Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

Le nationalisme n’offre pourtant pas les mêmes garanties qu’au siècle dernier. Avec le progrès des fabrications, l’échelle optimale s’est accrue dans la plupart des activités industrielles, au point qu’il faut des marchés de plusieurs dizaines de millions d’habitants ou de plus de cent millions pour tirer parti de tous les avantages. En Europe occidentale, en Europe orientale aussi dans une certaine mesure, on essaie de faciliter la croissance en luttant contre les vieilles tendances autarciques liées aux nationalismes et en créant de grands espaces. En Amérique latine, les spécialistes sont conscients de l’insuffisante dimension des marchés et sont persuadés de la nécessité de créer des unités à l’échelle continentale, mais les résultats obtenus jusqu’à ce jour demeurent décevants.

Les actions sociales et culturelles doivent se doubler de choix politiques. Nous avons indiqué certains des problèmes qui se posent à ce sujet. Doit-on préférer une industrialisation par substitution des importations, une industrialisation donc qui se moule sur le développement préexistant de marchés, ou une industrialisation qui crée des structures de base susceptibles, par la suite, de favoriser l’épanouissement de gammes complètes et intégrées de fabrication ? Ne faut-il pas au contraire rechercher un développement équilibré, dans lequel les divers secteurs seraient mis en place en même temps ? Cette façon de voir a prévalu un temps parmi les spécialistes venus des pays industrialisés du monde occidental. Les pays communistes ont joué sur l’équipement des secteurs de base, jusqu’au moment où la Chine a choisi le pari inverse. Depuis les travaux sur les effets de polarisation et depuis le livre d’A. O. Hirschman, on a découvert la vertu des croissances déséquilibrées, car on s’est rendu compte qu’elles permettaient d’entretenir les effets des impulsions initiales.

Le choix essentiel est en définitive arbitré par les possibilités d’importation et par celles d’épargne. Dans beaucoup de pays, on a choisi de contrôler très étroitement les importations, de limiter au maximum l’exode de capitaux indigènes et de veiller à ne pas compromettre la balance des paiements en multipliant à l’excès les charges de l’épargne extérieure. On repousse l’investissement direct, qui entraîne des sorties de devises beaucoup plus élevées que l’investissement indirect. On pratique une politique très volontaire de choix et on met volontiers l’accent sur les équipements lourds. Cependant, la pesanteur des contrôles décourage souvent les capitaux extérieurs, et la rentabilité des installations de base demeure faible durant longtemps.

D’autres pays acceptent de suivre la demande. Ils se refusent à contrôler de manière aussi étroite les mouvements de capitaux et se contentent de pratiquer un protectionnisme qui permet aux entreprises nouvelles de se créer des assises solides et incite les capitalistes étrangers à investir sur place. A priori, une telle politique est moins favorable aux intérêts nationaux. Elle permet cependant une augmentation plus rapide du revenu. Dans la mesure où les secteurs de pointe de l’industrie sont souvent proches du consommateur final, elle conduit à mettre en place des structures plus modernes, plus dynamiques que celles qui sont liées aux fabrications bouleversées déjà lors de la première révolution industrielle.

Les pays en voie de développement doivent enfin se rendre compte qu’ils ne peuvent attendre de l’industrialisation, comprise au sens étroit, les mêmes effets qu’en Europe il y a un siècle. La productivité du travail est beaucoup plus grande, si bien que l’on arrive à satisfaire la demande intérieure avec des proportions de personnes actives dans le secteur secondaire inférieures à 40 p. 100. La modernisation, l’industrialisation au sens large ne sont possibles qu’à la condition de faire porter également l’effort sur le secteur agricole, où une révolution est indispensable, et sur le secteur tertiaire, que l’on qualifie généralement de parasite et que l’on néglige, sans se rendre compte que sa croissance rapide est normale.

Les résultats de la politique d’industrialisation sont par ailleurs beaucoup plus déséquilibrants, au plan de l’organisation territoriale, qu’ils ne l’étaient il y a un siècle. Les industries modernes ne sont guère liées à la main-d’œuvre, elles le sont encore moins aux matières premières. Elles ont tendance à s’installer près des marchés, là où les « externalités » (éléments explicatifs de localisation, autres que les classiques facteurs de production) sont importantes. Les politiques d’industrialisation doivent donc se doubler, si l’on veut éviter de créer à terme des problèmes trop graves d’agression contre l’environnement, de politiques d’aménagement de l’espace.


L’industrialisation des régions arriérées des pays modernes

Les problèmes que soulève l’industrialisation des régions arriérées des pays modernes ne sont sans doute pas aussi complexes. La plupart du temps, par effet de contagion sociale, ces régions ont déjà subi les mutations de mentalité et d’institutions nécessaires à la mise en place des entreprises modernes ; il n’y a guère d’exception que dans les pays où existent des minorités ethniques qui se refusent au contact avec les groupes dominants. Des obstacles existent pourtant. La situation de région sous-développée est à certains égards avantageuse : dans la plupart des domaines, on bénéficie des mêmes équipements que dans les zones plus avancées. Les services sanitaires, sociaux, les établissements scolaires et universitaires sont organisés sur le même mode. Les niveaux de vie sont sans doute inférieurs, mais la qualité du cadre est généralement supérieure, si bien que l’utilité peut être plus élevée. Rien d’étonnant donc à constater que beaucoup de représentants des espaces endormis ne fassent aucun effort pour les rendre plus dynamiques : c’est le cas d’une partie de la France du Sud-Ouest et du Centre.