iconographie ou iconologie (suite)
La méthode iconologique ne saurait être appliquée avec la rigueur d’une discipline scientifique. On peut dire, cependant, que Panofsky a exprimé certaines « lois » de l’évolution de l’image : ainsi, dans l’art du Moyen Âge, il est parvenu à déceler si tel thème a été transmis par des textes ou par d’autres images. Il faisait, d’autre part, confiance à des découvertes techniques comme l’analyse radiologique — et il est arrivé que celle-ci confirme ses analyses théoriques antérieures.
On a opposé la lecture des images selon Panofsky à celle des psychologues, tentés de voir surtout dans une œuvre l’expression de fantasmes personnels : les deux interprétations ne paraissent pas s’exclure. Sans méconnaître le rôle des analyses historique, esthétique et technique, l’iconologie selon Panofsky étudie l’image dans toutes ses dimensions, ouvrant la voie aux recherches de la sémantique.
La « Mélancolie » de Dürer expliquée par Panofsky
Il faut d’abord replacer cette figure dans la caractérologie héritée de l’Antiquité et du Moyen Âge, qui répartissait les humains en quatre groupes de tempéraments : colérique, flegmatique, sanguin et mélancolique. Ce dernier fut comme les autres sculpté aux portails des grandes cathédrales gothiques, et représenté sur les calendriers populaires. Panofsky remarqua une confluence entre les images des tempéraments et celles des Arts libéraux, en particulier de la Géométrie, incarnée comme les autres par une femme. Dans un traité philosophique du xve s., ce personnage possède déjà les attributs de la Mélancolie de Dürer : livre, encrier, compas, emblèmes de la géométrie pure ; carré magique, cloche et sablier, qui mesurent l’espace et le temps ; d’autres instruments nécessaires à l’étude de la géométrie appliquée et de la perspective. Mais le désordre des objets, l’expression d’abattement du personnage de Dürer ? Il s’agit là d’une forme d’expression tout à fait neuve, celle d’un sentiment d’impuissance de l’artiste lorsqu’il a atteint les limites de la perfection technique et de la puissance de réflexion logique. La Mélancolie est l’inséparable compagne de cette exigence suprême qui est celle du génie.
De l’humble sagesse des nations aux spéculations les plus élevées des grands esprits de la Renaissance, un lien existe qui passe par l’image, et que l’iconologie se propose de rendre visible.
E. P.
➙ Art / Espace plastique / Esthétique / Sémiologie de l’art.
A. Warburg, Gesammelte Schriften (Leipzig et Berlin, 1932-33 ; 2 vol.). / E. Mandowsky, Untersuchungen zur Ikonologie des Cesare Ripa (Hambourg, 1934). / E. Panofsky, Studies in Iconology (New York, 1939 ; trad. fr. Essais d’iconologie, introduction de B. Teyssèdre, Gallimard, 1967).