Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

 J. Gagé, la Montée des Sassanides et l’heure de Palmyre (A. Michel, 1964). / J. B. Mellaart, The Earliest Settlements in Western Asia (Cambridge Ancient History, 1967). / R. H. Dyson, The Archaeological Evidence of the Second Millenium on the Persian Plateau (Cambridge Ancient History, 1968). / L. Van den Berghe, À la découverte des civilisations de l’Iran ancien (Bruxelles, 1968).


l’Iran islamique


La conquête et la domination arabes

L’histoire des premiers siècles de l’Iran islamique est particulièrement mal connue ; les vaincus, c’est-à-dire les Sassanides zoroastriens, n’ont pas laissé de chronique, et cette période capitale n’est pour ainsi dire éclairée que par les récits des historiens arabes ou iraniens convertis.

On dit souvent que l’Iran sassanide et ses valeurs traditionnelles se sont rapidement écroulés sous les coups des combattants de l’islām, que ses soldats se sont rendus sans se battre et que le peuple, en voyant l’étendard du « Prophète » porteur de la vérité coranique, s’est rapidement islamisé. En réalité, la guerre fut difficile — les Arabes durent réduire la résistance de l’armée royale sassanide et livrer ensuite de nombreuses batailles afin d’occuper villes et provinces — et l’islām, imposé par la force et par des contraintes économiques, ne fut accepté que lentement.

C’est sous le règne du deuxième calife ‘Umar (634-644) que les armées arabes entreprirent la conquête systématique de l’Iran. Leurs généraux surent profiter des dissensions internes ainsi que de la désorganisation des armées perses. Cet état de choses provenait du chaos dynastique et des guerres irano-byzantines qui précédèrent l’avènement du dernier roi sassanide, Yazdgard III (632-651). Le premier choc important eut heu en 637 en Mésopotamie : la bataille de Qādisiyya, qui permit par la suite aux Arabes de prendre Ctésiphon (Madā’in), la capitale des Sassanides. La victoire de Nehavend (Nihāwand) de 642, que les Arabes appelèrent Fath al-Futūh (« la victoire des victoires »), leur ouvrit les portes du plateau iranien. Yazdgard III chercha en vain à reconstituer ses forces, mais en 651 il fut assassiné avant d’y parvenir. Tout l’Iran, sauf les provinces caspiennes, tomba peu à peu aux mains des vainqueurs.

Les Arabes ne considéraient pas les Iraniens zoroastriens comme des infidèles soumis à la conversion obligatoire ou à la mort. Les « gens du Livre » (chrétiens, juifs et zoroastriens) pouvaient conserver leur religion en payant une taxe spéciale (djiziya). Cela incita beaucoup de gens à changer de foi. Qui plus est, la conversion permettait aux nobles et aux propriétaires terriens de conserver leurs domaines. C’était aussi le meilleur moyen pour gravir les premiers échelons de l’autorité, sans toutefois pouvoir obtenir au cours du premier siècle de l’islām des postes clés.

Malgré les révoltes, les Iraniens zoroastriens ne purent se débarrasser des envahisseurs, car ils étaient désorganisés, et l’ennemi restait fort. À peine se libéraient-ils du joug d’un gouverneur arabe qu’un autre prenait sa place (cas du Sistān, du Khorāsān, etc.). Bientôt, face à l’intolérance grandissante, de nombreux zoroastriens se réfugièrent dans des régions éloignées et montagneuses comme le Makrān, d’autres partirent pour l’Inde (premier départ vers le Kāthiāwār en 700).

La première révolte réussie fut celle d’Abū Muslim du Khorāsān. Il ne s’agissait pas encore d’un soulèvement antiarabe, mais d’un mouvement qui visait à destituer les califes Omeyyades. Ces derniers avaient, malgré l’égalitarisme de l’islām, imposé le principe dynastique, la domination d’une aristocratie arabe et un système fiscal écrasant, les taxes (djiziya) étant perçues même auprès des nouveaux convertis. Cette politique avait mécontenté les Iraniens ainsi qu’une partie des Arabes, qui s’engagèrent nombreux dans l’armée d’Abū Muslim.

Le dernier Omeyyade, Marwān II, fut déposé en 749 au profit d’un descendant de l’oncle du Prophète, Abū al-‘Abbās.

L’avènement des ‘Abbāssides* mit fin à la période de l’arabisme pour inaugurer l’ère d’un islām cosmopolite dans lequel l’élément irano-turc allait jouer un rôle éminent. Les conséquences furent nombreuses : l’administration passa entre les mains de puissants vizirs, qui formèrent, comme les Iraniens Barmakides, de véritables dynasties ; le siège de l’empire fut transféré de Damas, terre arabo-byzantine, à Bagdad, nouvelle capitale fondée en 762, au voisinage de l’antique Ctésiphon sassanide ; les coutumes sassanides envahirent la Cour ; la littérature persane fut traduite en arabe ; l’armée, cessant d’être arabe, compta de plus en plus de mercenaires persans et turcs.


L’indépendance et la renaissance iraniennes

Sous les ‘Abbāssides, les luttes de succession donnèrent aux Iraniens l’occasion d’acquérir leur indépendance politique. L’aide massive apportée par les Persans pour assurer l’avènement de cette dynastie ne signifiait nullement leur soumission totale au califat. Bien au contraire, leurs sentiments ethniques s’affirmèrent dans le mouvement chu ‘ūbiyya ; les zoroastriens, encore nombreux, composaient en pahlavi leurs principaux ouvrages (ixe-xe s.) ; grondaient aussi les révoltes fomentées par les « faux prophètes » comme Senbād le Mage en 754-55, Muqanna‘ « le Voilé » en 770-780 et Bābak Khurramī (Khorrami) en 816-837.

Le calife al-Manṣūr dut envoyer son fils al-Mahdī pour mettre de l’ordre dans les affaires du Khorāsān et essayer de conquérir le Māzandarān. Le fameux Hārūn* al-Rachīd se vit contraint d’entreprendre une expédition en Iran oriental, lors de laquelle il mourut (809). La dispute entre ses deux fils al-Amīn et al-Ma’mūn fut réglée au profit de ce dernier, qui résidait en Iran et dont la mère était iranienne, et grâce à l’appui que lui fournit Ṭāhir l’Ambidextre (Taher Zolyaminein), le Khorasanien. Plus tard, effrayé par la puissance grandissante de celui-ci, al-Ma’mūn l’envoya comme gouverneur au Khorāsān. Ṭāhir ibn Ḥusayn (775 ou 776-822) y fonda en 820 la première dynastie iranienne postislamique. Les Tāḥirides (820-873) reconnaissaient en principe l’autorité toute nominale du calife, mais, en fait, ils gouvernèrent en maîtres absolus des bords de l’Indus à Rey (au sud de Téhéran).

L’exemple de la réussite des Ṭāhirides éveilla les ambitions de ceux qui allaient s’en prendre directement et fortement à la personne du calife. Ṭāhir lui-même en avait déjà donné l’exemple en supprimant dans la prière du vendredi, et peu avant sa mort, le titre de calife.