Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

Sutan Takdir Alisyahbana (S. T. A., né en 1908), lui, aime s’attarder à la description de la nature, et sa phrase balancée se reconnaît entre toutes. Dans le Panji Pustaka, où il est rédacteur (1930), il est chargé de la rubrique « En se dirigeant vers une nouvelle littérature ». Le besoin d’une revue indépendante devient, en effet, pressant. Depuis le Congrès de la jeunesse, réuni à Jakarta le 28 octobre 1928 sous la présidence de Muhammad Yamin, et la proclamation des trois grands principes : un peuple indonésien, une nation indonésienne et une langue indonésienne, une polémique est née dans les journaux, cherchant à définir la direction à prendre.

S. T. A. groupe autour de lui trois poètes de tendances différentes — les frères Pane (Armiyn et Sanusi) et Amir Hamzah — et fonde sa revue Pujangga Baru (PB), qui ouvre une ère nouvelle jusqu’à l’occupation japonaise. Armiyn Pane (1908-1970) a donné beaucoup de courtes nouvelles avant d’écrire son roman Belenggu (les Chaînes, 1940) ; sa langue annonce l’indonésien moderne. Mais la recrue la plus remarquable de S. T. A. fut le poète Amir Hamzah. Sumatranais, il appartenait à l’aristocratie de Langkat, et le malais était sa langue maternelle. Ses poèmes sont réunis dans deux petits volumes : les Chants de solitude (1945), qu’il dédie à la grande Indonésie, et les Fruits de nostalgie (1941).

À Batavia, l’activité littéraire restait intense. Certains auteurs étaient sincères en faisant bon accueil aux libérateurs ; d’autres évitaient les sujets « scabreux », d’autres encore s’amusaient à déjouer la censure. Tandis que s’écroulaient les institutions européennes, Chairil Anwar a choisi de paraître en apportant des vers où il se proclamait un être à part, « poète maudit », comme dévoré par sa propre vitalité, qui voulait tout rénover et qui n’aimait que son art et la vie. Il ne subissait pas les influences, mais il s’identifiait à ceux qu’il venait de découvrir (Hendrik Marsman, Jan Jacob Slauerhoff et Edgar du Perron) et pouvait les surpasser. Il a découvert son art poétique en traduisant une lettre de Rilke. Mort jeune, il laissera trois petites plaquettes de vers : Cailloux coupants, Vacarme et poussière et Ce qui est saccagé et rompu. Cette poésie intellectuelle a trouvé son reflet chez un de ses amis, Asrul Sani, qui subira l’influence de T. S. Eliot et de son symbolisme de la mer.


L’occupation japonaise

Les Japonais vinrent en libérateurs, protecteurs de tous les hommes de couleur, et les slogans de la grande Asie et de la politique de la coprospérité (Commonwealth) retentirent des haut-parleurs installés dans toutes les rues. Ils arrêtèrent les Hollandais et proscrivirent leur langue. Pour parer aux besoins pressants, on institua l’enseignement obligatoire de l’indonésien dans toutes les écoles, et, le 20 octobre 1942, on créa une commission pour la langue indonésienne. De grands efforts furent déployés afin d’éveiller l’intérêt pour la culture nationale, le wayang, la danse, le théâtre...

Mais la richesse de l’archipel était connue de longue date et elle servit uniquement à l’économie japonaise et aux besoins de la guerre du Pacifique. On déplaça ouvriers et paysans pour les constructions portuaires, et l’économie indonésienne se désagrégea complètement. La littérature devait servir à la propagande, et la censure veillait.

C’est dans cette atmosphère que débutent les écrivains de la « génération de 1945 ». Ils ont à peine vingt ans. Dans l’esprit des Indonésiens, cette génération est symbolisée par deux écrivains : le poète Khairil Anwar (1922-1949) et le prosateur Idrus (né en 1921), tous deux Sumatranais.

Idrus débute par les Notes souterraines (1942-43), recueil de courtes nouvelles brossant des scènes de rues de Jakarta sous l’occupation japonaise. Il élabore ce style rude, aux phrases simples, qui caractérise les « cerpen » (abréviation que les Indonésiens font de cerita pendek, équivalent de la short story, ou nouvelle).

Après la capitulation japonaise, de nouveaux conflits éclatent sur le sol indonésien, et la guérilla tenace démontre la répugnance du peuple indonésien à revenir à l’ordre ancien. Cette fois, c’est un écrivain d’origine javanaise qui se sert déjà de l’indonésien comme de sa langue maternelle, Pramudya Ananta Tur, connu sous le nom de Pram. Né en 1925, correspondant de guerre et fait prisonnier par les Hollandais, il profite de deux ans (1947-1949) de captivité pour composer ses romans et ses nouvelles : Famille de partisans, Au bord de la Bekasi, la Poursuite (1950), qui obtient le prix de la BP, Ce n’est pas une foire (1951), la Corruption (1954). Le romancier Mochtar Lubis (né en 1920), tout comme Pram, est journaliste et combattant, mais, tout comme Idrus, capable de beaucoup d’humour : Crépuscule à Jakarta, Route sans fin.

Achdiat Karta Miharja occupe une place un peu à part parmi les écrivains des années 45, si on les considère comme porteurs d’une idéologie. Thomiste, il est l’auteur de deux recueils de nouvelles et d’un roman, Atheis.

La publication de romans est devenue tout à fait exceptionnelle aujourd’hui : ils sont remplacés par de courtes nouvelles, les « cerpen », qui conviennent mieux aux écrivains sortis du journalisme, comme au temps de la BP : S. Rukiah (Chute et cœur, Désert), Sitor Situmorang, Ayip Rosidi ; Amal Lutfi Hamzah, avec Première Libération, mérite d’être mentionné, comme Nugroho Notosusanto et Trisnoyuwono.


Querelle de doctrine

À la mort de Khairil Anwar, ses épigones décidèrent de définir la doctrine de leur « génération » afin de pouvoir prendre part à la reconstruction de l’Indonésie. Leur horizon était bien plus ouvert que du temps de la BP ; ils ont tous été réunis autour de lui de son vivant, mais, en mourant, il ne leur a pas laissé de doctrine véritable tout en personnifiant leur génération. Le 8 août 1950, les Malais se sont constitués en « Asas 50 » (génération des écrivains de 1950) avec, pour doctrine : « L’art pour la sociétés ». Peu de temps après, le LEKRA (Institut de culture populaire) entra dans le combat et choisit de proclamer la recherche du réalisme socialiste. Ayant bientôt la faveur du régime, ses partisans réduisirent la liberté de leurs adversaires, ce qui aboutit au Manikebu (Manifeste culturel des universalistes du 17 août 1963).

Aujourd’hui, un calme relatif est revenu sur Jakarta. Les écrivains ont une académie, dont les membres élus portent le titre de risyi comme les moines de l’Antiquité indienne et siègent sous la présidence du vétéran S. T. A.

V. S.

 R. O. Winstedt, A History of Malay Literature (Journal of the Malayan Branch of the Royal Asiatic Society, t. XVII, 3, 1940, et t. XXXI, 3, 1958). / A. Teeuw, Modern Indonesien Literature (La Haye, 1967).