Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

Les tentatives des Séleucides pour rétablir leur souveraineté sur les rois et dynastes locaux ne donnent que des résultats éphémères. Au milieu du iie s. av. J.-C., l’Arsacide Mithridate Ier met la main sur la majeure partie de l’Iran et transforme la domination de sa horde en un véritable État conçu sur le modèle hellénistique. (V. Arsacides.) Mais, dans cet empire, l’hellénisation ne progresse plus guère, l’iranisme reprend le dessus et les principautés locales abondent. Cependant, si les Parthes ont dû abandonner l’extrémité orientale de l’Iran aux Tokhariens, maîtres de la Bactriane et de la vallée de l’Indus, ils ont étendu leur domination à la Mésopotamie, à partir de laquelle ils tenteront plus d’une fois de rééditer l’expansion achéménide vers l’ouest.

L’évolution politique et culturelle n’influe guère sur la civilisation matérielle. Malgré l’importance du commerce qui traverse l’Iran (dès l’époque parthe, au moins, la soie de Chine s’ajoute aux denrées traditionnelles), les villes et les monuments restent, en gros, cantonnés dans l’ouest de l’Iran. Les Séleucides se contentent de changer les noms des cités, et les Parthes placent leurs capitales de préférence en Mésopotamie.

G. L.


L’Iran sassanide

On a défini cette période (224 apr. J.-C. - 651) comme un retour à l’âge d’or des Achéménides avant Alexandre le Grand, et comme une réaction nationaliste hostile aux influences étrangères. Cette conception est aujourd’hui dépassée : en vérité, les Sassanides* avaient tout oublié de leurs illustres prédécesseurs. Même s’ils avaient encore sous les yeux les ruines fameuses de Persépolis, leur connaissance de Cyrus et de Darios restait très superficielle et auréolée de légendes, telle que les Parthes la leur avaient transmise. Certes, il existe des analogies entre la période achéménide et la période sassanide : de même que les Perses d’Akhaimenês (Achéménès) supplantèrent les Mèdes, leurs frères de race, de même les Perses d’Ardachêr succédèrent aux Parthes. Et de même que l’empire des Achéménides s’effondra rapidement sous les coups d’Alexandre, de même celui des Sassanides ne résista pas longtemps aux armées arabes.

Mais ces analogies ne sont que formelles, car les uns et les autres surent profiter de l’expérience de leurs devanciers, qu’ils n’écartèrent pas à tout prix des postes de responsabilité. Il n’y eut pas rupture avec le passé. La présence de la langue parthe, à côté du moyen perse, attestée tout au long du iiie s. sassanide, manifeste une certaine continuité. La grande inscription du roi Narsès (293-302) est encore rédigée dans les deux dialectes, parthe et moyen perse, et les Parthes y sont cités à de multiples reprises en compagnie des Perses. Aussi bien, dans le passage des Parthes Arsacides aux Perses Sassanides, il n’y a pas eu révolution, mais seulement changement de personnalités et de tendances. Un nouveau parti s’installe au pouvoir, qui a su profiter d’une conjoncture exceptionnelle, aussi bien de la désagrégation de la monarchie résultant de la sécession des satrapies et de l’insoumission d’une partie de la noblesse que de la faiblesse des Romains, qui vivent alors la période la plus sombre de leur histoire. Voilà comment s’explique grosso modo le succès des deux premiers Sassanides, Ardachêr (v. 226-241) et Châhpuhr Ier (241-272), dont les noms, au demeurant, sont parthes.

Cependant, la Perse de cette époque fait partie d’un monde nouveau depuis que s’est étendu le christianisme, en Mésopotamie particulièrement, et que de nouvelles religions voient le jour en Iran, comme le manichéisme, ou y pénètrent, comme le bouddhisme à l’est, en Asie centrale. Il se produit là un fait nouveau, capital pour l’histoire religieuse de l’Iran : ce foisonnement de religions concurrentes et prétendant à l’universalisme conduira le zoroastrisme à s’organiser en une religion d’État puissante et hiérarchisée, et à se faire le persécuteur de ces religions étrangères. (V. mazdéisme.)

Dès le iiie s., la religion de Zarathushtra, qui avait toléré tant les cultes assyro-babylonien, chaldéen, juif, égyptien que la religion grecque, devient véritablement intolérante. C’est la fin d’un monde iranien où la cohabitation des croyances était possible. Mais que l’on ne se hâte pas de généraliser, car, au plan de la culture profane, l’Iran demeure toujours perméable aux apports étrangers. En dépit des persécutions religieuses inaugurées par le grand mage Kirdîr et poursuivies officiellement par l’appareil politico-religieux aux ive et ve s., on assiste en Iran, dans le domaine des lettres, à un phénomène d’importance majeure qui a pu se produire très probablement vers la fin de l’époque sassanide, aux vie et viie s. mais qui se prolonge bien au-delà dans les siècles suivants. Il s’agit du passage de la culture orale à la culture écrite. On sait, en effet, combien les Iraniens de l’Antiquité croyaient à la force des traditions orales et, en contrepartie, négligeaient la « chose écrite ». La rareté des documents historiques ou religieux, jusqu’à la fin de la période sassanide, en est la preuve. Ce n’est pas par la destruction systématique ou par l’usure du temps que l’on peut expliquer l’absence quasi totale de sources proprement iraniennes pour l’histoire de la Perse antique, qui ne nous est connue qu’à travers les sources étrangères.

Mais, sous la pression des religions à écritures, et par l’effet du brassage des cultures au cœur même de l’Iran sassanide, qu’il s’agisse de la culture gréco-latine, arménienne, chrétienne (syriaque) ou indienne, les Iraniens, au cours d’une lente évolution, comprirent la nécessité de consigner par écrit leurs traditions, qu’elles fussent religieuses ou profanes. Ainsi, la codification des textes sacrés de l’Avesta et la mise par écrit des commentaires en langue pahlavie ne se sont faites qu’à cette époque tardive où les grands Khosrô encouragèrent les lettres et les arts, voire plus tard. De même, la rédaction écrite des premières épopées (Livre des Rois) en pahlavi, qui seront utilisées dans la littérature persane naissante, ou des recueils sapientiels (andarz) appartient à cette même époque. On peut dire que cette transformation a conditionné tout l’avenir de la culture persane islamisée.

P. G.