Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ioniens (les) (suite)

Un autre Milésien, Hécatée (v. 550 av. J.-C. - v. 480), contemporain de Darios Ier, roi de Perse, fut l’un des voyageurs les mieux informés de l’époque : davantage anthropologue que philosophe, il exprime par excellence l’idée d’enquête. Ayant visité plus d’une centaine de peuples de par le monde alors connu, il a laissé deux sommes, le Tour de la Terre et les Généalogies, qui firent longtemps autorité. Y sont consignées de précieuses indications relatives aux territoires, aux climats, à l’économie, à l’organisation politique et à l’histoire des peuples qu’il a étudiés.

Héraclite d’Éphèse (première moitié du vie s. av. J.-C. - 480?), lui aussi ionien, marque cependant une rupture avec la tradition philosophique milésienne. Membre de la famille royale, mais s’étant désisté de sa fonction en faveur de son frère, il affiche un mépris sans bornes pour ses contemporains, frappant particulièrement de ses sarcasmes ses devanciers immédiats ; rien ne subsiste, chez lui, de la curiosité milésienne pour les faits d’observation, et tout son dédain s’abat sur l’enquête, l’investigation concrète. Sa pensée est d’ailleurs infiniment plus fine, et le domaine de celle-ci infiniment plus global que ceux des Milésiens.

La notion de flux occupe la place centrale dans sa réflexion. « Tout coule », « on ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve », deux phrases qui expriment sa conception de l’être. Celui-ci est tout entier mobilité, écoulement, fluidité ; mais c’est un écoulement sans changement, sans transformation de la réalité en une autre réalité. L’écoulement est cyclique, et à chaque changement correspond un changement contraire qui le neutralise. Ce mouvement perpétuel, les hommes l’ignorent, ils ne voient pas l’instabilité qui sous-tend l’apparente fixité. La nature interne, l’essence de ce qui est, c’est l’opposition des contraires. À la conception milésienne d’une coexistence « juste » et paisible des contraires, il substitue un état de conflit dynamique entre ceux-ci qui n’est autre que la loi organisationnelle de l’univers. En fait, un contraire est nécessaire à son contraire, chacun subsistant grâce à l’autre ; l’antagonisme bipolaire (froid et chaud, par exemple) est constitutif de ce qui est et lui confère son harmonie ; la contradiction est le facteur d’équilibre du cosmos. Dès lors, rendus inséparables par cet antagonisme, deux contraires deviennent identiques : bien et mal s’équivalent au sein de l’unité qui les englobe ; mieux, le contraire devient son propre contraire (le froid devient chaud et vice versa). Ceci, qui constitue le principe rationnel de toutes choses, leur loi de proportion et de mesure, leur ordre, Héraclite le nomme logos : écoulement et mobilité universels, lutte constante et identité des contraires. Harmonie de l’ensemble, de caractère divin, ce principe est simultanément une réalité matérielle, le feu. Dieu suprême, il est identique à la substance de l’univers ; tout ce qui existe en est issu et y retournera, et il se confond avec l’âme du tout. La Terre provient de la condensation extrême du feu, qui s’y dégrade et renaît incessamment. Une âme individuelle n’est pas autre chose qu’une parcelle détachée du feu cosmique, appelée à y retourner ; elle est d’autant plus forte qu’elle est plus embrasée et sèche ; lorsqu’elle devient humide, elle meurt. Le feu condensé devient humidité ; comprimé, il se transforme en eau, et l’eau gelée donne naissance à la Terre.

Surnommé « l’Obscur », Héraclite tient la nature, qui « aime le secret », pour une vaste énigme, et son mode d’expression semble s’efforcer de refléter celle-ci : la forme aphoristique, métaphorique et paradoxale, le style oraculaire caractérisent son langage. Les stoïciens furent les premiers à reconnaître une valeur à son œuvre, longtemps méconnue par ses contemporains.

J. N.

 G. S. Kirk (sous la dir. de), Heraclitus, the Cosmic Fragmente (Cambridge, 1954). / A. Jeannière, la Pensée d’Héraclite d’Éphèse et la vision présocratique du monde (Aubier, 1959). / C. Ramnoux, Héraclite ou l’Homme entre les choses et les mots (Les Belles Lettres, 1959). / K. Axelos, Héraclite et la philosophie (Éd. de Minuit, 1962). / R. Mondolfo, Heracliteo (Mexico, 1966).
V. également la bibliographie de l’article Éléates.

ionosphère

Région de la haute atmosphère présentant une forte densité de particules ionisées et entourant, en couches conductrices, le sol terrestre.


