Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Homère (suite)

Telle est l’Iliade : un poème à la gloire de l’homme, non pas l’homme figé dans la tranquillité, dans la paresse des jours heureux, mais un être inséré dans des réalités qui sont celles de la mort et de l’amour. Nés pour mourir, ces héros qui s’appellent Hector, Patrocle, Achille acceptent leur lot et trouvent dans leur destin même l’ultime perfection. Ils ont eu le temps de vivre, le temps d’aimer et de faire la guerre. Ils ont également appris le renoncement.

Analyse de « l’Iliade »

La colère d’Achille : au cours du siège de Troie, Achille, outragé par Agamemnon, abandonne les Achéens. Zeus promet à Thétis, pour venger le héros, de retirer son appui à ces derniers (chant premier). Zeus envoie un songe trompeur à Agamemnon pour le pousser au combat. Démoralisation de l’armée grecque. Catalogue des vaisseaux (II). Combat singulier entre Ménélas et Pâris, qui est sauvé par Aphrodite, et apparition d’Hélène sur les remparts troyens (III). Revue des troupes par Agamemnon et reprise des hostilités (IV). Exploits de Diomède, qui tue Pandaros, blesse Énée, puis Aphrodite et Arès (V). L’armée troyenne plie. Entrevue d’Hector et d’Andromaque (VI). Duel d’Hector et d’Ajax. Trêve entre les deux armées et ensevelissement des morts (VII). Défaite des Achéens, à qui Zeus annonce des maux plus grands encore (VIII). L’ambassade à Achille : les chefs grecs font appel au héros, qui refuse de prêter son concours (IX). Expédition nocturne de Diomède et d’Ulysse dans le camp troyen. Mort du Troyen Dolon (X). Exploits d’Agamemnon (XI). Assaut du rempart achéen défendu par Ajax (XII). Bataille pour les vaisseaux (XIII). Le sommeil de Zeus, qu’Héra endort pour sauver les Achéens, arrête une offensive victorieuse d’Hector (XIV). Hector se prépare à incendier les vaisseaux achéens. Patrocle va implorer l’assistance d’Achille (XV). Achille prête ses armes à Patrocle, qui s’avance trop loin et est tué par Hector (XVI). Combat pour le corps de Patrocle (XVII). Désespoir d’Achille. Héphaïstos forge de nouvelles armes au héros. Description du bouclier (XVIII). Achille accepte de reprendre le combat et se réconcilie avec Agamemnon. Prédiction du cheval Xanthos, qui annonce à Achille son trépas prochain (XIX). Zeus laisse aux dieux la liberté de favoriser les Achéens ou les Troyens. Exploits d’Achille (XX). Fuite des Troyens et combat d’Achille avec le fleuve Scamandre (XXI). La mort d’Hector (XXII). Jeux funèbres en l’honneur de Patrocle (XXIII). Priam vient réclamer à Achille la dépouille d’Hector et l’obtient.


« l’Odyssée » ou le roman d’Ulysse

L’Iliade attire le lecteur vers les hautes cimes de la pensée et de l’émotion, l’arrache à son confort intellectuel, bouscule ses partis pris, ne lui laisse pas de répit. La tension perpétuelle de ses héros, en quête de dépassement dans un univers de carnage où s’entrecroisent les chants de l’amour et de la mort, nous oblige à nous dépasser nous-mêmes. Et, en ce sens, la lecture de l’Iliade n’est pas facile. Avec l’Odyssée, nous allons vers d’autres frontières, d’apparence plus aisées à franchir. L’œuvre est bien plus accessible. Elle satisfait spontanément notre besoin de romanesque et d’aventures, un certain goût pour le mystère et le dépaysement. Nous nous évadons dans le temps comme dans l’espace, en suivant Ulysse pas à pas dans ses terres lointaines, quand ce n’est pas au pays des morts et à ses plages d’ombre. Par ailleurs, les réalités familières y sont si nombreuses et si bien vues que nous glissons sans effort comme sans surprise du fantastique au quotidien. L’imagination du poète se déployant avec une suprême aisance — et beaucoup d’habileté — nous entraîne sans peine vers des horizons étranges ou au contraire rassurants, dans lesquels nous trouvons un aliment à nos songes tout autant qu’à notre désir du rationnel.

Curieuse œuvre que cette Odyssée... Elle touche des zones de la réflexion à peine consciente, fait appel à des images qui, depuis toujours, hantent la sensibilité individuelle et collective. Quelle charge onirique est plus riche que cette invitation à rêver à la femme qui gouverne les bêtes féroces, Circé, à la divinité amoureuse, Calypso, qui peut élever le héros à l’immortalité, variation sur le thème du paradis retrouvé, aux méchants ogres, tels Polyphème et les Lestrygons, à la bien-aimée laissée dans son île perdue parmi les flots, Pénélope ? Voilà quelques-uns des archétypes qui s’imposent à la pensée depuis l’origine des temps et que le poète de l’Odyssée a spontanément mis en avant, puisant dans sa conscience même les thèmes qui obsèdent l’être depuis des millénaires. Calypso, Circé, Hélène, Nausicaa, Arété, Pénélope, Euryclée, la liste des femmes de l’Odyssée est longue, sans parler des déesses : ne s’agit-il que de l’amour humain ? Ou faut-il trouver une correspondance avec une idée plus fondamentale, plus profondément enracinée, celle de la mère — la mère aimée, la mère bienfaisante —, sur l’épaule de laquelle ce voyageur, Ulysse, vient s’appuyer ? Et que dire de ce manichéisme inconscient qui fait que le monde est partagé entre bons et méchants, et que finalement les enchantements sont dissipés (Circé, les Sirènes), les forces redoutables châtiées (le Cyclope), les mauvais punis (les prétendants), autant de victoires dues au courage, à l’astuce, à la force du divin Ulysse.

Ce héros exerce sa pleine séduction. Il est l’homme ingénieux aux mille ruses qui, par son adresse, sait échapper aux embûches qui se présentent sous chacun de ses pas. Par là même, il est humain, à notre mesure. Ulysse, c’est nous-même. Il attire la sympathie par sa faculté de rebondissement, qui est celle que nous aimerions avoir par sa fidélité à un idéal, qui est infiniment respectable, par son ouverture d’esprit, aussi bien celle de l’intelligence que celle du cœur. Sans doute, on ne craint pas pour lui ; on sait que, dans toutes les situations périlleuses, il se tirera d’affaire. N’est-ce pas intentionnel ? Que dire, en effet, de la part du jeu dans cette existence ulysséenne, dans laquelle un humour imperceptible n’est pas absent ? Ulysse, s’il assume seul son destin — sa protectrice Athéna ne l’aide guère —, est l’homme qui soit raconte ses aventures (ainsi chez les Phéaciens) avec une position de recul, soit les vit réellement, mais avec une lenteur qui lui permet autant d’être acteur que spectateur (ainsi chez Eumée). Jamais il n’est si totalement concerné que le lecteur n’éprouve un plaisir intellectuel à le voir évoluer. Au moment même où il est le plus près de la mort, devant des périls sans nombre, on reste sans crainte, et Homère paraît sourire. Il y a un décalage évident entre l’inextricable difficulté des situations où se trouve le héros et sa façon de la résoudre, qui est celle de la victoire de l’esprit, de l’esprit qui se joue.