Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Heine (Heinrich) (suite)

Il passe l’année 1829 à Berlin et à Potsdam, écrivant et publiant. Il est désormais un polémiste redouté : « Si je retrouve la santé, je pourrai faire beaucoup de choses, car ma voix, désormais, porte loin. Tu vas l’entendre plus d’une fois tonner... » écrit-il à un ami après ses premiers succès (9 juin 1827). Mais il n’a point de repos, ne sait où s’installer et est harcelé par la maladie : la mer du Nord est sa consolation. Ainsi, il était à Helgoland, en pleine mer, quand y parvint la nouvelle de la révolution de juillet 1830.


Départ pour Paris

Déjà, en 1826, Heine pense à un séjour ou même à un établissement à Paris, pour y vivre et surtout y écrire plus librement : « Les Français sont le peuple élu de la nouvelle religion ; c’est dans leur langue qu’ont été écrits les premiers évangiles et les dogmes ; Paris est la nouvelle Jérusalem, le Rhin est le Jourdain qui sépare le pays de la liberté du pays des Philistins. » Heine devait franchir le nouveau Jourdain le 17 mai 1831 et arriver à Paris le 20.


Heine à Paris

Il vivra vingt-cinq ans et composera la majeure partie de son œuvre en prose ainsi que ses derniers cycles de poèmes, en particulier le Romanzero. Vite, il y devient une des figures du monde littéraire et du Boulevard. Il peut affirmer dans Lutèce (deuxième partie, août 1854) : « Jamais un Allemand n’a acquis à un si haut degré que moi la sympathie des Français, aussi bien dans le monde littéraire que dans la haute société. »

Parmi les écrivains, Théophile Gautier est son ami le plus constant, avec Gérard de Nerval, qui traduit ses poèmes ; Balzac l’accueille. C’est dans la Revue des Deux Mondes que Heine publie le plus ; mais on trouve des lettres ou des articles de lui dans une foule de périodiques ; il sera longtemps correspondant à Paris de la Gazette d’Augsbourg (Augsbürger Allgemeine Zeitung).

Il prend soin cependant de se distinguer du groupe de la Jeune Allemagne, poursuivi en vertu d’une ordonnance fédérale de 1835 et qui pourtant comprend plusieurs de ses amis, comme Karl Gutzkow et Heinrich Laube. Il polémique même contre eux dans le Miroir des Souabes (Der Schwabenspiegel). Plusieurs de ses pièces d’actualité (Zeitgedichte) sont dirigées contre des poètes libéraux comme Georg Herwegh ou Franz Dingelstedt. Enfin, il se brouille gravement avec Ludwig Börne (1786-1837), le meilleur polémiste libéral, comme lui réfugié à Paris et qu’il a d’abord admiré. À l’inverse de ce républicain austère, Heine professe une manière de philosophie du plaisir. Il se bat en duel contre un ami de Börne en septembre 1841 et publie, peu après la mort de son ancien ami, un ouvrage satirique, Ludwig Börne. Heine a dit lui-même qu’il ne savait pas résister au démon qui le poussait à déchirer ses propres amis.


Saint-simonisme et communisme

Durant ses premières années parisiennes, Heine professait la philosophie politique du saint-simonisme, notamment en ce qui est de la « réhabilitation de la chair ». En arrivant à Paris, il a pu assister à la dispersion du groupe saint-simonien et il lui est arrivé là aussi de railler l’Église nouvelle, mais il n’a cessé de penser que Saint-Simon avait saisi la nature de la société moderne. Il est demeuré en rapport avec certains saint-simoniens passés à l’industrie comme Michel Chevalier.

Après l’industrialisme saint-simonien, Heine a connu aussi les débuts du mouvement marxiste. En particulier, il toucha de près au groupe qui a publié, en 1844, les Annales franco-allemandes. Mais après cette période de vif intérêt pour les révoltes ouvrières et pour le communisme naissant, Heine devait s’en détourner, de plus en plus nettement à partir de la révolution de février 1848. Un régime populaire et révolutionnaire lui apparaît alors comme mortel pour l’art et le culte de la beauté.


Nouvelles poésies

À Paris, Henri Heine est devenu poète galant et politique. Les cycles parisiens de poésies portent en guise de titre des prénoms féminins, après le Nouveau Printemps (Neuer Frühling), avant les Romances et les Poèmes actuels (Zeitgedichte), qui s’ouvrent sur un appel à la lutte : « Bats le tambour et n’aie pas peur... » On y trouve aussi une pièce fameuse, provoquée par l’insurrection des tisserands de Silésie en 1844 : « Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul de mort. »

Celle qui était devenue Mme Henri Heine aurait pu trouver qu’elle avait peu de place dans les poèmes de son mari, mais elle était née en Normandie et ne lisait pas l’allemand ; Heine s’était épris de sa beauté et l’appelait quelquefois son « chat sauvage » ; elle demeura auprès de lui après 1848 durant les longues années de sa maladie. Elle était comme le symbole de la rupture avec le monde ancien des amours désespérées. Elle alla pourtant à Hambourg, durant le voyage que le poète y fit à l’automne de 1843. Lui en rapporta un long poème en 27 chapitres, intitulé Allemagne, conte d’hiver (Deutschland, ein Wintermärchen). Il y retrouve le ton des Reisebilder, mêlant les souvenirs, la satire, de loin en loin aussi une profession de foi politique.


France-Allemagne

Dans le testament déposé par Heine le 13 novembre 1851 chez un notaire de Paris, on peut lire : « La grande affaire de ma vie était de travailler à l’entente cordiale entre l’Allemagne et la France. Je crois avoir bien mérité autant de mes compatriotes que des Français, et les titres que j’ai à leur gratitude sont sans doute le plus précieux legs que j’aie à confier à ma légataire universelle. »

Au début, Heine s’était vivement intéressé à la peinture et avait publié le Salon de 1833, où on sent qu’il a lu Diderot, mais où il donne une large place à ceux qui ont peint les journées de Juillet. En 1834, une librairie de Paris donne la version française des Reisebilder (Tableaux de voyage) ; à partir du 15 décembre, la Revue des Deux Mondes publie une longue étude, qui fera plus tard un volume : De l’Allemagne depuis Luther (Zur Geschichte der Religion und Philosophie in Deutschland). Après 1840, devenu correspondant parisien de la Gazette d’Augsbourg, il lui donnera les nombreuses chroniques, reprises ensuite dans les deux volumes de Lutèce (Lutezia, 1854). Il servait bien de médiateur entre les deux peuples.