Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Feuerbach (Ludwig) (suite)

« L’Essence du christianisme », une œuvre révolutionnaire

L’objectif de Feuerbach est de fonder un nouveau matérialisme, appuyé sur une double conception de l’idée de Dieu : Dieu est, d’une part, l’être le plus parfait de toutes les créations possibles de l’homme et, d’autre part, la marque de son aliénation la plus totale, pour autant que l’homme ne se reconnaît plus dans cet idéal qu’il a produit et auquel il s’asservit. « La conscience de Dieu est la conscience de l’homme, la connaissance de Dieu, la connaissance de soi de l’homme », écrit-il. Et plus loin : « Dieu est l’intériorité manifeste, le Soi (das Selbst) exprimé de l’homme ; la religion est le solennel dévoilement des trésors cachés de l’homme, l’aveu de ses pensées les plus intimes, la confession publique de ses secrets d’amour. »

Ramener le fait religieux à un fait humain est ainsi l’essentiel de l’apport de Feuerbach. C’est à cet apport que les Thèses sur Feuerbach de Marx rendront hommage, tout en se démarquant : « Feuerbach résout l’essence religieuse en l’essence humaine... [mais il] ne voit pas que l’« esprit religieux » est lui-même un produit social, et que l’individu abstrait qu’il analyse appartient à une forme sociale déterminée. » Le matérialisme métaphysique de Feuerbach fera place avec Marx à un matérialisme qui se veut scientifique.

D. C.

 C. Cesa, Il giovane Feuerbach (Bari, 1963). / H. Arvon, Feuerbach (P. U. F., 1964). / W. Schuffenhauer, Feuerbach und der junge Marx (Berlin, 1965). / Feuerbach, numéro spécial de la Revue internationale de philosophie (Vrin, 1972).

Feuillade (Louis)

Metteur en scène de cinéma français (Lunel, Hérault, 1873 - Nice 1925).


Après avoir amorcé timidement une carrière de journaliste et collaboré éphémèrement à diverses publications (dont la Croix), Louis Feuillade est introduit chez Gaumont en 1906 par André Heuzé. D’abord assistant d’Alice Guy — l’une des premières femmes-réalisatrices de ce début de siècle —, il lui succède au poste de directeur artistique en 1907 (après un court intérim de Victorin Jasset). Il écrit alors de nombreux scénarios essentiellement burlesques, dont la mise en scène est souvent confiée à Roméo Bossetti, puis tourne lui-même d’innombrables petites bandes d’inspiration très hétérogène (séries d’art, séries dramatiques, séries comiques, films à trucs, etc.). Il s’affirme en 1911 dans la série La vie telle qu’elle est, premier essai de naturalisme cinématographique. « Ces scènes veulent être et sont des tranches de vie. Si elles intéressent, si elles émeuvent, c’est par la vertu qui s’en dégage après les avoir inspirées. Elles s’interdisent toute fantaisie et représentent les gens et les choses tels qu’ils sont et non pas tels qu’ils devraient être. » (L. Feuillade.) Mais ce Méridional affable, entêté, exubérant jusqu’à la colère est un véritable prestidigitateur d’images. Il est bien, selon l’heureuse formule d’Alain Resnais, « le premier cinéaste à réconcilier Lumière et Méliès ». La fantaisie qu’il condamne dans La vie telle qu’elle est jaillit dans d’autres films, notamment dans les petites bandes comiques consacrées à des vedettes enfantines : les séries Bébé (1910-1912, avec le tout jeune Anatole Clément Mary, qui fera plus tard une seconde carrière sous le nom de René Dary), et Bout-de-Zan (1913-1915, avec comme interprète René Poyen). Mais la renommée de Feuillade restera attachée à la réussite de trois serials : Fantomas (1913-14), entrepris pour concurrencer le Zigomar de Victorin Jasset, les Vampires (1915) et Judex (1916). Les aventures de Fantomas, dues à la plume inventive de P. Souvestre et M. Allain, étaient apparues en librairie dès 1911. Ces « contes de fées modernes et tragiques, dont le vil enchanteur a toujours le dernier mot sur le preux chevalier », étaient bien faits pour séduire un public bon enfant, qui découvrait à la fois les plaisirs cinématographiques du mélodrame et du suspense. Mais l’opposition entre le naturalisme minutieux de certaines séquences et l’extravagance des péripéties suscita également l’enthousiasme des écrivains (notamment des surréalistes). En 1928, Aragon et Breton avouent que « c’est dans les Vampires qu’il faudra désormais chercher les grandes réalités de ce siècle », et Jean Cocteau n’hésitera pas à exalter « le lyrisme absurde et magnifique » de ces cinéromans. Feuillade évolue peu à peu de la « série » (courtes histoires séparées interprétées par le même personnage) au film à épisodes proprement dit. Le 13 novembre 1915, trois semaines avant la projection des fameux Mystères de New York (avec Pearl White), distribués par Pathé, il livre aux spectateurs du Gaumont-Palace le premier épisode des Vampires. Mais, devant l’attitude de certains censeurs moraux qui s’effarouchent en constatant l’attrait qu’exerce sur le public cet afflux de criminels invincibles et de bandits masqués, il accepte de rendre le premier rôle à l’innocence et à la vertu.

L’intérêt passe progressivement du criminel au justicier et du justicier à la victime. Les derniers films à épisodes de Feuillade semblent, en tout cas, donner raison à ceux qui prétendent que les bons sentiments n’engendrent pas toujours des chefs-d’œuvre. Vendémiaire (1918), Tih-Minh (1918), Barrabas (1919), les Deux Gamines (1920), l’Orpheline (1921), Parisette (1921), le Fils du flibustier (1922), Vindicta (1923), l’Orphelin de Paris (1923), le Stigmate (1924) accentuent le côté mélodramatique de l’intrigue aux dépens de la poésie onirique, qui faisait le charme des premiers serials.

Répondant à certains détracteurs, Feuillade déclarera en 1923 : « Ce n’est pas grâce aux chercheurs que le cinéma gagnera un jour sa place, mais grâce aux ouvriers du mélodrame dont je me flatte d’être un des plus convaincus. » Quelque quarante ans après sa mort, le cinéaste Georges Franju lui rendra justice en ces termes : « Le fait que le public ne connaisse pas le nom de Feuillade, qu’il ne se souvienne plus de René Navarre, de René Cresté, de Musidora, mais qu’il garde l’image d’une cagoule, d’une cape et d’un collant noir montre bien que ce cinéma, avant que naisse le culte désenchanteur de la vedette et celui de l’auteur, fut ce qu’il se voulait être : un art réaliste d’illusion populaire. »

J.-L. P.

 F. Lacassin, Louis Feuillade (Seghers, 1964) ; « Feuillade », dans Anthologie du cinéma (C. I. B., 1966).