Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Huygens (Christiaan)

Physicien, mathématicien et astronome hollandais (La Haye 1629 - id. 1695).



Sa vie

Le père de Christiaan Huygens, dignitaire de la cour des princes d’Orange, s’adonne à la poésie et aux mathématiques, correspond avec Mersenne et est l’ami de Descartes. Christiaan grandit dans une atmosphère scientifique. À seize ans, il va étudier le droit à l’université de Leyde, puis il s’initie aux mathématiques à celle de Breda, nouvellement créée. Son premier travail, mémoire de géométrie publié à La Haye en 1651, attire sur lui l’attention de Descartes. Il s’oriente ensuite vers la physique et étudie notamment l’optique.

En 1655, il va pour la première fois en France et est reçu docteur en droit à la faculté d’Angers. Revenu en Hollande, il fabrique, avec l’aide de son frère Constantijn (1596-1687), des lentilles de lunettes, et commence ses premières observations astronomiques. C’est en 1657 que se situe l’invention qui popularise son nom, celle des horloges à balancier. En 1663, il est reçu membre de la Société royale de Londres.

En 1666, il se fixe à Paris, où le retient le titre de membre de l’Académie des sciences, accompagné d’une forte pension accordée par Louis XIV, sur la demande de Colbert. Il y mène une vie fort mondaine, et c’est pendant ce long séjour, qui dure jusqu’en 1680, malgré une guerre qui survient entre la France et la Hollande, qu’il accomplit ses principaux travaux.

Les persécutions dont ses coreligionnaires protestants commencent à être victimes en France sont alors la raison principale de son retour aux Pays-Bas ; il y termine sa vie dans la maladie et la solitude, tout en maintenant son activité scientifique. Sur ses vieux jours, en 1689, il fait encore un voyage en Angleterre ; il y noue des relations avec Newton*, qui aurait voulu le voir accepter un poste à l’université de Cambridge.


Son œuvre

L’œuvre mathématique de Huygens serait déjà suffisante pour lui assurer la plus grande notoriété. Dès 1656, il compose, sous le titre De ratiociniis in ludo aleae, le premier traité complet que l’on possède sur le calcul des probabilités. Il est l’auteur de la théorie des développées et développantes, qu’il met au point pour réaliser un pendule isochrone ; il y donne la détermination des centres de courbure et en déduit les propriétés de la cycloïde. Il obtient la rectification de la cissoïde ; il établit la théorie de la logarithmique et résout le problème de la chaînette. Comme mathématicien, Huygens appartient à la belle phalange des élèves de Frans Van Schooten (1615-1660) et subit les influences des grands classiques grecs ainsi que celle de François Viète, mais surtout celle, plus directe et plus moderne, de René Descartes*, dont son maître fut le disciple et le traducteur. L’ouvrage mathématique le plus important de Huygens est l’Horologium oscillatorium, publié à Paris en 1673, dans lequel il fonde la théorie des développées des courbes. C’est vers la même époque qu’il initie Gottfried Wilhelm Leibniz* aux mathématiques d’avant-garde.

En astronomie, il invente l’oculaire négatif des lunettes, bien supérieur à l’oculaire positif de Kepler ; il utilise un micromètre pour mesurer le diamètre des astres. Ces améliorations lui permettent de découvrir l’anneau de Saturne ainsi que son premier satellite (1655), la rotation de Mars, les taches sombres de Jupiter, la nébuleuse d’Orion (1656). Il est le premier à indiquer que les étoiles sont d’autres soleils, extrêmement éloignés, accompagnés sans doute de planètes, peut-être habitées.

Mais c’est en physique, particulièrement en mécanique et en optique, qu’il fait ses découvertes les plus remarquables. Il utilise le pendule comme régulateur du mouvement des horloges, propose pour les montres l’emploi d’un ressort spiral ; il imagine l’échappement à ancre, dans lequel, en 1657, il utilise la contre-réaction pour l’entretien du mouvement. On lui doit la théorie du pendule composé, première extension de la dynamique aux systèmes matériels, qui se trouve exposée dans son Horologium oscillatorium ; il découvre l’existence du pendule simple synchrone et la réciprocité, dans le pendule réversible, entre les axes de suspension et d’oscillation. On lui doit également le concept de force centrifuge, l’énoncé du théorème des forces vives, la définition du moment d’inertie, la découverte du phénomène de résonance. Il donne enfin une solution correcte du problème des chocs et percussions, observant la conservation de la quantité de mouvement.

C’est encore pendant son séjour en France, en 1678, qu’il compose son célèbre Traité de la lumière, qui ne sera publié que plus tard, à Leyde, en 1690, suivi du Discours sur la cause de la pesanteur. Dans cet ouvrage, il adopte, contre Newton, l’hypothèse ondulatoire de la lumière et en fait une véritable théorie physique ; il y retrouve les lois de la réflexion et de la réfraction, grâce à la construction des surfaces d’onde ; il interprète le phénomène de double réfraction, que vient de découvrir, sur le spath d’Islande, le Danois Bartholin. Dans ses Commentarii de formandis poliendisque vitris ad telescopia, publiés seulement en 1703, après sa mort, il décrit l’art de tailler les lentilles et imagine des procédés nouveaux. Passionné enfin de musique, il étudie l’échelle tempérée de 31 degrés dans son Novus Cyclus harmonicus.

