Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

De toutes les écoles provinciales, celle du Gujerat (1297-1572) est la plus riche, la plus indienne, la plus personnelle. Totalement liée tout d’abord à la culture hindoue (Grande Mosquée de Broach, v. 1300 ; Ādīna Masdjid de Patan), elle commence à s’en dégager dans le courant du xive s. (mosquée de Cambay, 1325). Les règnes d’Aḥmad Chāh Ier et de Maḥmūd Ier Begrā annoncent, puis inaugurent un âge d’or. Au premier de ces princes, on doit la fondation d’Ahmadābād, une des grandes villes d’art de l’islām, où tous les édifices se fondent dans un ensemble. La mosquée du Vendredi (1423), avec sa salle hypostyle de trois cents piliers couverte de dômes multiples et sa façade originale, est la plus belle de l’Inde occidentale. Au second reviennent, dans la même ville, trois établissements urbains, où le monument le plus usuel est un ensemble composé d’un mausolée et d’une mosquée adjacente. Dans ces beaux édifices, les minarets deviennent de simples tourelles, les fenêtres font saillies en encorbellement, les claustra se multiplient. Tardivement (xvie s.), la mosquée de Sīdī Sayyīd en offre les plus splendides échantillons aux tympans des fenêtres, en marbre percé à jour, avec motifs de palmiers et entrelacs d’une merveilleuse finesse.

Contrairement à l’école du Gujerat, celle du Malvā voisin (1401-1561) subit peu les influences hindoues et regarde vers Delhi. Elle se distingue par son goût pour la couleur (pierres et céramiques). Si Dhar illustre la période la plus archaïque, Mandū présente des œuvres plus accomplies : la mosquée du Vendredi (1454), la tombe de Hūchang chāh Rhūrī (1440), le Djahāz Maḥall (xve s.), long palais à deux étages s’étendant au bord de petits lacs, sont pleins de charme, mais manquent d’ordre et de clarté.

Cette indifférence pour la culture hindoue est plus nette encore au Deccan (1325-1687) qu’au Malvā, mais les étroits contacts avec le golfe Persique équilibrent ici les influences de Delhi et de l’Iran. C’est un architecte iranien qui construit à Gulbarga (fondée en 1347 dans des fortifications de type syrien) la mosquée la plus intéressante de l’Inde méridionale (1367). C’est peut-être le goût iranien qui fait que les douze tombes de Bīdar accordent plus d’importance au décor qu’à l’architecture. C’est par l’art funéraire seul qu’on connaît Golconde, dont l’éclat fut sans égal dans tous les domaines, alors que Bijāpur cultivait seulement l’architecture (plus de 50 mosquées, quelque 20 tombes et 20 palais). Les dômes bulbeux épanouis, aux lignes excessives, sont le trait dominant de cette école. Et pourtant c’est de forme hémisphérique qu’est le plus grand dôme de l’Inde et du monde (50 m de diamètre), celui du tombeau de Muḥammad ‘Ādil Chāh, le Gol Gunbadh (v. 1657). Ses dimensions et sa rare élégance (merlons, corniche, tambour) assurent sa célébrité ; moins pures sont ses quatre tours d’angle en forme de pagode.

La montagne impose l’art du bois au Cachemire*, alors même que les Cachemiriens ne sont pas de bons menuisiers : aussi les mosquées, rares, et les tombeaux des saints, monuments essentiels, sont-ils recouverts de peintures chatoyantes. Mosquées et tombes sont de même type : un cube de base contient la salle ; au-dessus s’élève un toit pyramidal surmonté d’une flèche (mosquée de Chāh-i Hamadān, xviie s.). La très élégante et majestueuse mosquée du Vendredi de Srinagar, restaurée par Awrangzīb, se singularise par ses arcs et ses murs en brique, par sa vaste cour centrale flanquée de quatre iwān — mais ses colonnes sont en bois et les iwān sont surmontés de toits pyramidaux.


L’œuvre de Chīr Chāh

Les cinq années du règne de Chīr Chāh (1540-1545) font faire des progrès décisifs à l’architecture. À Purānā-Qil’a, la sixième Delhi, fondée par lui, la mosquée qui sert de chapelle royale anticipe sur certaines découvertes ultérieures. Mais c’est avec les tombes, celle de son père à Sasaram, de son grand-père à Narnaul et surtout la sienne, que le style lōdī est conduit à son plus complet achèvement. Le grand mausolée de Chīr Chāh à Sasaram, situé au milieu d’un vaste bassin, est érigé sur un haut soubassement carré, aux angles duquel sont construits des kiosques ; au-dessus, des étages successifs, à huit et trente-deux côtés, amènent insensiblement au plan circulaire du dôme.


L’art moghol

Les deux premiers souverains de la dynastie n’ont guère laissé de vestiges architecturaux, mais c’est à Bābur que remonte l’art des jardins. Ceux qui sont aménagés par ses successeurs à Lahore ou au Cachemire, entourés de murs, mais ne négligeant cependant pas les grandes perspectives, sont une succession de terrasses et d’allées parcourues de canaux, où des petits pavillons précieux et charmants s’insèrent dans un cadre d’arbres et de fleurs. Au souvenir d’Humāyūn se rattache la première grande œuvre moghole : son tombeau, érigé par sa femme à Delhi*. Situé au centre d’un parc, l’immense monument est le prototype des palais funéraires (des tombes-jardins), dont le Tādj Maḥall d’Āgrā* représente, dans tout l’éclat de son marbre blanc, la plus célèbre et grandiose réalisation.

Le grès rouge d’Humāyūn et le marbre blanc du Tādj circonscrivent l’histoire de l’architecture moghole entre les règnes d’Akbar et de Chāh Djahān, celui de Djahāngīr marquant l’époque de transition, ou le passage du grès au marbre. Avec ce matériau nouveau, les édifices deviennent plus légers, le décor plus fin : arcades polylobées, incrustations de pierres précieuses ou semi-précieuses. Hors la ville cérémoniale de Fatḥpūr-Sīkrī (1570-1574) [v. Āgrā], jamais utilisée et conservant les caractères de son époque, les forts (d’Āgrā, de Delhi, de Lahore), en vérité de somptueuses résidences aux pavillons multiples, présentent des exemples typiques des styles successifs. Quant aux Grandes Mosquées (Djāmi ‘Masdjid), ou mosquées du Vendredi, celles de Fatḥpūr-Sīkrī, de Delhi, d’Āgrā, de Lahore, dans une certaine mesure celles de Tatta ou de Peshāwar, de qualité moindre, elles forment un ensemble prestigieux aux caractères bien définis : terrasses de soubassement, portes d’entrée monumentales (Buland Darwāza à Fatḥpūr-Sīkrī), salles de prières moins vastes que les cours, minarets d’angles tronconiques, hautes coupoles bulbeuses. Après l’avènement d’Awrangzīb, l’art architectural décline, et il suffit de mentionner à Delhi la charmante mosquée de la Perle du Fort Rouge (Mōtī Masdjid, 1662-63) et la tombe de Safdār Djang (v. 1754).