Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haïti (république d’) (suite)

Lutte des esclaves contre les maîtres, lutte des races, lutte des classes, la guerre se complique de l’intervention étrangère, anglaise et espagnole. Elle est menée par d’anciens esclaves, Toussaint dit l’Ouverture ou Louverture (1743-1803), ancien régisseur, homme instruit qui a lu l’abbé Mably, Jean-Jacques Dessalines (av. 1758-1806), Henri Christophe (1767-1820). La lutte pour la libération des esclaves est poussée aux derniers degrés de la violence à cause de l’acharnement des colons à ne rien céder et du va-et-vient des métis entre les créoles et les Noirs. La division entre propriétaires fonciers (mulâtres) et travailleurs (Noirs) ne facilite pas les choses. L’indépendance est payée fort cher et rendue inévitable par le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte, alors qu’il a été aboli par la Convention. Toussaint, qui a réussi à libérer les esclaves et à ruiner les tentatives anglo-espagnoles de conquête, tombe victime de la trahison de Napoléon en 1802 et mourra en captivité en France. Ses généraux, Dessalines et Christophe, mènent alors un combat acharné contre le corps expéditionnaire, commandé par le général Leclerc, exterminant les Blancs et ravageant villes et plantations. En 1804, ce qui reste de l’expédition française abandonne la partie ; Haïti est libérée.


Du départ des Français à l’intervention américaine : un siècle troublé

L’indépendance arrachée, Haïti doit se ruiner pour se mettre en état de défense contre la menace française. Enfin, on lui promet la paix, à condition de la payer fort cher : le prix des esclaves libérés, dont il faut indemniser les propriétaires. Le premier empire haïtien, fondé par Dessalines (Jacques Ier de 1804 à 1806), dictature militaire et populiste, est insupportable aux mulâtres, et l’île se divise entre un Nord dirigé par l’empereur Henri Ier (Henri Christophe) de 1811 à 1820, et un Sud dirigé par le président Alexandre Pétion (1770-1818), de 1807 à 1818, qui aide Bolívar en 1815-16, à un moment où le Libertador est dans une passe difficile. L’île est entièrement unifiée (le Nord et le Sud haïtiens en 1820 et l’Orient espagnol [Santo Domingo] en 1822) par Jean-Pierre Boyer (1776-1850), successeur de Pétion de 1818 à 1843.

Cette dernière période (jusqu’à la séparation en 1844 de l’île en deux États distincts), faste en politique extérieure puisqu’en 1825 la France reconnaît l’indépendance haïtienne, ne voit se résoudre aucun des problèmes internes et débouche en 1842-1846 sur la révolution libérale, radicalisée en révolution rurale, impitoyablement écrasée : c’est la grande jacquerie dite « des piquets ».

• 1847-1859 : Faustin Soulouque (1782-1867), troisième et dernier souverain d’Haïti (président de la République en 1847, empereur [Faustin Ier] en 1849), le plus sanglant et le plus paradoxal des dirigeants du xixe s., instaure le vaudou d’État pour résoudre les problèmes internes, et, s’il ne réussit pas à reconquérir Saint-Domingue, définitivement perdu en 1844, il parvient à sauver la souveraineté haïtienne menacée. Ancien esclave, illettré, il est porté au pouvoir par les mulâtres, qui le méprisent et le sous-estiment, et adopte une politique anti-mulâtre. D’une certaine manière, c’est la revanche des « piquets », même si Soulouque est moins radical que ses partisans et doit écraser en 1851 la révolte populaire du « Prince Bobo », qui proclame que « la propriété de la terre doit être à ceux qui la travaillent ».

• En janvier 1859, Soulouque est renversé par Nicolas Fabre Geffrard (1806-1879), mulâtre foncé qui restaure la république. Le concordat de 1860 avec Rome, la reconnaissance américaine de 1862, le nouveau Code rural consolident le système traditionnel, tandis que le pouvoir doit faire face à l’armée espagnole et à la rébellion du Nord, traditionnellement noir et antimulâtre. Après deux années de lutte, Geffrard se retire (mars 1867) et abandonne la présidence au leader du Nord, Sylvain Salnave (v. 1827-1870). Cela ne met pas fin à la guerre civile, nouvel avatar « dessalinien » et « piquettiste », qui se termine en 1870 par l’écrasement des masses rurales.

• 1870-1910 : c’est l’âge d’or du système traditionnel, marqué par la domination des mulâtres et la prépondérance française, culturelle, technique, commerciale et financière. La France absorbe les deux tiers des exportations haïtiennes, et le marché financier de Paris est le seul créancier d’Haïti. Selon un mot de l’époque, « la France, c’est la caisse ».


L’hégémonie américaine

Cuba et Porto Rico sont tombés en 1898, Panamá en 1903 ; ce sera bientôt le tour de la république Dominicaine. « C’est aux États-Unis que doit revenir l’influence dominante dans les Caraïbes », écrit Elihu Root, parce que « nous devons contrôler la route vers le canal de Panamá ». Entre 1909 et 1911, les États-Unis réussissent leur implantation économique et financière en Haïti au détriment de la France, alliée pour l’occasion à l’Allemagne. L’établissement de cette prépondérance américaine a-t-il été la cause de l’intervention militaire et de l’ingérence politique ? On ne peut nier que les intérêts privés des Américains, mécontents de l’anarchie qui s’installe entre 1910 et 1915, aient poussé à l’intervention.

De 1911 à 1915, six présidents se succèdent, trois sont assassinés et trois renversés. On évite de toucher à un seul cheveu étranger, et l’on paie scrupuleusement la dette étrangère. Cela ne suffit point à exorciser l’intervention américaine : en 1914 et en 1915, le gouvernement américain fait six tentatives pour contrôler les douanes haïtiennes et envoie deux missions. Un conflit entre Haïti et une compagnie de chemin de fer américaine, aggravé d’un différend avec la National City Bank, entraîne le transfert manu militari de 500 000 dollars-or de Haïti à New York, à bord d’un bateau de guerre américain. Lorsque, en juillet 1915, l’émeute éclate à Port-au-Prince (assassinat du président Vilbrun Guillaume Sam), les « marines » débarquent. Ils y restent jusqu’en 1934.