Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Goya (Francisco) (suite)

Deux Aragonais sont en poste à Rome à ce moment : le chevalier d’Azara (1731-1804) et le marquis de Roda (1707-1782). Est-ce par leur intermédiaire que Goya reçoit sa première commande officielle connue du chapitre du Pilar à Saragosse ? En effet, le 21 octobre 1771, il est de retour en Aragon. Le chapitre le charge de décorer un plafond à la basilique du Pilar ; Goya représente l’Adoration du nom de Dieu, composition encore soumise à l’influence de Corrado Giaquinto. On pense que c’est au cours de cette période qu’il peint la série de fresques sur la Vie de la Vierge à la chartreuse d’Aula Dei et les peintures sur toile du palais Sobradiel, près de Saragosse (auj. dispersées).

Dans sa correspondance d’Italie, Goya se déclare élève de Francisco Bayeu, qui fait une brillante carrière à la cour de Madrid. Le 25 juillet 1773, il épouse à Madrid Josefa, la sœur de Bayeu. Recommandé par ce dernier et Mengs, il obtient la commande de cartons de tapisseries pour la manufacture de Santa Barbara, dont Mengs reprend la direction entre 1774 et 1776. Mengs, peintre international, adepte du néo-classicisme, a été pendant dix ans le rival de Tiepolo ; celui-ci a décoré le palais Royal à Madrid, où il est mort en 1770. Esthétiquement, Goya se range du côté de Tiepolo. Toutefois, Mengs décèle très vite les dons exceptionnels du jeune Aragonais et le protège. C’est alors que Goya se fait la main en peignant une série de cartons où il montre d’entrée l’originalité de son tempérament. La mode, que reflètent les comédies de Ramón de la Cruz, est au « costumbrisme », c’est-à-dire que la haute société espagnole, par excès de nationalisme, s’intéresse à la vie populaire ou paysanne, qu’elle se représente d’une manière un peu artificielle et théâtrale. Goya peindra soixante-trois cartons de tapisseries entre 1775 et 1792, et, par la force de son génie, grâce à sa prodigieuse vitalité, les sujets bucoliques ou populaires prennent sous son pinceau un accent de vérité tout à fait exceptionnel dans l’art de son temps.


Premiers honneurs, ascension et première crise

La réussite de Goya est lente, probablement parce que son ambition de courtisan est en contradiction avec l’indépendance de ses aspirations artistiques. En 1780, à trente-six ans, l’artiste parvient à se faire élire académicien de mérite et présente comme morceau de réception un Christ en croix (Prado) froid et sans âme. Appelé à Saragosse pour y peindre une coupole à la basilique du Pilar, il y traite le sujet de la Vierge reine des martyrs. Cette fresque, dont certains morceaux annoncent les audaces de San Antonio de la Florida, lui vaut les remontrances de son beau-frère Bayeu et du chapitre de la basilique ; ces disputes et ces discordes révèlent le caractère violent et emporté de Goya, qui se soumet cependant, mais avec peine. Trois ans plus tard, en 1783, présenté au frère du roi, Don Luis, il travaille au palais d’Arenas de San Pedro (près de Tolède) ; pour la première fois, il pénètre dans l’intimité des grands seigneurs, et il peint le Portrait de la famille de Don Luis (coll. part.), œuvre de grande dimension dotée d’un curieux éclairage nocturne. De cette même année date le Portrait du comte de Floridablanca, le tout-puissant Premier ministre (Madrid, banque d’Urquijo), où le peintre semble encore intimidé par l’importance de son modèle. Grâce à Floridablanca, il reçoit la commande de la grande toile du Saint Bernardin de Sienne prêchant (Madrid, église San Francisco el Grande).

En 1784 naît Javier Goya, le seul fils de l’artiste qui lui survivra. La situation matérielle de Goya s’améliore et sa réputation commence à s’établir. À partir de 1785, il prend vraiment son essor et devient le protégé et le commensal des ducs d’Osuna, dont il sera le peintre préféré. Cette réussite mondaine s’assortit de la réussite officielle, puisqu’il est nommé sous-directeur de la peinture à l’Académie en 1785 et peintre du roi en 1786.

Pour les ducs d’Osuna, Goya peint d’abord le Portrait de la duchesse, vêtue d’une robe imitée de celle de Marie-Antoinette (Madrid, coll. March), merveilleuse image de la douceur de vivre. Dans cet esprit gracieux et léger, il exécute sur un thème classique les quatre fameux cartons de tapisseries des Saisons : les Vendanges, le Printemps, etc., notations de la vie madrilène sur un thème classique. De la même veine procède la série de toiles exécutées en 1787 pour le palais de l’Alameda, propriété de campagne de la duchesse d’Osuna, non loin de Madrid. Si l’Escarpolette ou la Chute de l’âne (Madrid, coll. Montellano) appartiennent au vocabulaire international du « retour aux champs », en revanche d’autres thèmes, comme la Conduite des taureaux au toril (auj. disparue), sont d’inspiration purement autochtone.

C’est au cours de cette période, 1786-1789, que s’affirme et se précise l’art de Goya comme portraitiste, là où il commence à prendre une certaine indépendance psychologique vis-à-vis de ses modèles. En 1786, Goya représente la belle-sœur de Floridablanca, la Marquise de Pontejos (Washington, National Gallery, coll. Mellon), modèle à la Vigée-Lebrun peint dans un style qui préfigure Manet, et la série des portraits des régents de la Banque d’Espagne et de certains membres de leur famille, comme le célèbre « Enfant en rouge » Don Manuel Osorio Manrique de Zúñiga (New York, Metropolitan Museum, coll. Bache). Dans le même temps, en 1788, il exécute pour la chapelle Saint-François Borgia, à la cathédrale de Valence, deux grandes peintures sur la vie de ce saint. À côté de ces œuvres, où le maître conserve encore quelque « décence académique », se place une exquise composition, la fameuse Pradera de San Isidro (Madrid, Prado), notation sublime et légère de la vie populaire madrilène, instant magique suspendu entre la réalité et le rêve, qui montre que, désormais, Goya, alors âgé de quarante-deux ans, est l’un des plus grands peintres de la fin du xviiie s.