Grieg (Edvard) (suite)
Une fois reconnues les limites expressives de la musique de Grieg, il importe d’en séparer les deux aspects antinomiques, sinon l’on risque de ne pas saisir l’admiration que lui portaient Debussy et Ravel. Grieg ne s’est jamais complètement délivré d’un académisme postmendelssohnien qui lui fut inculqué dans ses années d’études en Allemagne. Ce côté cosmopolite et caduc est largement compensé par une expression authentiquement nationale, présente dans un grand nombre de lieder et, plus encore, dans les pièces pianistiques, imprégnées des mélodies et des rythmes populaires colorés par des harmonies délicates et ciselées en marge des règles d’école, comme celles des Mazurkas de Chopin ou des mélodies de certains Russes. Grieg a pu, d’ailleurs, prêter une oreille attentive à Moussorgski (Ballade des gnomes) ; il a aussi traité le chant paysan avec une liberté croissante, essayant d’imiter, voire de reproduire les effets sonores complexes de certains instruments populaires. L’Air du montagnard (op. 73, no 6, 1905?) ou les Vingt-Cinq Danses nordiques et Mélodies populaires (op. 17, 1870) éclairent le chemin des premières pièces pianistiques d’inspiration folklorique de Bartók. Le piano est resté le domaine privilégié de Grieg, qui s’y est davantage épanoui que dans le lied, même lorsqu’il puisait à des sources identiques. On fera, naturellement, exception pour la Chanson de Solveig et, dans le domaine polyphonique, pour l’Album pour chœur d’hommes (op. 30, 1877-78), qui mérite une place de choix dans le répertoire du chœur d’hommes de la seconde moitié du xixe s., entre les romantiques allemands et Janáček.
Délicat harmoniste, Grieg fut aussi un orchestrateur aux sonorités captivantes, au coloris prenant. Conscient de ses lacunes, il envisagea — mais sans donner suite à ce projet — d’aller parfaire ses connaissances auprès de Lalo. Parallèlement à Sibelius, il aura souvent fait appel à une formation réduite, limitée aux cordes, et, par là même, amorcé le retour à l’orchestre de chambre. À plus forte raison quand il faisait œuvre de stylisation (suite Au temps de Holberg, 1884-85).
F. R.
E. Grieg, Brief an die Verleger (Leipzig, 1866 ; rééd., 1932) ; « Mein erster Erfolg » (préface au catalogue de ses œuvres, édit. Peters, Leipzig, 1910). / P. de Stoecklin, Grieg (Alcan, 1926). / Y. Rokseth, Grieg (Rieder, 1933). / K. von Fischer, Griegs Harmonik und die norländische Folklore (Berne et Leipzig, 1938). / D. Monrad-Johansen, Edvard Grieg (trad. du norvégien, New York, 1945).