Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anatomie (suite)

De plus, l’embryologie a permis la mise en évidence de deux principes fondamentaux en anatomie comparée : l’homologie et l’analogie. On appelle homologues des organes qui ont même origine embryonnaire, même structure fondamentale, mais qui peuvent ne pas avoir la même fonction. Ainsi sont homologues le bras de l’Homme, l’aile de l’Oiseau ou la nageoire de la Baleine ; ces trois organes, d’origine commune, ont des structures et des fonctions locomotrices qui sont commandées par le milieu dans lequel se meut chacun de ces animaux. Sont également homologues les os qui assurent l’articulation de la mâchoire et sa suspension au crâne chez les Poissons (hyomandibulaire, carré et articulaire), ainsi que les osselets de l’oreille moyenne des Mammifères (étrier, enclume et marteau) ; dans ce cas, les fonctions diffèrent profondément, puisqu’il s’agit dans un cas de nutrition et dans l’autre d’audition, sans que ces organes cessent d’être homologues. C’est un des grands mérites de l’anatomie comparée d’avoir pu établir une telle homologie ; ce n’est que très récemment qu’une forme reptilienne fossile a permis de fournir la preuve matérielle de cette correspondance.

On appelle analogues des organes qui ont même fonction, mais des structures distinctes et des origines embryologiques différentes. Ainsi sont analogues la nageoire caudale des Poissons et celle des Cétacés, deux groupes de Vertébrés aquatiques qui doivent assurer leur déplacement dans le même milieu. Cette analogie résulte de la convergence des modes de vie de ces deux groupes d’animaux.

Un autre résultat spéculatif qu’autorise l’anatomie comparée conduit à l’anatomie fonctionnelle ; par là se crée le lien entre anatomie et physiologie. Les corrélations fonctionnelles liant les organes entre eux sont en effet telles que toute modification importante de l’un des organes entraîne une modification corrélative de l’autre. L’étude, de préférence quantitative, d’un grand nombre d’espèces voisines, mais de biologie variée, permet de dresser la liste des organes qui évoluent dans le même sens et qui ont donc de grandes chances d’être liés fonctionnellement. Cet aspect de l’anatomie comparée est fort utile dans le cas où ces liaisons fonctionnelles sont difficiles à mettre en évidence, par exemple dans le système nerveux.

Il est alors possible de rapprocher soit des organes récepteurs sensoriels de leurs centres nerveux de projection, soit des centres cérébraux entre eux, soit enfin des centres moteurs de leurs effecteurs.


Esquisse historique

On considère classiquement Aristote comme le père de la zoologie ; il est tout aussi légitime de lui attribuer la paternité de l’anatomie comparée. Des nombreuses observations directes qu’il fit du monde animal, y compris par la dissection, il tira une conception de l’organisation animale et de la classification qui restera incomparable, en dépit de ses imperfections, pendant près de vingt siècles. Aristote eut le génie de comprendre d’emblée le principe des corrélations structurales et fonctionnelles, l’existence et la signification des organes vestigiaux, et enfin le principe d’une évolution animale depuis les formes primitives simples jusqu’aux formes supérieures complexes, avec transformation concomitante de l’organisation.

L’école italienne, en réveillant l’intérêt pour l’anatomie humaine, suscita les travaux parallèles, sur les espèces animales, de savants comme les Italiens Ippolito Salviani (1514-1572) et Ulisse Aldrovandi (1522-1605), et les Français Guillaume Rondelet (1507-1566) et Pierre Belon (1517-1564). Ces descriptions, bien qu’elles soient encore imparfaites, aboutissent à la Zootomia democritea de Marco Aurelio Severino (1580-1656), première tentative d’explication raisonnée de l’organisation animale, ou aux travaux de l’Anglais Thomas Willis (1621-1675), premier à avoir utilisé le terme d’anatomia comparata avec le sens que nous lui donnons encore. Le xvie siècle vit aussi l’éclosion des études embryologiques, dont Fabrici d’Acquapendente fut l’initiateur et qui conduisirent rapidement Harvey à l’adage toujours vérifié : Omne vivum ex ovo (Tout être vivant provient d’un œuf).

Le xviiie siècle fournira lui aussi des études préliminaires à l’anatomie comparée, notamment grâce au grand retentissement qu’eurent les travaux du Suédois Linné* et les publications du Français Buffon*. Toute la seconde moitié de ce siècle verra fleurir les monographies, alors que la morphologie sort peu à peu du rôle mineur d’étude préparatoire aux travaux physiologiques, qu’Albrecht von Haller (1708-1777) ou Félix Vicq d’Azyr (1748-1794) voulaient lui réserver, pour s’ériger en science autonome. Goethe* définit ainsi l’anatomie comparée comme la science qui s’élève du particulier pour parvenir à la conception d’un plan d’organisation générale.

C’est également le principe sur lequel s’appuie Lorenz Ockenfuss, dit Oken (1779-1851), et, malgré les résultats auxquels il est souvent parvenu, c’est lui qui a mis l’accent sur la nécessité de rechercher ce qui rapproche les espèces plutôt que de mettre en évidence ce qui les différencie. C’est là le premier passage des études analytiques aux vues synthétiques.

En même temps, l’école française, avec notamment Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), mettait en évidence la multiplicité de fonctions que peut avoir un même organe d’un groupe animal à l’autre et préparait la notion d’homologie, encore imprécise jusqu’alors.

L’anatomie comparée en était arrivée là quand Georges Cuvier* décida, en quelque sorte, de tout reprendre à la base ; il réétudia l’anatomie d’un grand nombre de groupes d’animaux en partant de l’idée que l’organe ne se comprend que si l’on connaît l’organisme tout entier et que si l’on a une idée précise de la fonction de cet organe. De plus, comme les organes montrent dans leur fonctionnement une dépendance réciproque, il en résulte la loi importante de la corrélation entre les parties. Cuvier a également utilisé la réciproque de cette loi, à savoir que, si l’on connaît parfaitement un organe, on peut en déduire la conformation de l’organisme tout entier ; il en a même fait la démonstration à partir des restes fossiles de la Sarigue du gypse de Montmartre. Le zoologiste russe Karl Ernst von Baer (1792-1876) appliqua à l’embryologie des principes fixistes voisins de ceux de Cuvier. Mais les fixistes et Cuvier, malgré son autorité, ne purent s’opposer longtemps à l’idée d’évolution qu’avaient émise Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire, et que modifiera ultérieurement Charles Darwin. Les résultats que fournissent l’anatomie comparée, l’embryologie et la paléontologie concordent pour s’opposer au fixisme dogmatique de Cuvier ; ils conduisent l’Allemand Haeckel à formuler sa « loi biogénétique fondamentale », reprise au zoologiste allemand émigré au Brésil Fritz Müller (1821-1897). Cette loi, suivant laquelle « l’ontogénie est une récapitulation abrégée de la phylogénie », fut formulée en 1864 dans une brochure écrite en faveur des thèses de Darwin. Si Haeckel se montra trop enthousiaste à son égard, au point d’infléchir les faits quand c’était nécessaire, elle demeure exacte dans son principe et les anatomistes ont maintes occasions d’en vérifier le bien-fondé.

L’anatomie comparée n’a pas de méthodes qui lui soient propres ; elle profite et des progrès techniques que le morphologiste ou le physiologiste réalisent et de l’accumulation de documents qui résultent de la prolifération des recherches en cours de nos jours.