Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fès (suite)

C’est à Fès que fut signé le 30 mars 1912 le traité de protectorat. À partir de 1926, la ville nouvelle s’étala à l’ouest de Fās al-Djadīd. Après la Seconde Guerre mondiale, l’afflux des populations du Moyen Atlas et surtout du Rif et le souci de résorber les bidonvilles amenèrent à créer une nouvelle Médina au nord de Fās al-Djadīd. Sous le protectorat, le transfert du commandement politique et économique vers Rabat et Casablanca, la préférence donnée à Meknès comme centre militaire et capitale de la colonisation rurale, le déclin de l’artisanat, l’effacement de la langue arabe devant le français maintinrent Fès à l’état de ville-musée. Après 1956, les pouvoirs publics se préoccupèrent de réanimer la « deuxième capitale » du pays, spécialement en favorisant le développement de l’industrie et du tourisme.

En 1965, Fès fournissait 10 p. 100 de la production industrielle du Maroc et comptait alors 21 000 artisans (le double de 1939), soit 30 p. 100 des effectifs du pays, et 4 500 ouvriers de l’industrie moderne. Dans l’artisanat, rénové après la Seconde Guerre mondiale, la première place est tenue par le textile (filature et tissage, fabrication de tapis, de brocarts...), devant les métiers du cuir et la dinanderie.

L’industrie moderne, longtemps représentée surtout par les secteurs agricole et alimentaire (minoterie, huilerie, conserverie, brasserie...), s’est développée principalement à partir de 1960, dans le cadre du premier plan quinquennal, avec l’assistance de l’État, qui créa la COFITEX, filature de coton et de fibranne, et trois usines de tissage dues à l’initiative privée. Cependant, la bourgeoisie de Fès continue de préférer orienter ses investissements vers la place de Casablanca ou de pousser ses enfants vers les hautes charges de l’État à Rabat. Deux quartiers industriels, ‘ain Qadūs et surtout al-Dokārāt, se sont développés au nord-ouest de l’agglomération, au voisinage de la voie ferrée et de la route vers Meknès.

L’équipement hôtelier a été amélioré : la capacité d’hébergement est passée en quelques années de 420 à 1 600 chambres. Le merveilleux panorama sur Fās al-Bālī et le pittoresque sans égal de ses souks et de ses ruelles, la beauté de ses mosquées, de ses medersas et de ses palais contribuent à maintenir le prestige de « Fès, ville impériale ». Mais le tourisme ne suffira pas à satisfaire les demandes d’emploi d’une agglomération de près de 300 000 âmes.

La véritable vocation de Fès n’est-elle pas plutôt de devenir la capitale des pays du Sebou, c’est-à-dire la grande métropole d’équilibre du Nord marocain, exerçant son commandement du Rharb au Moyen Atlas, du Rif au Plateau central ?

J. L. C.


Fès, ville d’art

Fès conserve deux monuments remarquables érigés à l’époque des Idrīsides (789-974), la mosquée Qarawiyyīn (857) et la mosquée des Andalous (859-860), mais ces édifices n’ont aujourd’hui presque plus rien de leur physionomie primitive. Le second a été reconstruit par les Almohades. Au premier, les Almoravides ont donné, entre 1135 et 1142, l’essentiel de son décor et son plan : cour rectangulaire, plus large que profonde, salle de prière à nombreuses nefs parallèles à la façade, coupées par une travée axiale qui porte une série de coupoles ornées de stalactites alternant avec des coupoles nervées. On doit signaler leurs portes bardées de fer, avec de beaux marteaux, qui fixent déjà un type appelé à se perpétuer, et leurs splendides chaires à prêcher (minbar). L’une (mosquée des Andalous), faite en 980 dans le style fāṭimide, est le plus ancien meuble de ce genre après celui de Kairouan ; l’autre (Qarawiyyīn), un peu plus récente, est d’inspiration espagnole.

En 1276, l’extension de la cité incite les Marīnides à créer, à l’ouest de la première, une ville nouvelle, Fās al-Djadīd, ou Fès la Neuve, enfermée dans une double enceinte. Les trois portes qui l’ouvrent ont un intérêt presque égal à celles de Rabat et de Marrakech. La Grande Mosquée de Fès la Neuve, avec sa cour rectangulaire, ses sept nefs perpendiculaires à la façade, sous plafonds et toits de tuile, ses arcs en fer à cheval, sa travée axiale et son transept qui longe le mur du fond, annonce l’ordonnance des mosquées Lāllā Zhar (1358), Charābliyyīn et Abū al-Ḥasan (1341). Par contre, la Mosquée Rouge (al Hamrā’), également du xive s., avec ses cinq nefs, son entrée axiale, sa cour carrée, dévoile une influence de l’école de Tlemcen.

Déjà les Almohades avaient importé au Maghreb, avec un immense succès, les madrasa orientales (madrasa : université). Décorés avec goût et variété, ornés en particulier d’excellentes pièces de menuiserie (linteaux, consoles et parements de cèdre), ces établissements, nombreux à Fès, sont une des plus belles parures de la cité. Malgré leur qualité, les madrasa Miṣbāