Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fichte (Johann Gottlieb) (suite)

Autre aspect de l’œuvre de Fichte : une morale et une philosophie du droit où il s’affirme en tant qu’apologiste de l’avènement politique de la bourgeoisie française. Dans les Contributions destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française (Beiträge zur Berichtigung der Urteile des Publikums über die französische Revolution, 1793), il voit la réalisation des « principes de la raison » dans le principe de la liberté formelle des Droits de l’homme et l’annonce de la communauté universelle où doit entrer l’humanité. La Théorie du droit naturel (Grundlage des Naturrechts, 1796) fait un trône à cette liberté contemplative et abstraite, en reprenant presque à la lettre les formules : « Chaque individu limite sa liberté par l’idée de la possibilité de la liberté d’autrui » ; « l’influence » constitue l’unique forme légitime d’action sociale pour chacun, et l’État se justifie comme représentant de la « volonté générale ».

La Théorie de la morale (System der Sittenlehre, 1798) complète celle du droit : elle s’efforce de définir une communauté subjective des individus après la communauté « objective » établie par « l’égalité devant la loi ». La médiation qui permet d’accéder à cette communauté intervient avec la notion du progrès, atteint par l’éducation, qui humanise l’individu et la société, amenant ainsi l’amélioration de la constitution des États et devant aboutir à une confédération mondiale fondée sur le respect du droit et le maintien de la paix. Il revient aux savants et à l’Église de promouvoir cette éducation.

L’État commercial fermé (Der geschlossene Handelsstaat, 1800) porte la problématique sur le terrain de l’économie. Partant d’une représentation organiciste de la société, l’ouvrage — dédié au ministre des Finances — prend position contre le libéralisme économique, état de guerre permanent entre les individus et entre les nations, et contre le mercantilisme monopoliste et colonialiste — tous deux jugés comme « outrageant la moralité ». Il s’agit de restaurer les finances du pays, puis d’instaurer un système économique conforme au droit et à la morale. Il est à noter que Fichte est le premier à exposer un système d’autarcie économique.

Les Discours à la nation allemande (Reden an die deutsche Nation) de 1807-08, prononcés après que la Prusse eut déclaré la guerre à la France, font le procès de Napoléon, accusé d’avoir trahi les idéaux de la Révolution française. Fichte y prône la constitution d’une nation allemande démocratique.

Dans le Système du droit (Rechtslehre) et le Système de la morale (1812-13) sont cernées les notions de « lois sociales et historiques » et de « conscience collective » ; histoire et société y apparaissent comme médiations entre être et liberté, lieux de la réalisation de cette dernière. La morale est présentée explicitement comme marchepied de la religion ; la moralité est définie comme abnégation, renoncement et participation à la vie divine, qui inspire les actes.

Dernière œuvre, la Doctrine de l’État (Staatslehre, 1813) affirme la légitimité des guerres de libération nationale, favorable au progrès de la démocratie, et récuse « l’appel du roi à son peuple », où le souverain demandait au pays de le défendre.

Il y a continuité dans la réflexion de Fichte, en dépit d’une apparente succession de positions contraires. Le sens général de son œuvre peut être formulé comme la poursuite d’une tentative de conciliation du dualisme et du monisme, le dépassement du clivage entre sujet et objet par l’unification des deux termes dans le savoir philosophique (unité de la pensée et de « l’action ») se révélant comme plénitude de l’expérience religieuse. Le Verbe divin, point de départ et point d’arrivée du système, est humainement traduit dans le Verbe philosophique, en ce sens que le discours philosophique présente la seule forme de l’absolu accessible à la conscience des hommes. Ainsi se trouvent réunies la philosophie du sujet et celle de l’absolu, le premier et le second volet du système. Sous-tendant l’ensemble du projet fichtéen, la résolution spéculative de l’opposition, elle aussi spéculative, entre sujet et objet s’incarne diversement au fil de l’élaboration : moi et non-moi, liberté et être, conscience et monde, idéalisme et réalisme sont les différents moments du système qui aboutit à une métaphysique de l’absolu compris comme Verbe — puissance expressive qui est acte spirituel originaire. Le discours philosophique est le lieu où s’unissent l’humain et le divin. La connaissance philosophique de l’action humaine, qui est un au-delà de la passivité propre à la perception et engendre la béatitude, est l’absolu de l’homme : c’est le savoir absolu, où l’expérience subjective de la pensée prend la forme d’un langage objectif, parce que conceptuel.

Le fil conducteur de la pensée de Fichte à l’égard de la religion réside dans l’affirmation d’une relation unitaire avec Dieu par la médiation du Verbe. Critique des erreurs de l’esprit humain, l’œuvre veut établir la possibilité d’un cheminement méditatif qui part d’une représentation vulgaire de l’Absolu, où celui-ci est objectivé (Dieu comme Nature ou Cause première extérieure à l’homme) — c’est « le Dieu du matérialisme » —, pour parvenir, par le biais d’une réflexion sur le monde et sur l’action permise par Dieu, à la conception de l’Absolu comme participation créatrice de l’homme à l’Être. Participation exprimée dans et par un discours (philosophique) qui constitue la science.

L’intention moraliste sert de moteur à cette conceptualisation. « La théorie de la science, écrit Fichte dès le premier exposé de sa doctrine, est la seule philosophie conforme au devoir. » Rénover la conscience morale, voilà l’alpha et l’oméga du projet, et la recherche de celle-ci détermine, à mesure que le système se bâtit, un enfermement spéculatif. Le primat de l’action vient à laisser place à l’acquisition de la « Béatitude » ; il se transforme progressivement en autosuffisance de la contemplation interprétative du monde.