ses débuts et celle des monogatari de Heian, dans les Contes de pluie et de lune (Ugetsu-monogatari), publiés en 1776, et dans son recueil posthume des Contes de pluie de printemps (Harusame-monogatari). Il fut ainsi l’initiateur d’un genre romanesque nouveau, celui des yomi-hon (« livres de lecture »), dans lequel s’illustrèrent Santō Kyōden (1761-1816) et Takizawa Kai, dit Kyokutei Bakin (1767-1848).

Kyōden était venu à ce genre sérieux après la publication d’une série de « livres plaisants » (share-bon), dont le caractère scabreux lui avait valu quelques ennuis. À vrai dire, ses yomi-hon paraissent aujourd’hui assez ennuyeux par leurs intentions lourdement moralisatrices.

Moralisateur, Bakin le fut aussi, hypocrisie en moins, avec ses interminables romans de chevalerie, qui firent les délices des lettrés pendant un bon siècle. Si l’histoire allégorique des Huit Chiens de Satomi de Nansō (Nansō Satomi hakken-den), publiée en livraisons de 1814 à 1842, peut sembler bien tortueuse, les Yumi-hari-zuki (l’Arc tendu en forme de croissant de lune, 1814-1821), inspirés du Hōgen-monogatari, procurent par moments le plaisir que l’on trouve dans les vieilles épopées.

À l’arrière-plan de cette « grande littérature » foisonnent les opuscules de tous genres, généralement illustrés, descendance bâtarde et dégénérée des ukiyo-zōshi. Les kusa-zōshi, classés d’après la couleur de leur couverture en « livres jaunes, rouges, noirs ou bleus », comportent quelques réussites, tel le spirituel Rêve de splendeur de maître Kinkin (Kinkin-sensei eiga noyume, 1775). Les share-bon, en revanche, sont dans l’ensemble franchement vulgaires et parfois bassement licencieux, voire pornographiques.

Infiniment plus intéressants sont les « livres drolatiques » (kokkei-bon), qu’illustrèrent deux écrivains authentiques, Ikku et Samba. Jippensha Ikku (1765-1831), après avoir exercé les métiers les plus divers, vint à Edo en 1794 et s’y fit un beau succès comme feuilletoniste. C’est en cette qualité qu’il entreprenait en 1802 la publication d’une sorte de guide burlesque du Tōkaidō, la route de Kyōto à Edo, le Tōkai-dōchū-hizakurige (le Voyage du Tokaido sur le destrier Genou), publication qui se poursuivit jusqu’en 1822.