Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Harbin (suite)

Comme la plupart des centres urbains de ce « pays neuf » qu’est le Nord-Est chinois (l’ancienne Mandchourie), c’est une « ville-champignon » qui doit son développement à celui du chemin de fer. C’est à Harbin que s’effectue la jonction de la grande voie ouest-est (Mandchouli-Vladivostok), construite par les Russes en 1897, et des voies nord-sud (Harbin-Jilin-Dalian ou Harbin-Kirin-Dairen [création russe] ; Harbin-Changchun [Tch’ang-tch’ouen] - Pékin [création japonaise après 1905]), reliant la Mandchourie au reste du territoire chinois.

Comme le chemin de fer qui l’a fait naître, Harbin (ou Kharbine) est une création urbaine russe dont le noyau actuel a gardé le style architectural et qui compte encore plusieurs dizaines de milliers d’habitants d’origine russe (plus de 100 000 après 1917). Après leur victoire de 1905, les Japonais, qui l’appellent Binjiang (Pin-kiang), en font une grande base militaire, et l’essor urbain, lié à la mise en valeur active de la Mandchourie, va être prodigieux : 40 000 habitants en 1911, 380 000 en 1932, 750 000 en 1942. Le développement récent est plus considérable encore (1 200 000 hab. en 1953 et 1 800 000 en 1965), lié au développement d’un vaste complexe industriel qui compte parmi les plus modernes et les plus puissants du pays.

Une telle fortune s’explique par la place éminente que tient le Nord-Est dans l’économie du pays depuis 1949 (v. Chine) et par la situation de la ville au cœur d’une région particulièrement riche en matières premières : vastes terres agricoles fertiles des plaines du Soungari, qui constituent un immense front pionnier ; riches houillères de Hegang (Ho-kang) et de Shuangyashan (Chouang-ya-chan) à l’est ; plomb, cuivre, fer, tungstène des massifs du sud-est.

Ainsi Harbin est-elle devenue le premier centre d’industries alimentaires de la Chine (minoteries, sucreries, huileries, tabac, etc.) et un des plus grands centres d’industries métallurgiques, spécialisé dans la fabrication d’équipements électriques, de turbines, d’instruments de mesure, etc.

Toutes ces industries constituent un vaste complexe réparti entre Harbin même et quatre villes satellites : Acheng (A-tch’eng) au sud-ouest, qui traite la production agricole (filatures de lin, brasseries, sucreries), tout comme Zhaodong (Tchao-tong) au nord-ouest (huileries, produits de l’élevage) ; Hulan (Hou-lan) au nord, où dominent les industries mécaniques et textiles ; Binxian (Pin-hien) à l’est (industries alimentaires et électriques). À Harbin même sont implantées les industries de haute technicité, parmi lesquelles figurent quelques-unes des plus grandes usines chinoises construites avec l’aide soviétique, telles que l’usine de générateurs électriques (10 000 ouvriers), l’usine de roulements à billes (10 000 ouvriers), l’usine de compteurs électriques (4 000 ouvriers).

P. T.

➙ Hei-long-kiang.

Hardy (Thomas)

Écrivain et poète anglais (Upper Bockhampton 1840 - Max Gate, près de Dorchester, 1928).


Thomas Hardy appartient à une génération d’écrivains de l’ère victorienne finissante, dont le pessimisme s’oppose à la satisfaction matérialiste de l’époque. Mais l’angoisse qui apparaît chez E. Fitzgerald, J. Thomson, W. H. White ou G. Gissing, Hardy, en la détachant des contingences temporelles, l’élève à une dimension cosmique. Parce que tôt il s’est imprégné des tragiques grecs. Parce que dans l’atmosphère particulière des landes de son enfance, propices aux manifestations supraterrestres, il a découvert la puissance des forces obscures qui pèsent sur l’humanité. Parce que la science, chez lui, et surtout la nature ont pris la place d’un Dieu condamné par Darwin, Mill, Huxley ou Spencer. Ce Dorsetshire où il est né, il l’a parcouru en tous sens, enfant à qui une famille pourtant humble donne le goût des choses de l’esprit, adolescent qui écrit ses premiers vers à dix-sept ans tout en étudiant l’architecture, et puis à son retour au pays natal, où il se marie en 1874. Toute son existence, à l’exception d’une dizaine d’années passées à Londres comme architecte, il la vit au cœur du « Wessex », qu’il immortalisera dans ses romans. Après Desperate Remedies (Remèdes désespérés, 1871), où l’angoisse revêt des aspects à la W. Collins, il donne Under the Greenwood Tree (Sous la verte feuillée, 1872). La nature y prend un aspect rustique et charmant. Il y a là encore place pour le bonheur, dont l’ultime refuge se trouve chez les paysans, les Forestiers, protégés du savoir et de l’ambition. Pourtant, cette nature n’est pas celle de Wordsworth, où l’homme puise un apaisement émerveillé. Si elle a l’âpre et prenante beauté de la forêt des Woodlanders (Gens de la lande, 1887), de la plaine de Stonehenge dans Tess of the D’Urbervilles (1891), on s’aperçoit très tôt de la place obsédante qu’elle occupe, entité cruelle, maléfique et omniprésente sur la lande d’Egdon, dans The Return of the Native (le Retour au pays natal, 1878). L’hostilité environnante est tout ourlée de coïncidences et de hasards, le hasard impitoyable et aveugle qui éveille dans l’œuvre de Hardy des résonances grecques et shakespeariennes. L’homme, pris entre la nature et l’espace intersidéral (Two on a Tower [Un couple sur une tour], 1882), est broyé comme Tess d’Urberville par ce que Hardy — sans doute sous l’influence de Schopenhauer — nommera volonté immanente dans The Dynasts, large fresque poétique écrite de 1903 à 1908. Et, comme s’il n’y suffisait pas pour le malheur de la créature humaine, celle-ci est la proie de forces intérieures (The Mayor of Casterbridge [le Maire de Casterbridge], 1886). Et d’abord de l’instinct sexuel, qui cause la perte de Jude dans le plus significatif, le plus angoissant et le plus sombre de ses romans. Si elle s’efforce souvent à l’intellectualisme, telles Paula de A. Laodicean (1881) et surtout Sue de Jude the Obscure (1896), la femme n’en reste pas moins soumise à sa nature, aussi bien qu’Eustacia du Retour au pays natal et qu’Arabella dans Jude the Obscure. Le réalisme de Thomas Hardy n’est pas sans rappeler celui des naturalistes français, comme l’importance du problème du sexe, qui régit impérieusement dans son œuvre les rapports humains — en dépit des aspirations au savoir et du vernis imposé par la civilisation —, conduit à évoquer D. H. Lawrence. Mais peut-être Jude the Obscure arrive-t-il trop tôt. Les remous qui accompagnent sa parution, faisant suite aux fortunes diverses de ses autres œuvres romanesques, découragent Hardy. Fatigué, par ailleurs, des servitudes que lui impose le feuilleton, financièrement indispensable, après avoir publié en son temps un recueil de nouvelles au titre évocateur, Life’s Little Ironies (les Petites Ironies de la vie, 1894), Thomas Hardy revient à la poésie de ses débuts. Il n’écrira pas moins de neuf cents poèmes, surtout lyriques, de Wessex Poems (1898) jusqu’au volume de Winter Words (1928), publié après sa mort, qui complètent la personnalité du romancier d’un siècle finissant par celle du poète du xxe s., qu’il annonce.

D. S.-F.