Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

Depuis le début de ce siècle, depuis la Seconde Guerre mondiale surtout, le processus d’industrialisation gagne de nouveaux secteurs de la vie économique. Dans le domaine agricole, la machine a fait apparaître des économies d’échelle là où elles n’existaient pas encore. Dès le début des années 1920, la céréaliculture est industrialisable, comme le montrent les exemples américain et russe. De nos jours, l’élevage est en train de subir une modernisation analogue : pour la volaille, pour les porcs, la mutation est faite ; pour les bovins, elle s’effectue déjà là où on se spécialise dans la production de viande. On la sent possible pour la production de lait.

Les autres aspects de la production primaire subissent des évolutions analogues. La pêche est affaire de gros chalutiers ; le forestage, de sociétés qui pratiquent l’abattage et le transport mécaniques. Les mines utilisent des machines de plus en plus complexes.

Au niveau du tertiaire, une gamme grandissante d’activités se trouve affectée par le processus d’industrialisation. Toutes celles dans lesquelles il importe de traiter une masse considérable d’informations sont évidemment bouleversées par des techniques modernes. Mais les activités tertiaires sont souvent difficiles à gérer, si bien que, pour toutes, même s’il n’y a pas eu de mécanisation, l’organisation bureaucratique est avantageuse. Les artisanats supérieurs que représentent les professions libérales sont maintenant affectés : médecins, avocats, conseils juridiques se groupent de plus en plus.

On voit jusqu’où conduit le processus d’industrialisation. Certaines sociétés se trouvent totalement modelées par les nécessités qu’entraîne la mécanisation des opérations productives. Les institutions traditionnelles y ont cédé la place devant les organisations et les bureaucraties. On a ainsi réussi à augmenter de manière considérable l’efficacité du système, on a créé des sociétés d’abondance, mais on a également suscité des tensions sociales nouvelles.

Jusqu’à ces vingt ou trente dernières années, il existait, jusque dans les économies les plus avancées, des secteurs qui avaient résisté à l’industrialisation, au sens profond du terme. Ils constituaient comme autant de secteurs où ceux qui ne supportent pas la déshumanisation des rapports qui naît de la bureaucratie pouvaient se retrancher. La chose n’est plus possible. Du coup, les réticences devant la société industrielle sont devenues plus nombreuses, et certaines des valeurs fondamentales sur lesquelles elle est construite, quel que soit le système économique, se sont trouvées contestées. On aspire au retour à certaines conditions primitives, dans la mesure où l’on se refuse à la discipline et à l’anonymat qui caractérisent la machine.


Les politiques d’industrialisation

L’industrialisation est une transformation technique, mais qui s’accompagne de transformations de mentalité, d’institutions, d’architecture sociale ; elle se produit d’abord dans le cadre des activités de transformation, puis gagne le secteur des productions primaires et enfin celui des services, si bien qu’elle impose à tout le corps social des contraintes que celui-ci supporte parfois avec impatience.

Les politiques d’industrialisation sont toujours complexes. Elles ont des aspects culturels, sociaux, économiques aussi bien que techniques. Elles varient selon le contexte dans lequel elles s’appliquent.


L’industrialisation du tiers monde

Pour les pays en voie de développement, les questions techniques n’apparaissent certainement pas essentielles. Il existe dans les pays industriels des techniques éprouvées qu’il suffit de copier. Cela entraîne des sujétions, l’obligation de payer les licences de fabrication, par exemple, et pèse sur la balance des échanges du pays. Il ne fait cependant pas de doute que la solution est plus avantageuse que celle qui consisterait à employer un personnel qualifié trop rare pour retrouver des résultats disponibles ailleurs. Ce qui manque par contre souvent, ce sont des adaptations de détail aux conditions locales. Dans le domaine des véhicules de transport, on utilise dans le monde tropical des voitures qui ont été dessinées pour les grandes villes du monde tempéré. Elles ne sont faites ni pour le climat ni pour les routes sur lesquelles elles circulent. Il ne s’agit malgré tout que d’un problème mineur.

Le problème culturel et social est beaucoup plus difficile à résoudre. Comment transformer les attitudes à l’égard du travail industriel ? Comment susciter cette classe d’entrepreneurs dont l’initiative est susceptible de relancer sans fin le mouvement de croissance ? Comment la remplacer, si on ne sait ou ne veut la créer ? Plusieurs attitudes sont possibles. Pour les gouvernements conservateurs et réformistes, il n’est pas question d’opérer par la contrainte : on se fie à la contagion, à l’influence des modèles d’existence et de comportement que l’éducation de type occidental et les moyens de communication de masse rendent familiers. Le résultat est souvent décevant, car on a plus vite fait d’imiter les habitudes de consommation que les techniques de production, comme l’indique la théorie des effets de démonstration. Beaucoup de gouvernements essaient d’intervenir plus directement. Ils agissent sur les institutions sociales, essaient de détruire les structures qui freinent l’individualisme ou bien cherchent à tirer parti des mentalités et des institutions locales en les adaptant au système industriel.

Le problème de l’architecture d’ensemble du corps social est plus grave. Partout où les tendances duales ou plurales sont nettes, les effets de multiplication risquent de se trouver limités. Dans les pays d’Occident, la réponse a été trouvée dans le nationalisme : la solidarité du corps social a été exaltée, les principes d’une politique à caractère social ont été admis par la collectivité, et le revenu individuel s’est mis à croître. La plupart des pays du tiers monde essaient de suivre la même voie. Les pays nouvellement indépendants affirment leur spécificité et cherchent à créer des comportements communs. Là où la diversité linguistique rend difficile la communication, on favorise la promotion de langues d’échange ou de culture.