Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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folklore (suite)

Le poète Gérard de Nerval est l’un des promoteurs de l’étude du folklore français. Le peuple est, selon lui, le vrai dépositaire de la tradition nationale. Il est donc urgent de recueillir, pendant qu’il est encore temps, les gwerz bretons, les noëls bourguignons ou picards, les rondes gasconnes. Nerval avait rassemblé lui-même des chansons populaires, qu’il avait regroupées à la fin de Sylvie : les Chansons et les légendes du Valois.

L’étude des fabricants de paniers de la Grande Brière, encore observés en 1947, peut donner une idée de ce qu’était dans le Valois, en 1842, cette union des gestes du travail artisanal et de l’art de la parole, car les occupations lentes et silencieuses des vanniers étaient sans doute propices à la récitation des contes traditionnels.

C’est dans une tout autre région de la France qu’un autre écrivain romantique puise la matière de ses contes, dont beaucoup viennent, à vrai dire, de ses lectures ou de son imagination, quoique l’origine première de son inspiration puisse être localisée dans le modeste village du Jura qu’il habitait : Charles Nodier reprenait les récits entendus à la veillée, « depuis les lamentables aventures d’une noble châtelaine des environs qui se changeait jadis en loup-garou pour dévorer les enfants des bûcherons jusqu’aux expiègleries du plus mince lutin qui eût jamais grêlé sur le persil... ». Cette influence des légendes et des traditions fantastiques était contrebalancée chez Nodier par celle des contes moralisants de Marmontel ou d’autres sources encore, provenant des recueils orientaux, comme le montre le Songe d’or.

George Sand, la romancière du Berry, partageait les mêmes expériences : « Nous avons assisté, hier à une veillée rustique à la ferme. Le chanvreur a conté des histoires jusqu’à deux heures du matin. La servante du curé l’aidait ou le reprenait. » Qu’étaient-ce donc que ces contes du chanvreur ? « C’étaient de lamentables légendes, étranges aventures de feux follets et de lièvres blancs, de sorciers transformés en loups, de sabbats aux carrefours et de chouettes prophétesses au cimetière. »

À l’époque où George Sand écrivait, l’étude du folklore régional était déjà représentée par un remarquable collecteur, Laisnel de Lassalle, dont les travaux sur le Berry avaient exercé une influence sur la romancière.

Cette mode avait atteint d’autres écrivains. Si Prosper Mérimée doit une grande partie de son inspiration à l’Espagne (Carmen, la Légende de don Juan), il emprunte aussi quelques thèmes aux traditions populaires de pays lointains, comme la Lituanie, où il place l’un de ses récits, Lokis, qui provient d’un conte du type de « Jean de l’Ours ». Une autre nouvelle, Federigo, rappelle la légende du « Bonhomme Misère ». Mais il ne faut pas oublier que Prosper Mérimée fut l’un des premiers à contribuer à l’œuvre de rassemblement du folklore national en publiant des poésies populaires de France. Sa nouvelle Colomba n’est pas entièrement une fiction. La vraie Colomba, l’héroïne à laquelle Mérimée consacre une étude, était une poétesse connue pour son talent d’improvisation dans les lamenti que l’on récitait aux funérailles.

Parmi les romanciers du xxe s., Balzac est un psychologue impitoyablement perspicace. Mais il est aussi le peintre de tableaux pittoresques. L’histoire régionale n’est pas absente de la Comédie humaine, où elle est surtout représentée par les guerres de Vendée dans les Chouans. Les coutumes de la Corse ont été décrites par l’auteur de la nouvelle intitulée la Vendetta. Il est un domaine du folklore où Balzac était un connaisseur, c’est celui de l’histoire des enseignes parisiennes, qu’il a lui-même étudiées à l’aide d’un dictionnaire où elles étaient rassemblées : il aime à décrire les intérieurs des boutiques vétustes et à découvrir ces vieux pans de mur sur lesquels on aperçoit encore l’image de « la Truie qui file » ou celle du « Singe vert ».

Par ailleurs, la France possède un grand nombre d’écrivains régionalistes : au xixe s., les plus célèbres d’entre eux avaient été, pour la Bretagne, l’auteur du Barzaz-Breiz, pour le Berry, la romancière de Nohant et, pour la Provence, le grand poète Frédéric Mistral, dont l’influence fut primordiale et a abouti à la résurrection de l’ancienne poésie des troubadours, entreprise par les écrivains provençaux et languedociens se rattachant au mouvement du félibrige. Mais, au xxe s., plusieurs régions de la France ont leurs romanciers et leurs promoteurs : la Brière avec Alphonse de Brédenbec de Châteaubriant (1877-1951), le Périgord avec Eugène Le Roy (1836-1907), l’Auvergne avec Henri Pourrat (1887-1959), la Normandie avec Jean Mallard de La Varende (1887-1959), la Provence avec Jean Giono ; il serait facile d’augmenter cette liste.

Le folklore n’a pas seulement une valeur régionale ; il est également international. Nombreux sont les cas où l’on doit avoir recours à lui quand on étudie le domaine des littératures étrangères. Dans certains pays, c’est le trésor inépuisable de la tradition qui procure aux poètes et aux prosateurs leurs sources d’inspiration les plus marquantes. Ainsi, le monde surnaturel de la féerie est tout entier présent dans l’œuvre poétique de Shakespeare, où l’on voit paraître sans cesse les êtres fantastiques du folklore en même temps qu’il est permis d’y découvrir, parmi tant d’allusions à des croyances ou à des légendes, la mise en scène de plusieurs trames romanesques qui rappellent les sujets de nos contes populaires. Dans les pays slaves, ce sont les musiciens et les auteurs d’opéra qui font les emprunts les plus considérables au folklore et aux traditions de l’ancienne poésie héroïque. D’ailleurs, le poète Pouchkine donne une idée de ces légendes nationales où s’exprime toute la senteur du terroir de la vieille Russie ; le romancier Gogol nous fait pénétrer dans l’atmosphère des veillées paysannes de l’Ukraine et dans la vie des cosaques. Les créatures surnaturelles des légendes scandinaves participent aux drames d’Ibsen comme à la musique du Norvégien Grieg, et, plus récemment, le Monde des Trolls a été représenté par la romancière suédoise Selma Lagerlöf. Il ne faut pas oublier que l’un des plus grands écrivains du Danemark est le conteur Hans Christian Andersen.