Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

ictère (suite)

Chez le nouveau-né, l’hémolyse est fréquente, mais modérée et passagère entre le 3e et le 6e jour ; elle est responsable d’un « ictère physiologique ». Parfois, l’ictère est intense, souvent dû à une incompatibilité fœto-maternelle ; dans ces cas, l’excès de bilirubine libre, soluble dans les graisses, est un danger pour les centres nerveux, riches en lipides, qui fixent la bilirubine toxique. Des signes neurologiques graves peuvent apparaître, entraînant la mort ou laissant derrière eux de pénibles séquelles. Les ictères hémolytiques par immunisation fœtale justifient les exsanguino-transfusions à la naissance pour soustraire la bilirubine néfaste et faire cesser l’hémolyse.

Il existe quelques cas d’ictères dus à une élévation de la bilirubine libre seule, sans qu’il y ait d’hémolyse. Dans la maladie de Gilbert, ou cholémie familiale, l’ictère est modéré, voire intermittent, s’accentuant progressivement en cas de fatigue, de surmenage, de grossesse ou lors d’une autre maladie. Il est dû à un déficit enzymatique congénital du foie, qui est incapable de conjuguer correctement la bilirubine et d’en permettre l’excrétion correcte dans la bile. Dans les cas extrêmes, les malades ont une bile pâle, presque blanche.

Chez le nouveau-né, on peut observer un ictère à bilirubine libre sans hémolyse : celui-ci est dû soit à un défaut transitoire de maturation des cellules hépatiques (il se confond alors avec l’ictère dit « physiologique »), soit à une déficience enzymatique héréditaire (c’est le syndrome de Crigler et Najjar, responsable de morts néo-natales par atteinte nerveuse).


Ictères par obstruction des voies biliaires

À l’opposé, les ictères par obstruction des voies biliaires sont dus à une régurgitation de bile dans le sang. Il s’agit de bilirubine conjuguée qui ne peut plus être éliminée par la voie biliaire normale. Elle s’accroît donc dans le sang et passe dans les urines (cholurie), leur donnant leur teinte « acajou » ou « bière brune » caractéristique. Les sels biliaires passent également dans les urines (cholalurie). Inversement, la bile ne parvenant plus dans l’intestin grêle, les selles se décolorent. Ces ictères surviennent parfois dès la période néo-natale : ils traduisent alors une malformation des voies biliaires (v. bile). Ailleurs, ils sont acquis et peuvent être dus en général à la présence, à l’intérieur de la voie biliaire principale, d’un calcul. Habituellement, celui-ci provient de la vésicule biliaire, et son passage dans le canal cholédoque se fait à l’occasion d’une contract on énergique du réservoir vésiculaire. Le plus souvent, ce transit du calcul se traduit par un épisode douloureux : la colique hépatique. Le lendemain, le malade est fiévreux, puis l’ictère apparaît. Dans les cas typiques, cet ictère va être variable au cours du temps : des phases de déjaunissement partiel alternent avec des périodes où l’ictère fonce, parfois au lendemain d’une rechute fébrile. De ce fait, les selles changent de couleur d’un jour à l’autre. Ces signes font suspecter la lithiase dans le cholédoque et imposent l’intervention chirurgicale.

La survenue de l’ictère au décours d’un grand accès fébrile avec frissons répétés est caractéristique de l’angiocholite, ou infection aiguë des voies biliaires.

Une autre cause fréquente d’ictères par obstruction est le cancer de la tête du pancréas*, qui se voit surtout chez l’homme de la soixantaine. En effet, le cholédoque, avant son abouchement dans le duodénum, traverse la tête du pancréas. Lorsque celle-ci devient tumorale, elle enserre la voie biliaire, et l’écoulement de la bile cesse : c’est ici un ictère d’apparition progressive, indolore. Quand il est installé, il fonce régulièrement, pouvant atteindre des tonalités sombres, vert bronze. Le prurit est habituel, devenant parfois un véritable supplice. Ces deux aspects schématiquement opposés sont souvent moins tranchés. De plus, ces deux causes, quoique les plus fréquentes, ne résument pas toutes les origines des ictères rétentionnels : il peut s’agir d’un cancer de la voie biliaire elle-même, d’une pancréatite ou d’une tumeur de l’ampoule de Vater, d’une inflammation du sphincter d’Oddi, d’une compression des voies biliaires par un kyste, une masse ganglionnaire, une bride postopératoire, une inflammation du pédicule hépatique. Les voies biliaires peuvent aussi être obstruées par des parasites, notamment des douves adultes ou des ascaris. Toutes ces causes d’ictères sont compatibles avec un parfait état hépatique. Toutefois, une rétention prolongée retentit sur la cellule hépatique, dont les fonctions finissent par s’altérer. C’est pourquoi le traitement chirurgical, lorsqu’il est indiqué, doit être fait le plus rapidement possible.


Ictères dus au foie

Les ictères proprement hépatiques mettent souvent en jeu des mécanismes différents : déficits enzymatiques, phénomènes allergiques ou immunologiques, congestion vasculaire, inflammation, nécrose cellulaire, obstruction des voies biliaires intrahépatiques, dépôts pigmentaires, etc. Les causes infectieuses déterminent un ictère par le biais d’une hépatite* ictérigène. Les hépatites à virus « A » ou « B » sont responsables de l’ictère catarrhal infectieux, qui a parfois un caractère de gravité soit dans l’immétiat (ictère grave de Rokitanski-Frerichs, avec signes neurologiques et hémorragiques), soit par suite d’une évolution vers une cirrhose* posthépatitique. La mononucléose infectieuse, la sprochétose* de la fièvre jaune et certaines septicémies* peuvent provoquer des ictères.

Les ictères par hépatite toxique sont dus au phosphore, à l’hydrogène arsénié, au tétrachloréthane, au tétrachlorure de carbone, aux dérivés nitrés... Ils sont également le fait de quelques intoxications alimentaires (fèves, amanite phalloïde) ou de médicaments toxiques. Enfin, certaines maladies du foie s’accompagnent parfois d’un ictère à un moment donné de leur évolution : ictère de la phase terminale des cancers secondaires du foie, poussées ictériques des cirrhoses, ictère des cirrhoses biliaires primitives, syndrome de Dubin-Johnson ou ictère de Rotor de mécanisme enzymatique complexe.