Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

La Grande Famine

En septembre 1845, il fut évident que la maladie de la pomme de terre allait réduire considérablement la récolte de ce légume, qui formait la base de l’alimentation de la plus grande partie de la population irlandaise. Mais nul ne semble avoir soupçonné l’ampleur du phénomène : la « Grande Famine » fit, en cinq ans, disparaître près du quart de la population irlandaise (un million de morts et plus de un million d’émigrés).

Il faut d’abord comprendre quelles étaient les causes de cette catastrophe. La première est d’ordre démographique : l’Irlande, qui avait, à la fin du xviie s., 1 500 000 habitants, en avait 4 500 000 en 1800 et entre 8 500 000 et 9 millions en 1845 ! Cet énorme accroissement de la population s’était reflété sur la structure agraire : sur 700 000 tenures, 300 000 avaient une superficie inférieure ou égale à 1,2 ha. Or, l’industrie irlandaise, qui aurait pu absorber une part importante de cette main-d’œuvre, avait été ruinée (si l’on excepte les constructions navales et l’industrie linière de la région de Belfast) par les tarifs imposés par l’Angleterre. L’Irlande était donc essentiellement vulnérable à l’évolution des prix agricoles : alors que les hausses de la fin du xviiie s. et celles qui étaient dues au Blocus continental avaient entretenu une certaine prospérité jusque vers 1815, la baisse du prix du blé avait affaibli la position des tenanciers, qui, vendant leur blé, se nourrissaient uniquement de pommes de terre. Enfin, ces tenanciers restaient pour la plupart soumis à l’arbitraire des intendants, qui représentaient sur place les grands propriétaires absents : à tout moment, un tenancier pouvait recevoir un préavis d’éviction de sa tenure dans les six mois (sauf dans l’Ulster). La misère de cette petite paysannerie était donc très grande, et de mauvaises récoltes de la pomme de terre qui avaient affecté certaines régions de l’Irlande en 1836, 1837 et 1839 avaient montré la gravité de la menace.

C’était donc toute une structure sociale et politique — du maintien de laquelle l’Angleterre était largement responsable— qui était à l’origine du mal. Cela fut confusément ressenti par les Irlandais et ils retinrent, des efforts déployés par l’Angleterre à l’occasion de la famine, l’envoi de troupes destinées au maintien de l’ordre plus que l’importance des secours.

Les séquelles de la catastrophe fuient considérables : la population, retombée à 6 500 000 habitants en 1851, ne cessa dès lors de décroître. Un énorme courant d’émigration vers l’Angleterre et les États-Unis se créa. L’âge des mariages se modifia : l’Irlande fut dès lors un pays de mariages tardifs, où beaucoup restaient célibataires. Les structures agraires se modifièrent : les petites tenures disparurent peu à peu, et les intendants préférèrent reconvertir les exploitations à l’élevage, évinçant sans vergogne les tenanciers. Cette mutation s’accomplit dans la douleur : le problème de la terre, problème social, paraît désormais au premier plan des préoccupations. L’opposition purement politique des O’Connell ou des gens de la Jeune-Irlande avait vécu : une autre lutte, plus radicale, commençait.

J.-P. G.

J.-P. G.

➙ Celtes / De Valera (E.) / Gladstone (W. E.) / Grande-Bretagne / O’Connell (D.) / Parnell (Ch.) / Sinn Féin.


La république d’Irlande

En gaélique Poblacht na h-Éireann.

Elle a vécu repliée sur elle-même pendant les quarante premières années de son existence (1921-1961), dans un sentiment de méfiance à l’égard de la Grande-Bretagne et sous la protection de hautes barrières douanières. La vie économique se caractérisait alors par la prépondérance de l’agriculture, la pénurie de capitaux, la lenteur de l’industrialisation, des taux élevés de chômage et d’émigration. Une politique opposée a été inaugurée en 1958-59, qui vise à assurer le plus grand nombre possible d’emplois dans le pays même de façon à enrayer l’émigration en faisant appel aux capitaux étrangers pour qu’ils créent ces emplois supplémentaires. Les résultats obtenus par la nouvelle politique économique sont encourageants. Mais le passé pèse encore très lourd ; la République a une économie relativement peu développée pour un pays européen.


L’histoire de la république d’Irlande


Des débuts difficiles (1921-1923)

Le traité du 6 décembre 1921 que signaient à Londres les plénipotentiaires irlandais (Arthur Griffith, E. Duggan, Michael Collins), menacés par Lloyd George d’une déclaration de guerre, donnait naissance à l’État libre irlandais, qui faisait partie du Commonwealth*. Aux yeux de beaucoup, le traité présentait de graves inconvénients : non seulement les liens avec la Grande-Bretagne n’étaient pas suffisamment dénoués (des bases navales anglaises restaient installées sur le territoire irlandais), mais surtout les territoires de l’Irlande du Nord restaient partie intégrante du Royaume-Uni. De Valera refusa d’ailleurs de ratifier ce traité, qu’il considérait comme une trahison, et, lorsque le Parlement irlandais, le Dáil Éireann, l’eut ratifié en janvier 1922, il démissionna et prit la tête de l’opposition « républicaine », appuyé par une importante fraction de l’Armée républicaine irlandaise (IRA).

Sitôt né, le jeune État était donc profondément divisé. D’un côté, il y avait le gouvernement provisoire, dirigé par le populaire Michael Collins (1890-1922) et soutenu par Arthur Griffith (1872-1922), élu président en remplacement de De Valera, et par la hiérarchie catholique. Face à lui se dressaient la plupart des anciens Sinn Féiners, inspirés par E. De Valera, qui refusaient la partition de l’Irlande.

Les partisans du traité triomphèrent pourtant en juin 1922, obtenant 58 sièges au nouveau Dáil, contre 38 seulement aux républicains. Mais ces derniers n’étaient pas disposés à s’incliner : bientôt l’Armée républicaine irlandaise multipliait les attentats. Une véritable guerre civile commençait ; le 22 août, Collins était assassiné près de Cork, peu de temps après la mort de Griffith. Le Dáil n’en poursuivit pas moins son action : après avoir élu William Thomas Cosgrave (1880-1965) pour succéder à Griffith, il mit au point la Constitution irlandaise qui fonctionna à partir du 6 décembre et s’employa à réprimer l’agitation républicaine. Cosgrave et Kevin O’Higgins, vice-président et ministre de la Justice, firent appel aux cours martiales, voire aux exécutions sans jugements. En 1923, De Valera lui-même prôna le retour au calme.