Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

Le gouvernement Cosgrave (1922-1932)

Non content d’avoir rétabli l’ordre, le gouvernement Cosgrave entreprit de rénover l’Irlande. Formé de ministres dynamiques, jeunes et compétents, il bénéficia d’une grande liberté d’action, car la décision des députés républicains de ne pas siéger au Dáil Éireann réduisit à néant l’opposition parlementaire.

Cosgrave chercha tout d’abord à préserver une atmosphère confiante dans les relations anglo-irlandaises : Londres accepta d’ailleurs de nommer au poste de gouverneur général — c’est-à-dire de représentant du roi dans un dominion — un nationaliste notoire, Timothy Healy. Lorsque la commission qui avait été nommée pour délimiter les frontières avec l’Irlande du Nord (dont deux comtés avaient de toute évidence une population en majorité catholique et nationaliste) eut donné les preuves de sa partialité, le délégué irlandais démissionna et une grave crise éclata (nov. 1925) : mais, malgré la pression d’une opinion publique survoltée, Cosgrave adopta là encore une politique conciliante et accepta de signer avec Londres un traité qui, s’il impliquait la reconnaissance de facto des frontières de l’Ulster, comportait de gros avantages financiers pour l’État libre.

Cosgrave sut en outre tirer parti de la position de l’Irlande au sein du Commonwealth pour permettre aux produits de l’agriculture irlandaise, qui jouissaient de la préférence impériale, de s’imposer sur le marché britannique. Les finances de l’État ayant été assainies par les réformes du ministre E. Blythe, l’économie irlandaise connut une certaine prospérité dans le domaine agricole, où Patrick Hogan, ministre de l’Agriculture, prit des mesures très efficaces pour améliorer les circuits d’exportation et de distribution, aussi bien que dans le domaine industriel, où le ministre de l’Industrie et du Commerce P. McGilligan n’hésita pas à faire appel au grand capital européen pour réaliser les investissements nécessaires (allemands pour l’hydro-électricité, belges pour l’industrie sucrière). La justice, la police, l’armée, l’administration furent réorganisées.

Cette œuvre comportait cependant de graves faiblesses. Sa pierre angulaire était le maintien de relations commerciales intenses avec la Grande-Bretagne. Or, la grande crise économique de 1929 porta un coup fatal aux exportations irlandaises, dont les prix s’effondrèrent. En outre, la politique de Cosgrave était beaucoup plus profitable aux grands propriétaires et à la bourgeoisie qu’aux petits paysans, qui représentaient l’immense majorité de la population irlandaise. Aussi l’opposition s’était-elle peu à peu renforcée, surtout lorsque, après l’assassinat de O’Higgins en juillet 1927, les républicains recommencèrent à siéger au Dáil, d’ailleurs à leur corps défendant. Les effets de la crise économique s’aggravant, les républicains, regroupés au sein d’un nouveau parti, le Fianna Fáil, allié au « Labour Party », eurent la majorité aux élections de 1932.


De Valera au pouvoir (1932-1948)

Le premier objectif de De Valera* était de rompre avec la Grande-Bretagne. Cela fut accompli en deux phases : tout d’abord, en 1932, De Valera désigna, de sa propre autorité, le nationaliste D. Buckley comme gouverneur général et il supprima le serment d’allégeance que les députés du Dáil devaient prêter au roi d’Angleterre. En même temps, il mit fin au remboursement des dettes dues par l’Irlande à la Grande-Bretagne.

Une véritable guerre économique s’ensuivit (1932-1938), qui compromit gravement le développement du pays. Certes, celui-ci parvint à se suffire à lui-même, mais ce fut au prix de considérables sacrifices. Puis, en 1937, profitant de l’abdication du roi Edouard VIII, qui mit le gouvernement britannique en une position de moindre résistance, De Valera prépara une nouvelle Constitution qui, adoptée, entra en vigueur le 29 décembre 1937. Il n’était nulle part question du roi d’Angleterre, sans que le nouvel État, appelé Éire, soit formellement désigné comme une république. Le gouverneur général était remplacé par un président, chef de l’État.

Cette Constitution était très catholique dans ses principes généraux, le peuple de l’Éire ne se reconnaissant d’obligations qu’envers Dieu. Pourtant, De Valera, qui ne perdait pas de vue que son but ultime était la réunification de l’Irlande, tenait à ne pas choquer l’opinion de l’Irlande du Nord ; le premier président de l’Irlande, Douglas Hyde (1860-1949), spécialiste de la littérature gaélique, fut d’ailleurs un protestant. En 1938, un accord intervint sur le contentieux financier anglo-irlandais : en un seul versement, l’Irlande éteignait sa dette, tandis que l’Angleterre évacuait les bases navales qu’elle occupait encore dans l’Éire.

La fin de la guerre économique améliora un peu la situation dans le pays, où une opposition souvent très violente (groupes communistes dans l’IRA, mouvement fasciste des « chemises bleues » d’Eoin O’Duffy) était apparue. Il est vrai que le gouvernement De Valera ne pouvait, dans ce domaine, se targuer que de médiocres réussites, si l’on excepte la mise sur pied de sociétés nationales (telle la compagnie aérienne « Aer Lingus » en 1936).

Mais la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle l’Irlande observa une neutralité très bienveillante à l’égard des Alliés, fut bénéfique au pays : plus de 200 000 Irlandais allèrent travailler en Grande-Bretagne, tandis que la production agricole et industrielle irlandaise s’écoulait facilement.

L’Irlande, en 1945, avait acquis des quantités considérables de devises. Pourtant, la popularité du Fianna Fáil baissait : l’usure due au pouvoir, le vieillissement de ses cadres allaient permettre en 1948 la victoire d’un nouveau parti, le Clann na Poblachta, dirigé par Sean MacBride, allié au Fine Gael, le vieux parti de Cosgrave, dirigé par John A. Costello.


L’évolution de l’Irlande depuis 1949