Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grieg (Edvard) (suite)

Une fois reconnues les limites expressives de la musique de Grieg, il importe d’en séparer les deux aspects antinomiques, sinon l’on risque de ne pas saisir l’admiration que lui portaient Debussy et Ravel. Grieg ne s’est jamais complètement délivré d’un académisme postmendelssohnien qui lui fut inculqué dans ses années d’études en Allemagne. Ce côté cosmopolite et caduc est largement compensé par une expression authentiquement nationale, présente dans un grand nombre de lieder et, plus encore, dans les pièces pianistiques, imprégnées des mélodies et des rythmes populaires colorés par des harmonies délicates et ciselées en marge des règles d’école, comme celles des Mazurkas de Chopin ou des mélodies de certains Russes. Grieg a pu, d’ailleurs, prêter une oreille attentive à Moussorgski (Ballade des gnomes) ; il a aussi traité le chant paysan avec une liberté croissante, essayant d’imiter, voire de reproduire les effets sonores complexes de certains instruments populaires. L’Air du montagnard (op. 73, no 6, 1905?) ou les Vingt-Cinq Danses nordiques et Mélodies populaires (op. 17, 1870) éclairent le chemin des premières pièces pianistiques d’inspiration folklorique de Bartók. Le piano est resté le domaine privilégié de Grieg, qui s’y est davantage épanoui que dans le lied, même lorsqu’il puisait à des sources identiques. On fera, naturellement, exception pour la Chanson de Solveig et, dans le domaine polyphonique, pour l’Album pour chœur d’hommes (op. 30, 1877-78), qui mérite une place de choix dans le répertoire du chœur d’hommes de la seconde moitié du xixe s., entre les romantiques allemands et Janáček.

Délicat harmoniste, Grieg fut aussi un orchestrateur aux sonorités captivantes, au coloris prenant. Conscient de ses lacunes, il envisagea — mais sans donner suite à ce projet — d’aller parfaire ses connaissances auprès de Lalo. Parallèlement à Sibelius, il aura souvent fait appel à une formation réduite, limitée aux cordes, et, par là même, amorcé le retour à l’orchestre de chambre. À plus forte raison quand il faisait œuvre de stylisation (suite Au temps de Holberg, 1884-85).

F. R.

 E. Grieg, Brief an die Verleger (Leipzig, 1866 ; rééd., 1932) ; « Mein erster Erfolg » (préface au catalogue de ses œuvres, édit. Peters, Leipzig, 1910). / P. de Stoecklin, Grieg (Alcan, 1926). / Y. Rokseth, Grieg (Rieder, 1933). / K. von Fischer, Griegs Harmonik und die norländische Folklore (Berne et Leipzig, 1938). / D. Monrad-Johansen, Edvard Grieg (trad. du norvégien, New York, 1945).

Griffith (David Wark)

Metteur en scène de cinéma américain (Crestwood, près de La Grange, Kentucky, 1875 - Hollywood 1948).


