Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

L’art de l’Indonésie


La période protohistorique

En Indonésie, ce qu’on appelle la protohistoire s’étend sur tout le dernier millénaire avant 1ère chrétienne et, sans doute, sur les premiers siècles de celle-ci, des états de culture prolongeant ceux de cette période subsistant bien plus tard encore dans les régions restées à l’écart des courants civilisateurs. D’entre les monuments de cet « âge du bronze et du fer » se distinguent particulièrement, d’une part, des tombes et des sanctuaires de caractère mégalithique, d’autre part des objets métalliques de mobilier cultuel et/ou funéraire. Dans la première catégorie, on note des cistes de pierre, des sarcophages (avec dalles parfois revêtues de bas-reliefs expressifs évoquant l’abondance et la fécondité), des dolmens, des statues massives d’« ancêtres », des sanctuaires, ceux-ci placés dans la montagne et combinant terrasses étagées, pyramides à gradins et menhirs (Sumatra-Sud, Java-Est, etc.). Parfois trouvés en association avec les précédents, mais le plus souvent isolés, les objets métalliques — quelques-uns des célèbres tambours de bronze de l’Asie du Sud-Est, des haches et des vases rituels, des figurines et diverses parures — témoignent de cultures apparentées à celle de Dông Son* (Viêt-nam du Nord), en rapport probable (migration de certaines formes et de motifs décoratifs, ces objets étant transportables) avec les arts de la Chine* ancienne (Yun-nan ; arts des Royaumes Combattants) et, au-delà, avec ceux des steppes*


L’art « indo-javanais » (principalement dans Java-Centre, env. viiie - xe s.)

L’épanouissement de cet art religieux fut le fruit des contacts établis avec l’Inde* civilisatrice, au long de plusieurs siècles, les premières attestations directes datables (inscriptions sanskrites du roi Mūlavarman, à Bornéo) pouvant remonter aux environs de l’an 400, mais les plus anciens sanctuaires en pierre dont les vestiges aient subsisté — succédant à une architecture disparue, entièrement en matériaux périssables — ne semblant pas être antérieurs à la fin du viie s. Secousses politiques peut-être, commerce certainement, recherche des épices et des bois précieux, quête de l’or dans l’Eldorado (sanskrit Suvarnadvīpa, « terre de l’or » : Sumatra) transgangétique, activité prédicatrice du bouddhisme, toutes ces causes ont joué pour que se constituent, à partir sans doute des premiers siècles de notre ère, des royaumes indianisés (sur la péninsule Malaise, à Sumatra, à Java, à Bornéo...), dont les élites adoptèrent, les adaptant à leur propre culture, des éléments majeurs de la civilisation indienne : l’hindouisme et le bouddhisme, la royauté de type divin, le sanskrit dans ses emplois religieux et littéraires...

Datables stylistiquement de la période ive-vie s. et provenant d’édifices disparus, des statues de Bouddha apparentées à l’art du sud-est de l’Inde (style d’Amarāvatī tardif) et de Ceylan (style d’Anurādhapura) ont été retrouvées à Java, à Sumatra, à Célèbes... Les modèles indiens les plus proches des sanctuaires de Java-Centre (viiie-xe s.) se trouvent également dans l’Inde du Sud-Est (art Pallava de Mahābalipuram). Bâtis comme en Inde en assises de pierres posées sans mortier et couverts par encorbellement, ces sanctuaires, ou candi, se composent généralement d’un soubassement quadrangulaire mouluré supportant la cella proprement dite, couverte d’une toiture en faux étages sur lesquels sont disposées, en quinconce, des « réductions d’édifice ». Le sanctuaire, dont la forme et le décor symbolisent les différents niveaux de la montagne séjour de la divinité, abrite, en son centre, le piédestal sur lequel est érigée l’idole brahmanique (ou, contre la paroi du fond, les trônes des entités bouddhiques). Un motif décoratif constamment présent est celui — encadrant les portes et les niches — qui est composé d’une tête de monstre (kala) d’où descendent, des deux côtés, des bandeaux se terminant par une tête de makara (monstre marin pourvu d’une trompe), motif symbolisant, en particulier, l’arc-en-ciel, qui relie le monde des humains au monde des dieux. Ces candi peuvent se rencontrer isolés ou en groupements simples (śivaïtes : plateau de Dieng, groupes de Gedong Sanga ; bouddhiques : dans la plaine de Kedu, le c. Pawon, le c. Mendut ; etc.), ou encore en composition plus élaborée, faisant toujours appel cependant au type décrit comme unité constitutive : dispositions plus complexes de trois cella soudées côte à côte et redoublées en hauteur (c. Sari, c. Plaosan, bouddhiques), développement cruciforme de la cella (c. Kalasan), ensembles très étendus, axés et symétriques, groupant dans des enceintes quadrangulaires concentriques un ou plusieurs sanctuaires principaux et un grand nombre de petits sanctuaires secondaires (c. Sewu, comprenant 240 templions, c. Lumbung, c. Plaosan, c. Kalongan, bouddhiques ; c. Lara Jonggrang, śivaïte, comprenant 8 sanctuaires principaux et 224 templions). Le Bārābudur*, stūpa multiple et microcosme, œuvre majeure de la dynastie des Śailendra bouddhistes, est un cas particulier.

Particulièrement douce et harmonieuse, tout imprégnée d’un esprit comparable à celui de l’art de l’Inde ancienne, mais stylistiquement héritière de l’art indien « post-Gupta », est la sculpture monumentale indo-javanaise : rinceaux (stylisation de tiges de lotus) et motifs en bas relief (notamment motifs bénéfiques : vase jaillissant, « arbre-aux-souhaits », etc.), panneaux narratifs en haut relief (séries des galeries du Bārābudur, échiffres du c. Mendut, etc.), images des divinités en ronde bosse (Jina du Bārābudur, images śivaïtes du c. Banon, etc.), ou sur fond de stèle (Jina du c. Sewu, triades bouddhiques au c. Mendut et au c. Plaosan ; images des sanctuaires śivaïtes), ou en très haut relief (entités figurées entre pilastres, dans une disposition tripartite, aux parois extérieures des cella)... Aux programmes des reliefs bouddhiques, paisibles et statiques (Bārābudur), s’oppose le dynamisme prononcé des bas-reliefs du Rāmāyaṇa au c. Lara Jonggrang. Il ne reste que des fragments des images colossales en bronze qui devaient occuper certains sanctuaires (c. Kalasan, c. Sewu), mais nous sont parvenues en grand nombre de très belles statuettes en bronze à la cire perdue (Avalokiteśvara à dix bras du musée Guimet à Paris), ainsi que quelques rares statuettes en or et en argent (Manyusri de Ngemplak Semongan, musée de Jakarta).