L’ionosphère se rencontre ainsi, à la verticale de tout lieu, à partir d’une altitude d’une soixantaine de kilomètres et jusque vers 800 km, où elle se raccorde à la magnétosphère*. Son existence, déjà avancée par Balfour Stewart en 1883, s’est affirmée indirectement avec les premières transmissions radiotélégraphiques à grande distance réussies par G. Marconi* en 1901. Heaviside en Angleterre, Kennelly aux États-Unis postulèrent alors, indépendamment, que les ondes hertziennes avaient pu suivre la courbure de la surface terrestre grâce à des réflexions en altitude sur des surfaces conductrices. Sinon, ces ondes, se propageant en ligne droite, auraient dû se perdre dans le demi-espace situé au-dessus de la station d’émission. Une autre explication, par courbure des rayons par diffraction, soumise au calcul par H. Poincaré*, ne donna pas les ordres de grandeur requis. La notion d’une « couche de Kennelly-Heaviside » se répandit, mais il fallut attendre les résultats d’Appleton (en 1925, déduits de l’observation de nœuds et ventres de réception), confirmés peu après par ceux de Breit et Tuve. Ces expériences ayant montré que tout un ensemble de couches entraient en jeu, les organisations internationales adoptèrent le terme ionosphère (proposé par sir Robert A. Watson-Watt) pour désigner toute la région qu’elles occupent.


Détermination expérimentale de la constitution de l’ionosphère

Parmi de nombreuses méthodes, bornons-nous à celle, fondamentale, de Breit et Tuve, par laquelle se font les sondages ionosphériques verticaux (fig. 1) pratiqués quotidiennement (par exemple de quart d’heure en quart d’heure) à la plupart des stations ionosphériques (pour l’utilisation la plus efficace des télécommunications). Ces auteurs firent appel à une technique alors nouvelle : émission (suivant la verticale) de trains puisés à front raide et de courte durée (env. 1/10 000 s) constitués par une onde porteuse de fréquence convenable (0,5 à 10 MHz). La réception, au voisinage de la station d’émission, de l’écho du train pulsé ainsi émis (s’il s’est, effectivement, réfléchi sur une couche ionisée) permet, par la durée mesurée du trajet aller et retour, de calculer une « hauteur virtuelle » correspondant à la réflexion (v. radar). Cette hauteur virtuelle diffère de la hauteur vraie du fait que l’on suppose que toute la propagation s’est faite à la vitesse de la lumière dans le vide, alors qu’elle devient plus faible — et mal connue — pour les trajets dans l’ionosphère. Les conditions mêmes de la réflexion ne sont pas celles d’une « réflexion métallique » (comme celle que fit intervenir Appleton pour les « ondes longues » et des angles d’incidence élevés, correcte dans ce cas), mais celles d’une interaction entre le champ électrique de l’onde montante et des « électrons libres » provenant de l’ionisation des couches considérées. Quant aux ions — positifs pour la plupart —, ils n’entrent pas directement dans ce mécanisme, étant trop lourds. Mentionnons cependant les principaux d’entre eux : O2+, O+, N2+, He+ et H+, ces deux derniers seulement pour les couches les plus élevées. Ils jouent, par contre, un rôle important dans les processus photochimiques de formation des couches et les phénomènes lumineux liés aux aurores. L’ensemble des électrons se comporte comme un milieu optique d’indice n donné par

écrit en unités M.K.S.A. rationalisées, є0 étant la constante diélectrique du vide, N la densité cubique des électrons libres, e et m respectivement leur charge et leur masse, ω la pulsation de l’onde porteuse. Dans ces conditions, l’onde montante se réfléchit (vers le bas) quand n s’annule, ce qui détermine la valeur de N ainsi atteinte, en fonction de la fréquence de l’onde envoyée et de la hauteur virtuelle correspondante. Une telle mesure, appliquée à un émetteur muni d’un « balayage (automatique) en fréquence » (ω devenant ainsi un paramètre d’exploration), donne un ionogramme mettant en évidence — sondage par sondage (par cycle de balayage) — les différentes couches constituant l’ionosphère à ce moment (fig. 2). Les sondages successifs en fourniront l’évolution. Notons que, chaque fois que par augmentation progressive de ω on atteint une densité N qui dépasse celle de la concentration maximale existant dans la couche correspondante, l’onde traverse cette couche pour aller se réfléchir sur une couche supérieure si une concentration N suffisante y est trouvée. Cela explique l’allure des ionogrammes (fig. 3 et 4). On appelle « fréquence critique » celle pour laquelle une onde cesse d’être réfléchie par une couche déterminée. À partir d’une fréquence suffisante (10 à 20 MHz, suivant les cas), toute l’ionosphère se laisse traverser, et l’onde passe. Signalons aussi les « explorations » in situ, ou « par le haut », les émetteurs étant portés par des fusées ou des satellites, et de nombreuses méthodes par sondages obliques (par exemple : excitation d’une diffusion incohérente par une émission latérale de très haute fréquence).