Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

Ossessione est une protestation talentueuse contre la mode des « téléphones blancs », contre les intrigues bourgeoises optimistes et aussi contre le cinéma de « prestige officiel ». Cette recherche de l’authenticité sociale et humaine va éclater trois ans plus tard dans le mouvement néo-réaliste, qui s’impose à partir de Rome ville ouverte (1945) de Roberto Rossellini. Bien que l’importance du néo-réalisme soit primordiale non seulement dans l’histoire du cinéma italien, mais aussi dans l’évolution du cinéma mondial, il serait tout à fait erroné de prétendre que le nouveau mouvement ait rassemblé sous sa bannière tous les cinéastes en activité. De plus, certains films qui se réclamaient ouvertement de cette tendance furent loin d’être des succès financiers. En fait, le néo-réalisme est né de certaines circonstances spécifiques de l’après-guerre : la ruine des studios et la pénurie de matériel divers obligeront les réalisateurs à tourner le plus souvent en décors naturels. Très marqués par la situation politique, sociale et économique de l’époque, certains metteurs en scène s’attachent à montrer sans fard la vérité quotidienne du monde qu’ils côtoient, mêlant aux comédiens de métier des acteurs non professionnels, négligeant toutes coquetteries de style au profit d’une plus juste appréhension de la réalité vécue. De 1945 à 1953, plusieurs thèmes vont être successivement traités : la description des désastres de la guerre et leurs implications sociales (Rome ville ouverte [1945], Païsa [1946], Allemagne année zéro [1948] de Roberto Rossellini ; Sciuscia [1946] de Vittorio De Sica ; Le soleil se lèvera encore [1946] d’Aldo Vergano ; Années difficiles [1948] de Luigi Zampa), les problèmes agraires et la question méridionale (Chasse tragique [1947], Riz amer [1948], Pâques sanglantes [1950] de Giuseppe De Santis ; le Moulin du Pô [1949] d’Alberto Lattuada ; le Chemin de l’espérance [1950] de Pietro Germi ; et surtout La terre tremble [1948] de Luchino Visconti), le sous-emploi urbain (le Voleur de bicyclette [1948] et Miracle à Milan [1950] de Vittorio De Sica), la peinture de la classe moyenne (Umberto D [1952] de Vittorio De Sica ; les Vitelloni [1953] de Federico Fellini), la condition de la femme (Feux du music-hall [1950] de Fellini et Lattuada ; Onze heures sonnaient [1951] de Giuseppe De Santis ; les premiers films d’Antonioni).

À ce panorama, dont les préoccupations sociales sont évidentes, viennent se greffer d’autres films plus pittoresques et optimistes, comme ceux de Renato Castellani (Sous le soleil de Rome, 1947 ; Deux Sous d’espoir, 1951). Vers 1953-54, le néo-réalisme s’essouffle, et ses principaux adeptes cherchent d’autres voies : Alberto Lattuada dans le Manteau, Renato Castellani dans Roméo et Juliette, Roberto Rossellini dans Voyage en Italie, Luchino Visconti dans Senso, Federico Fellini dans La Strada, Il Bidone, puis les Nuits de Cabiria, Michelangelo Antonioni dans Femmes entre elles et le Cri échappent au courant qu’ils ont contribué à imposer. De Sica, après l’Or de Naples (1954), se laisse séduire par des projets plus commerciaux, qui n’ajoutent rien à sa réputation. La Route longue d’une année [La Strada lunga un anno, 1958] de De Santis apparaît à sa sortie comme l’ultime avatar du néo-réalisme. La production italienne tend de plus en plus à se diversifier : films comiques (notamment avec l’acteur Toto), films néo-mythologiques (Vittorio Cottafavi, Riccardo Freda), comédies de mœurs (où s’illustre Pietro Germi). Mais parallèlement se développe un cinéma d’auteur, dont les chefs de file sont Antonioni (L’Avventura, 1959) et Fellini (La Dolce Vita, 1959) ; le premier, en explorant — par longs plans modulés — les voies de l’introspection, le second, en proposant une satire baroque et exubérante de la vie moderne par le biais d’une cruelle fresque sociale, apparaissent comme d’importants novateurs. Les années 60 seront riches en œuvres de grande valeur : Antonioni tourne successivement la Nuit (1960), l’Éclipse (1961), le Désert rouge (1964) Blow-up (1966), Zabriskie point (1969), Chung Kuo, la Chine (1973), Fellini Huit et demi (1962), Juliette des esprits (1965), le Satyricon (1969), Roma (1971) ; Visconti Rocco et ses frères (1960), le Guépard (1962), Sandra (1964), Mort à Venise (1970), le Crépuscule des dieux (1972).

Des noms nouveaux apparaissent : Francesco Rosi, Ermanno Olmi, Vittorio De Seta, Elio Petri, Pier Paolo Pasolini, Valerio Zurlini, Gillo Pontecorvo, Damiano Damiani, Mauro Bolognini, Franco Zeffirelli, tandis que d’autres poursuivent une carrière inégale, mais ponctuée parfois d’œuvres de réelle valeur, comme Mario Monicelli (auteur notamment des Camarades en 1963), Alberto Lattuada, Carlo Lizzani, Pietro Germi, Dino Risi, Marco Ferreri, Francesco Maselli.

Le cinéma italien prend à partir de 1960 une place de tout premier plan dans la production mondiale. Après avoir épuisé la veine néo-mythologique, le cinéma dit « commercial » invente le « western-spaghetti » (où s’illustre à partir de 1964 Sergio Leone), le film d’espionnage imité des James Bond britanniques et inonde le marché de comédies satiriques qui, à travers mille facilités et vulgarités, égratignent de-ci de-là l’ordre social, voire les traditions religieuses. À l’opposé de ces produits plus ou moins stéréotypés se développe un cinéma socio-politique qui ne craint pas de traduire par l’image la plupart des grands problèmes du moment (l’œuvre de Francesco Rosi, de Salvatore Giuliano [1961] à l’Affaire Mattei [1971], est particulièrement exemplaire sur ce point). Ce cinéma s’oppose aux divers essais contestataires qui surgissent un peu partout dans le monde après 1968 par une solide maturité de pensée, sans pour autant nier les règles élémentaires du spectacle. Outre Francesco Rosi, Elio Petri, Bernardo Bertolucci, Marco Bellochio, Liliana Cavani, les frères Taviani, Marco Leto s’imposent comme les plus talentueux partisans d’un cinéma de réflexion.

L’Italie, malgré de nombreuses crises endémiques, paraît mieux armée que certains de ses voisins pour résister à la brutale chute de fréquentation cinématographique qui, depuis 1955-1957, n’épargne aucun pays du monde. De 819 millions de spectateurs en 1955 (année record), la fréquentation est passée à 536 millions en 1971.

J.-L. P.