Issu d’une famille sudiste ruinée par la guerre de Sécession, David Wark Griffith rêvait d’une carrière d’acteur de théâtre et souhaitait en outre devenir un auteur dramatique. De fait, il interpréta plusieurs rôles sur les planches et écrivit quelques pièces. Mais le hasard qui le conduisit un jour dans le bureau d’un des dirigeants de la Biograph allait décider de son avenir. Engagé comme scénariste, Griffith dut au forfait du réalisateur Wallace McCutcheon de tourner comme metteur en scène son premier film, The Adventures of Dollie (1908), qui rencontra un grand succès. Il devait rester cinq ans à la Biograph. C’est pendant ces années fécondes — il signa comme réalisateur ou superviseur près de 400 films d’une ou deux bobines — qu’il établit les fondements essentiels de l’expression filmique. Parmi les titres les plus connus de cette période, il faut citer The Lonely Villa (la Villa solitaire, 1909), Ramona (1910), In Old California (1910), The Lonedale Operator (la Télégraphiste de Lonedale, 1911), The Battle (la Bataille, 1911), The Massacre (1912), The Musketeers of Pig Alley (1912) avec les sœurs Gish, The New York Hat (1912) avec Mary Pickford, Judith of Bethulia (1913), superproduction en quatre bobines avec Blanche Sweet. Au rythme de deux films par semaine, aidé par d’excellents opérateurs, comme Arthur W. Marvin et surtout G. W. Bitzer, et par une troupe d’acteurs prestigieux (Mary Pickford, les sœurs Gish, Mae Marsh, Blanche Sweet, Robert Harron, Mack Sennett, Henry B. Walthall, Lionel Barrymore), Griffith découvrit parfois empiriquement, mais avec un génie que nul ne lui contestera jamais, toute la syntaxe du cinéma. En octobre 1913, il signa un contrat avec la Reliance Majestic d’Henry Aitken, où il donna successivement The Battle of the Sexes (la Bataille des sexes, 1914), Home, Sweet Home (1914), The Avenging Conscience (la Conscience vengeresse, 1914). En juillet 1914, il commença The Birth of a Nation (Naissance d’une nation, d’après The Clansman du révérend Thomas Dixon). Le film contait dix années (1861-1871) de l’histoire des États-Unis, du début de la guerre civile jusqu’à la renaissance du Sud vaincu, à travers les vicissitudes d’une famille nordiste et d’une famille sudiste. Le tournage dura neuf semaines, le montage trois mois et demi. Les 1 375 plans coûtèrent 110 000 dollars. Présenté au début de l’année 1915, le film remporta pendant sept mois consécutifs un succès prodigieux. Quelques réticences qu’on puisse émettre sur le fond du film — qui n’est pas exempt de racisme et de parti pris —, l’importance de l’œuvre est indiscutable. Cette Naissance d’une nation fut aussi la naissance de l’art du film. Cofondateur d’une nouvelle société (avec Thomas H. Ince et Mack Sennett), la Triangle, Griffith vit-il trop grand après le triomphe de sa superproduction ? Il entreprit peu de temps après une immense fresque historique, Intolerance, composée de quatre épisodes (Chute de Babylone, Vie et Passion du Christ, Massacre de la Saint-Barthélemy, la Mère et la loi), reliés entre eux par un leitmotiv qui indiquait clairement l’ambition de l’auteur, désirant exprimer une vision et une méditation de portée universelle sur la non-violence. Conçu sur le principe du montage alterné, le film de huit heures fut réduit à trois heures et demie. La première eut lieu en septembre 1916 à New York. Remarquable sur le plan artistique, le film connut un échec commercial catastrophique, qui coûta à Griffith la perte de son indépendance (il mit en fait près de huit ans à rembourser ses dettes). Après cet échec, Griffith vint en Europe pour tourner à l’instigation de Lloyd George un film de propagande antigermanique, Hearts of the World (Cœurs du monde, 1917). La Triangle ayant été dissoute, il se mit au service de la Paramount et de la First National. Puis il fonda avec Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin les Artistes associés (United Artists, 1919). Continuant avec brio une carrière exceptionnelle (A Romance of Happy Valley [le Roman de la vallée heureuse], 1919 ; Broken Blossoms [le Lys brisé], 1919 ; True Heart Suzy [le Pauvre Amour], 1919 ; Way Down East [À travers l’orage], 1920 ; Dream Street [la Rue des rêves], 1921), il connut cependant après 1921 quelques difficultés pour s’adapter au nouveau style hollywoodien (Orphans of the Storm [les Deux Orphelines], 1921 ; One Exciting Night [la Nuit mystérieuse], 1922 ; America [Pour l’indépendance], 1924 ; Isn’t Life Wonderful ?, 1924 ; Sally of the Sawdust [Sally, fille du cirque], 1925 ; The Sorrows of Satan [les Chagrins de Satan], 1926 ; The Battle of the Sexes [l’Éternel Problème], 1928), sacrifiant trop au mélodrame sans retrouver la vigueur lyrique de la précédente décennie. L’échec commercial de ses films parlants, Abraham Lincoln (1930) et surtout The Struggle (1931), l’incita à abandonner le cinéma dès 1932.