Continuateur de Galilée, précurseur de Newton, Huygens a une place de choix entre ces deux fondateurs de la physique moderne.

R. T. et J. I.

Huysmans (Georges Charles, dit Joris-Karl)

Écrivain français (Paris 1848 - id. 1907).


Huysmans, parlant en 1889 « des êtres d’exception qui retournent sur les pas des siècles et se jettent, par dégoût des promiscuités qu’il leur faut subir, dans les gouffres des âges révolus, dans les tumultueux espaces des cauchemars et des rêves », retrouve son héros de À rebours (1884), Des Esseintes, que l’horreur du « vieux monde » poussait déjà vers « un univers inconnu, vers une béatitude lointaine ». Il y a là en effet tout le destin de celui que Gustave Vanwelkenhuyzen place aux côtés de Léon Bloy — son futur contempteur — parmi les Insurgés des lettres (1953). Étrange destin qui, de l’anticonformiste fils d’un peintre miniaturiste d’origine hollandaise mort tôt, fait sur le plan matériel un consciencieux fonctionnaire. Il faut l’avoir entendu vitupérer la « hideuse foule en quête d’argent », les « journaux infâmes », les « forbans patentés des commerces et des banques » (Certains, 1889), « ce gouvernement de voyous » (l’Oblat, 1903), la « dégaine sournoise des bigots » (les Foules de Lourdes, 1906) pour apprécier l’ironie de sa situation : sous-chef de bureau à la Sûreté générale. Pourtant, si la route peut sembler longue de la réalité à l’idéal, elle paraissait lui être tracée dès le début, dès les Soirées de Médan (1880), où devaient le conduire le Drageoir aux épices (1874), Marthe, histoire d’une fille (1877), ou les Sœurs Vatard (1879). Certes, cette première partie de son œuvre se révèle dans la tradition littéraire du temps. Huysmans, auteur « réaliste », reconnaît le « naturalisme ». Mais le regard qu’il exerce sur le monde, par son acuité même, révèle un écrivain orienté vers la spiritualité. On le sent animé d’un idéal littéraire bien au-dessus de la morne description des pourritures terrestres. Son génie s’accommode mal des règles d’une école à qui il reprochera, quelques années plus tard, plus que « l’immondice de ses idées [...] d’avoir incarné le matérialisme en littérature ». Comme Des Esseintes, en compagnie des œuvres latines de la décadence, des musiciens allemands, des grands précurseurs du symbolisme, de Baudelaire à Mallarmé en passant par Corbière — pour échapper à « la vulgaire réalité » — se crée son propre univers où il cultive la sensation rare ou violente, J.-K. Huysmans, par « haine du siècle », s’élève contre l’académisme bourgeois. Il se tourne soit vers l’art primitif — celui des Flamands, des préraphaélites, puis des cathédrales —, soit vers celui des contestataires, des « impressionnistes ». Son goût du fantastique, révélé par son admiration pour l’œuvre d’Odilon Redon*, l’entraîne dans les voies du mystère, de l’occultisme et — moins paradoxalement qu’il y pourrait d’abord paraître — du mysticisme (Là-bas, 1891). À l’esthétisme « décadent » de Des Esseintes, impressionnant si fort George Moore, Oscar Wilde* et la génération des « nineties » anglaises, va succéder la dure et pathétique tentative de Durtal, qui conduit comme malgré lui vers Dieu (En route, 1895). Plusieurs séjours à la trappe d’Igny, accompagnés de bien des tourments de l’esprit, aident Huysmans à se « certifier que la science de la perfection de l’âme n’était pas un leurre », et, d’une visite à Chartres, il rapporte la Cathédrale (1898). L’œuvre, touffue mais importante au plan de l’art et de la morale, et d’un grand succès, témoigne de l’orientation nouvelle de sa vie et de son inspiration. Huysmans se prépare à entrer dans les ordres. Sans rien sacrifier des qualités qui sont la marque de son œuvre, richesse des notations et sensations, vie du vocabulaire, force nerveuse du style, humour et pittoresque, vérité et virulence, tendresse et piété aussi — par où il atteint à ce « naturalisme spirituel » dont il rêvait dans Là-bas —, il pénètre dans les grands espaces de la foi (Sainte Lydwine de Schiedam, 1901 ; l’Oblat ; les Foules de Lourdes) et meurt dans la douleur après un « long et périlleux voyage des ténèbres à la lumière » (R. P. M. Belval), apaisé sans nul doute, lui qui écrivait : « Il n’est si lourde croix que de n’en point avoir. » Refusant le confort de l’optimisme, il était allé chercher au plus profond de lui-même la raison et le sens de l’existence. Aujourd’hui comme hier, il demeure au cœur de l’actualité parce qu’il appartient à la race de ces combattants acharnés à la reconquête des valeurs de l’esprit étouffant dans le conformisme ou le matérialisme et au sauvetage de la véritable beauté.

D. S.-F.

 A. Thérive, Joris-Karl Huysmans (Bloud et Gay, 1965). / M. M. Belval, Des ténèbres à la lumière. Étapes de la pensée mystique de J.-K. Huysmans (Maisonneuve et Larose, 1968). / M. Issacharoff, J.-K. Huysmans devant la critique en France (Klincksieck, 1970). / F. Livi, J.-K. Huysmans. « À rebours » et l’esprit décadent (Nizet, 1972).