Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

• Les langues dravidiennes. La prose fait aussi ses débuts au xixe s. : en tamoul avec Arumugar Navalar et en telugu avec Viresaliñgama, poète, romancier, dramaturge et réformateur social. À la fin du siècle, une association littéraire fondée par Śivaśankara Śastri milite en faveur de l’emploi du telugu parlé en littérature.


L’ère du nationalisme indien

L’éducation anglaise se répandit rapidement en Inde dans la seconde moitié du xixe s. Confinée tout d’abord à une élite sociale restreinte, elle attira peu à peu une classe moyenne, en majorité hindoue, qui devint rapidement nationaliste et décidée à lutter pour l’indépendance. Les idées occidentales d’individualisme, de libre détermination, d’égalité sociale éveillèrent un écho profond dans l’âme ardente, l’esprit intelligent, adaptable et avide de changement des Indiens les plus doués. Ceux-ci étaient surtout issus des castes qui avaient, de tout temps, reçu une éducation traditionnelle, certes, mais soignée et capable de développer les facultés intellectuelles indispensables à l’assimilation rapide des idées et à la compréhension des faits. Il se forme ainsi une nouvelle classe dont le rôle devient extrêmement important. Le parti du Congrès, fondé en 1885, y recrute ses premiers adhérents, et Gāndhī trouvera dans ce milieu les éléments qui l’aideront à soulever la masse indienne. Un peu plus tardivement, le nationalisme musulman se manifeste également, vite divisé entre un nationalisme qui rejoint celui des hindous pour une Inde libre et celui qui se tourne volontiers vers un idéal exclusivement islamique et regarde vers les pays musulmans. La Première Guerre mondiale, en permettant à un certain nombre d’Indiens (surtout des panjābī) de venir combattre en Europe, donc d’avoir un contact direct avec une nouvelle civilisation, et en obligeant l’Angleterre à assouplir sa domination administrative à l’intérieur de l’Inde, accélère considérablement le mouvement. À partir de 1930, le nationalisme, guidé par Gāndhī, Tagore, Nehru, gagne l’Inde entière et aboutira en 1947 à l’indépendance totale. C’est aussi durant ces années 30 que les idées marxistes font leur apparition chez quelques intellectuels d’avant-garde. Les grands courants littéraires sont marqués par ces mouvements.

Le romantisme n’était pas inexistant dans les littératures indiennes, riches en ballades et poèmes d’amour, mais les chansons du Bengale en étaient particulièrement imprégnées, car la sensibilité et l’imagination y sont encore plus vives que partout ailleurs. Il était donc naturel que les Bengalis fussent réceptifs aux grandes œuvres romantiques de Wordworth, de Coleridge, de Scott, puis de Tennyson et des poètes victoriens en général. Bien entendu, leur influence se fit sentir avec un certain retard.

Les poètes Rangalāl Banerjī et Michael Madhusūdan Datta sont les premiers à s’engager dans cette voie. Ce dernier versifie tantôt en anglais, tantôt en bengali, et certains de ses poèmes vont même jusqu’à s’inspirer de l’Antiquité grecque et romaine entrevue à travers les œuvres anglaises. C’est aussi au Bengale que s’exprime, pour la première fois, un élan patriotique dans les écrits d’Hemacandra Banerjī et les poèmes narratifs et épiques de Navin Candra Sen, inspirés de Byron et de Scott. Ce sont les mêmes sentiments, mais déjà plus indianisés, qui animent les vers de Biharilāl Cakravartī, tandis que les allégories versifiées de Dvijendranāth Tagore s’inspirent plutôt de la littérature anglaise élisabéthaine. Mais la grande figure qui domine toute la littérature bengali, voire toutes les littératures indiennes avant l’indépendance, est celle de Rabindranāth Tagore* (1861-1941). Poète, romancier, dramaturge, musicien et peintre, il réunit en sa personne et son œuvre le spiritualisme, l’élan romantique, le réalisme social, le nationalisme et même l’« internationalisme ». Dans les autres langues de l’Inde, ces sentiments et ces idées se développent un peu plus tardivement, souvent par l’intermédiaire des livres bengalis, largement diffusés et traduits.

• Hindī. Pendant les deux premières décennies du xxe s., les auteurs de langue hindī achèvent de mettre au point une langue adaptée aux nouvelles idées grâce à des essayistes distingués, et en particulier Mahāvir Prasād Dvivedī (1864-1938), qui domine cette étape, suivi de Śyam Sundar Dās (1875-1945), de Rām Candra Śukla (1886-1941) et d’Ayodhyā Singh Upādhyāya (1865-1947). Le dernier grand poète traditionnel, Maithilī Śaraṇ Gupta (1886-1964), compose des épopées (Sāketa, Yaśodharā), des poèmes narratifs (Bhārat Bhārati, Kisān). En réaction contre cette école, restée conventionnelle, thématique et soumise à une stylistique trop rigoureuse, s’affirme le chāyāvāda, c’est-à-dire l’« ombrisme », qui groupe plusieurs poètes, dont certains sont encore vivants. Leur sensibilité puise son inspiration dans la philosophie des Veda et des Upaniṣad, mais ils transposent leurs sentiments en vers nouveaux. La poétesse Mahādevi Varmā (née en 1907), qui publie encore de nos jours, définit le chāyāvāda comme une mystique romantique qui exprime la mélancolie subjective du poète par l’intermédiaire des beautés de la nature. Sa philosophie n’est pas exempte d’influence bouddhique, et sa langue, très sanskritisée, ne la met pas à la portée du grand public. Le pionnier du mouvement fut Sūrya Kānta Tripāṭhī, Nirālā de son nom de plume (1896-1962). Né au Bengale, il connaît à fond les littératures sanskrite, anglaise et bengali. Cette dernière l’influence particulièrement et lui donne l’idée d’employer le vers libre en hindī. Son premier poème Juhī kī Kalī (le Bouton de jasmin) [1916] provoque l’étonnement de ses contemporains par sa liberté de pensée et de composition. Ses poèmes de l’époque sont rassemblés dans plusieurs recueils (Anāmikā, Parimala Ayara). Egalement critique et romancier, il n’est pas seulement romantique, car il devient progressiste (pragutivāda) dans les années précédant l’indépendance. Parmi ses romans les plus célèbres, on peut citer Apsara (1931), Prabhāvatī (1936), Kāle Kārnāme (1950). Appartenant au même mouvement, Jaya Śankar Prasād (1889-1937) est l’auteur de nombreux poèmes (la Larme, la Vague), d’une très belle épopée en vers sur la création du monde, Kāmāyanī, et de plusieurs romans et pièces de théâtre historiques.