Fichte (Johann Gottlieb) (suite)
Semblablement, la condition humaine s’exprime comme éthique de la destination ; elle est le support d’une véritable mission — celle qui échoit à l’homme pour réaliser l’union de ce que l’illusion métaphysique a abstraitement séparé, mais voudrait ici concilier : la dualité de la rationalité et de la matière. Aussitôt, la conceptualisation philosophique dévoile l’hypothèque religieuse qui la grève. Cette union consiste, en fait, dans l’unité — à promouvoir — de Dieu et du monde ; cela n’est rien d’autre que le sens ultime de ce qui est donné comme réalisation, pour l’homme, de l’unité de son être. À la fois esprit et matière, l’homme introduit, avec la symbiose de ces deux termes au cœur d’une « paix intérieure », la présence divine dans l’intimité de l’Être. Car il ne s’agit pas d’une donnée existentielle, mais, au contraire, d’une tâche répondant à son idéal, qui s’énonce ainsi : achever la création, réunir ses éléments que Dieu est censé avoir laissés divisés ou hétérogènes, en assurer l’homogénéité ontologique. Cette tâche est, en vérité, un devoir anthropologique d’établir le règne du monisme. La philosophie en est le savoir.
Fichte apparaît comme le fondateur de la philosophie moderne, en ce que sa philosophie n’est pas appuyée sur une théologie, mais sur un approfondissement permanent de la notion et de l’expérience de la liberté. C’est pourquoi sa philosophie théorique débouche sur une théorie du discours philosophique autonome et sa philosophie pratique sur une conception de l’histoire comme lieu de réalisation des libertés humaines.
Hegel*, que l’on tient pour le fondateur de la philosophie moderne de l’histoire, aura une telle conscience de sa dette à l’égard de Fichte qu’il demandera à être enterré à côté de lui.
D. J. et J. N.
M. Guéroult, l’Évolution et la structure de la doctrine de la science chez Fichte (Les Belles Lettres, 1931 ; 2 vol.). / D. Julia, Fichte (P. U. F., 1964). / A. Philonenko, la Liberté humaine dans la philosophie de Fichte (Vrin, 1966). / B. Willms, Die totale Freiheit, Fichtes politische Philosophie (Cologne, 1967). / B. Bourgeois, l’Idéalisme de Fichte (P. U. F., 1968).