Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hébreux (suite)

Il est facile de comprendre qu’après l’expulsion des envahisseurs détestés les Égyptiens aient regardé d’un mauvais œil les éléments étrangers restés parmi eux, souvenirs d’une époque et de maîtres abhorrés. « Un nouveau roi, qui n’avait pas connu Joseph, vint au pouvoir en Égypte » (Exode, i, 8). L’asservissement progressif auquel sont soumis les Hébreux se fait en trois étapes. C’est d’abord la forme assez modérée de la corvée, ensuite l’ordre du pharaon de supprimer tous les nouveau-nés mâles ; enfin, l’aggravation des conditions de la corvée.

Selon la tradition biblique, les Hébreux sont employés à la construction de Pithom et de Pi-Ramsès. Et, en fait, les sites fouillés ont des monuments au nom de Ramsès II, dont l’activité de bâtisseur a été considérable, et on pense généralement que c’est sous son règne, vers 1250, qu’il faut situer les événements de l’Exode. Les peintures de Rekhmaré à Thèbes, de peu antérieures à l’époque de Ramsès, donnent une idée du rude labeur de ces serfs d’État fabriquant et transportant des briques. On conçoit que les Hébreux aient aspiré à reprendre leur liberté.


Moïse le libérateur

Moïse* sera l’âme de la résistance. Persuadé qu’il a avec lui un dieu plus puissant que les dieux d’Égypte, il réussit à convaincre ses frères de race et à les amener au prix de mille difficultés dans les steppes qui s’étendent au sud de la Palestine.

La tradition postérieure a transfiguré son histoire. Sa naissance merveilleuse empruntée au fonds commun du folklore trouve un parallèle saisissant avec celle de Sargon d’Akkad*, abandonné lui aussi sur les eaux de l’Euphrate dans une corbeille de joncs enduite de bitume. Moïse, dont le nom est égyptien (l’étymologie biblique, « sauvé des eaux », est populaire), reçoit une éducation égyptienne à l’exemple de ces Asiatiques que les pharaons faisaient instruire pour leur confier ensuite des fonctions administratives.

Conduire les Hébreux hors d’Égypte n’était pas chose facile, car l’administration royale était peu disposée à se défaire d’une main-d’œuvre qu’elle avait sur place et à bon marché. Les difficiles tractations entre Moïse et le pharaon ont subsisté sous la forme du récit des « Dix Plaies d’Égypte », c’est-à-dire les fléaux dont Yahvé, le dieu des Hébreux, frappa les Égyptiens pour les forcer à accorder aux Israélites la liberté de quitter le pays. Ces calamités sont des fléaux naturels repris par la tradition postérieure et agencés dans une histoire qui utilise très évidemment le folklore égyptien et oriental. Il n’est pas sans intérêt de constater par exemple que le « fléau du sang » (les eaux rougies par un dépôt de terre soulevée par le sirocco) se trouve déjà dans une tablette sumérienne. Pour une interprétation correcte de ce passage, il faut retenir que le récit est une composition littéraire qui brode sur le thème populaire de la supériorité du dieu des Hébreux sur les dieux des Égyptiens. La transcendance de Yahvé, qui dirige le déroulement des événements afin de délivrer Israël et d’en faire son peuple, est une des idées maîtresses qui ont présidé à la formation de l’histoire biblique.


Le miracle de la mer

C’est dans cette même perspective qu’il faut comprendre l’épisode célèbre du passage de la mer Rouge : « Le doigt de Dieu est là » (Exode, viii, 15).

Arrivée à la « mer des Roseaux », la colonne des émigrants est attaquée par un détachement de chars de l’armée égyptienne. À cette époque, les lacs Amers communiquaient avec la mer Rouge par une sorte de chenal à travers une région marécageuse. C’est donc là qu’il faudrait situer la fameuse traversée. Cet événement pose bien des problèmes aux historiens, en dehors de sa localisation hypothétique. Les récits transmis par la tradition ont de toute évidence le caractère d’une épopée. Comme pour les histoires de l’Iliade, il serait hasardeux de vouloir rechercher à tout prix ce qui s’est exactement passé. « Les fugitifs se sont trouvés dans une situation désespérée et ils ont été sauvés par ce qui leur a paru être une intervention miraculeuse de leur dieu » (R. de Vaux). Dans cette bande marécageuse, de la pointe des lacs Amers à l’actuel golfe de Suez, le terrain est humide et mouvant, et les chars égyptiens qui s’y étaient engagés ont pu s’embourber, rendant toute poursuite inefficace. « Et Yahvé enraya les roues des chars », note le livre de l’Exode (xiv, 25). Peut-être. Transformé par la tradition nationale, cet engagement entre la colonne des fugitifs et un détachement de l’armée que l’Égypte entretenait à ses frontières a pris l’allure d’une épopée nationale et religieuse. Ce récit n’est pas une geste des Hébreux, mais une geste de Yahvé.


La pérégrination au désert : le Sinaï

Délivrés du danger d’être repris par les Égyptiens, les Hébreux retrouvent la vie libre de leurs ancêtres. Leur séjour jusqu’à l’entrée en Canaan durera, selon la Bible, quarante ans, chiffre symbolique désignant les années d’une génération.

Mais quel fut l’itinéraire des Hébreux ? L’itinéraire classique de l’Exode par le sud de la péninsule sinaïtique reste sujet à caution, car il est difficile sinon impossible de localiser les divers points du parcours donné par la Bible. Une chose sûre, c’est que le point de ralliement avant la conquête fut l’oasis de Cadès, à l’extrême sud de la Palestine.

De la mer des Roseaux à Cadès, trois routes sont possibles.
— Les Israélites seraient allés directement des lacs Amers à Cadès, traversant en ligne droite le nord de la péninsule sinaïtique. Ce trajet est à écarter, car il ne peut trouver d’appuis sûrs dans les textes.
— Ou bien, empruntant la route sud-est qui conduit à l’Arabie du Nord-Ouest vers le golfe d’‘Aqaba, ils auraient remonté vers Cadès et le sud de Canaan.
— Enfin, ils auraient suivi la route traditionnelle par le sud, qui les aurait amenés à faire complètement le tour de la péninsule.

En fait, le tracé de l’itinéraire suivi est lié à la localisation du Sinaï. Dans le cycle des traditions concernant le séjour au désert, le séjour au Sinaï est l’événement majeur que la Bible place aux origines de l’histoire d’Israël. C’est là que Moïse a reçu la révélation du nom de Yahvé et a conclu le pacte d’alliance entre Israël et son Dieu.