Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

islām (suite)

Géométrie

Le goût des Arabes pour les mathématiques, leur sens de l’abstrait leur font affectionner les lignes géométriques, auxquelles s’accommoderont le sens turc de l’ordre, le goût iranien pour la rêverie. Mais le cercle ou l’étoile ne répondent pas, comme chez le géomètre grec, au souci de contempler la perfection du cercle ou de l’étoile. Ils ne sont que le prétexte à de nouveaux cercles, à de nouvelles étoiles. Les polygones s’emboîtent les uns dans les autres, s’engendrent successivement, ne sont jamais que formes ouvertes, génératrices d’autres formes.


Flore

Le décor floral, dès le début de l’époque ‘abbāsside, devient une combinaison non naturaliste d’éléments naturels, tels que la feuille de vigne ou les pommes de pin. La palmette, l’acanthe, constamment aimées, se stylisent de plus en plus au cours des siècles. Par un effort accru d’abstraction, l’artiste musulman redécouvre avec elles l’arabesque, dont, en fait, l’origine est préislamique, mais qui n’apparaît pas dans les premières œuvres de l’islām. En gestation peut-être à Mchattā, elle semble presque accomplie au miḥrāb de la Grande Mosquée de Cordoue (xe s.). Vers le xie s., conduite à ses conséquences extrêmes, elle devient une des expressions les plus caractéristiques des arts islamiques. Chaque feuille, divisée en deux moitiés dans le sens de la longueur, donne naissance à des rameaux d’où repart la guirlande. Le galon détermine l’épure. Toutes les surfaces doivent être également remplies ; l’ensemble bien équilibré ne doit pas comporter de vide. On a vu dans l’arabesque la quête de l’infini ou celle de l’unité. Elle est, en tout cas, la plus formelle négation des formes fermées et des limites ; elle est un refus délibéré de la nature, considérée comme une simple série arbitraire d’accidents sans durée.


Calligraphie

C’est avec des principes à l’origine entièrement différents que naît la troisième grande ressource du décorateur musulman, la calligraphie (en pierre, brique, stuc, céramique, peinture, etc.). Cette science, préoccupation constante de l’enseignement, parce que l’écriture seule permet de conserver et d’étudier la parole de Dieu, a dû s’élaborer par la méditation sur les formes de deux lettres, le lam(L) et l’alif(A), comportant de hautes hampes, qui servent à écrire le nom d’Allāh et la première partie de la profession de foi. Les plus anciens textes sont en écriture dite coufique (de la ville de Kūfa) : les lettres sont placées sur une même ligne de base, dessinées avec rigidité et articulées en angles (dinars omeyyades, Coran, inscriptions lapidaires des tombeaux). Telle quelle, la calligraphie couvre inégalement les surfaces, surchargeant le bas de la ligne et laissant quasiment nu le haut. Mais rapidement elle, évolue. À la fin du xe s., les lignes s’élargissent, les lettres se terminent par des lobes ou des fleurons, parfois des rameaux s’enroulent autour des hampes (coufique fleuri), ou encore des nœuds placés à mi-hauteur coupent la ligne des lettres hautes (coufique tressé). Dans un but purement décoratif, les caractères sont placés en figures géométriques : ils s’entrecroisent en forme de carré (coufique géométrique). À partir du xiie s., peut-être par suite de la vulgarisation du papier de chiffon, le cursif (naskhī) tend à remplacer l’écriture antérieure. Son emploi bientôt systématique rapproche calligraphie et arabesque. Les lettres s’assouplissent, s’arrondissent, ne suivent plus la ligne de base. Des éléments floraux s’insèrent entre les surfaces calligraphiées, remplissent les vides. Sur les sculptures, ils sont souvent en plus faible relief que les lettres, réalisant ce décor à deux plans cher à l’islām. Un « ductus » de plus en plus délié conduit à l’enchevêtrement des mots : le texte seul parvient à garnir intégralement les lignes. Ce cursif connaît plusieurs variantes : le thuluth, employé souvent pour de courtes formules de louanges ; le ta‘līq, penché ; le nasta‘līq, variante du ta‘līq caractérisée par l’absence de ligatures.


Art figuratif

Contre le goût pour l’abstrait qui se manifeste tant dans le décor géométrique que dans la calligraphie et qui conduit le décor floral à s’éloigner de la nature, l’art figuratif réagit, du moins dans la mesure où l’animal n’est pas à son tour dégradé, c’est-à-dire traité comme le serait le végétal. Contrairement à une opinion répandue, le Coran n’interdit pas la représentation des êtres vivants ; il se contente de mettre en garde contre l’idolâtrie. C’est plus tardivement, à partir du ixe s., alors que les traditions du Prophète (les ḥadīth) ont été recensées, que les textes condamnant dans une certaine mesure les effigies d’hommes et d’animaux ont commencé à être divulgués. Plus tard encore, les docteurs de la loi ont renchéri sur eux. Finalement, le sentiment populaire des derniers siècles a été franchement iconoclaste. C’est à lui qu’on doit les innombrables destructions de peintures et surtout de sculptures léguées par les époques antérieures.

Il est certain que, dès les premières œuvres, l’art religieux a exclu avec soin toute représentation de la vie humaine ou animale : les manuscrits du Coran, le mobilier des mosquées, les mosquées elles-mêmes, ces dernières à quelques exceptions près, ont été et resteront strictement aniconiques. De même, il sera entendu qu’on ne peut représenter ni le Prophète ni les saints, ce qui n’empêche pas plusieurs manuscrits de le faire (Mir ‘ādj nāme ou Vie de Mahomet, Bibliothèque nationale). Par contre, à peu près à toute époque, les arts mineurs, bronzes, céramiques, ivoires, tissus, mettront en scène, presque avec prédilection, la faune sauvage et les humains dans leurs actions les plus diverses. Il se peut que nous ayons surtout affaire à un courant de pensée non sémitique (iranien ou turc) et non orthodoxe (chī‘ite). La situation est plus complexe en ce qui concerne la peinture et la sculpture figuratives.