Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

L’intérieur des terres est toutefois plus aisément pénétrable que les rivages ; ceux-ci, bien souvent, sont ourlés par la mangrove. C’est notamment le cas tout le long de la côte orientale de Sumatra, de la côte méridionale et orientale de Bornéo, et on trouve encore la mangrove sous une forme plus ponctuelle dans la plupart des autres îles. D’une façon générale, la mangrove se fixe sur la vase à demi consolidée, autour des baies et des lagunes relativement tranquilles, et surtout à l’abri des courants violents, qui se forment en particulier dans les détroits ; elle remonte le long des estuaires : à Sumatra, on la rencontre le long des fleuves Musi, Indragiri, Kampar, Siak ; à Bornéo, le long des fleuves Kapuas, Barito, etc. Cette formation végétale atteint au maximum quelques kilomètres de large, mais se limite le plus souvent à quelques centaines de mètres ; cependant, il est presque impossible de la franchir.

Ces difficultés de pénétration et l’isolement qui en résulte permettent de comprendre la persistance de genres de vie archaïques.

B. D.


L’histoire

Apparu en Europe vers la fin du xixe s., repris à Java par les nationalistes en 1928, le nom même d’Indonésie (« Inde insulaire ») n’a été officiellement utilisé qu’à partir de 1942 (occupation japonaise) pour désigner l’ensemble de ce que, au xixe s. et au début du xxe s., on appelait les « Indes néerlandaises ». Parallèlement, on a pris l’habitude de donner le nom d’indonésien (bahasa indonesia) au malais, qui, servant de langue commune dans tout l’archipel, a désormais le statut de langue nationale.

Avant même que les Hollandais aient pu réunir sous leur autorité l’ensemble de ces « Indes » (phénomène qui, amorcé au xviie s., ne parvint à complétion qu’au xxe s.), il existait, entre les différents ports de l’archipel, de nombreux courants d’échanges, commerciaux et culturels, et il s’était développé sur toutes les côtes une sorte de culture commune, fondée essentiellement sur l’islām et sur l’usage du malais. Et même avant l’arrivée de l’islām (xve-xvie s.), des liens commerciaux et politiques unissaient Java aux autres îles. Il serait donc faux de voir dans l’« unité » indonésienne un legs de la période coloniale. Même si de grosses différences séparent encore entre elles les îles de l’Insulinde (il existe au moins une bonne vingtaine de langues régionales), c’est une histoire séculaire qui les pousse les unes vers les autres.

L’Indonésie a souvent retenu l’attention des préhistoriens, depuis la découverte du pithécanthrope, à Java, en 1891. Des conclusions un peu hâtives, tirées de l’examen d’un matériel paléolithique relativement abondant (haches rectangulaires et haches à tenon), ont longtemps fait croire que le peuplement de l’archipel s’était effectué par vagues successives (Protomalais, puis Deutéromalais) parties du continent et plus précisément de Chine du Sud (théorie de Robert von Heine-Geldern). Certains linguistes insistent inversement sur les liens qui unissent les langues austronésiennes avec la Mélanésie plutôt qu’avec le continent. De nombreuses fouilles sont actuellement en cours (à Célèbes, à Java), qui permettront de mieux comprendre les périodes tant paléolithique que néolithique. L’âge du bronze est fort bien représenté, sous forme de tambours décorés ou de haches cérémonielles qui ont été retrouvées d’un bout à l’autre de l’archipel et qui prouvent que celui-ci a participé à la fameuse culture dite « de Dông Son* » (du nom d’un site au Tonkin), qui, à partir du iiie s. av. J.-C., a recouvert la Chine du Sud et une grande partie de l’Asie du Sud-Est.


Les États indianisés

L’histoire proprement dite commence avec les premiers textes épigraphiques trouvés à Kalimantan (région de Kutai) et à Java-Ouest, et datant vraisemblablement du ve s. apr. J.-C. Ces textes, rédigés en sanskrit dans une écriture dérivée d’un modèle indien et comportant plusieurs formes hindouistes, attestent la présence d’une influence indienne dans l’archipel et posent le difficile problème des débuts de l’indianisation.

Du ve au xive s., en effet, cette influence semble s’être maintenue sur une bonne partie de l’Insulinde de même que sur la péninsule indochinoise. Même lorsque le sanskrit est abandonné au bénéfice des langues vernaculaires (vieux malais et vieux javanais), les « néologismes » empruntés au sanskrit restent nombreux. Plusieurs temples (ou candi) sont construits (surtout à Java, mais aussi à Sumatra), dont l’iconographie ne peut s’expliquer que par une bonne connaissance des traités indiens, śivaïtes, viṣṇuites ou bouddhistes. D’où le nom de « royaumes indianisés » donné aux entités politiques qui se sont formées dans les îles durant cette période. Grâce aux chartes épigraphiques, nous connaissons assez bien le nom des rois, les religions en vigueur, l’organisation du clergé, le système des terres, mais d’autres aspects nous échappent, et il s’en faut que le contexte économique et social dans lequel l’indianisation s’est effectuée soit parfaitement élucidé.

À Sumatra-Sud, centré autour des sites des actuelles villes de Palembang et de Jambi, s’est développé le royaume bouddhiste de Śrīvijaya, qui nous est connu par quelques inscriptions en vieux malais (datées de 683-686) et par des textes arabes et chinois. Les mahārājā de Śrīvijaya tiraient leur puissance du contrôle qu’ils exerçaient sur le commerce du détroit ; des pèlerins chinois se rendant en Inde par mer disent s’y être arrêtés plusieurs années pour y étudier les textes bouddhiques et le sanskrit.

À Java, l’indianisation a affecté successivement deux régions bien distinctes : du viie au xe s., le centre de l’île, puis, du xe au xive s., sa partie orientale, sans qu’on ait pu encore expliquer de façon certaine les raisons de ce transfert (invasion ? guerre civile ? cataclysme naturel ?). De la première période datent les temples magnifiques de Bārābudur* (un stūpa bouddhique de conception très originale) et de Prambanan (érigé en l’honneur de la trimūrti hindouiste) ; et de fait, il semble bien que certains princes aient alors soutenu l’hindouisme (dynastie de Sanjaya), tandis que d’autres étaient plus favorables au mahayanisme (dynastie des Śailendra).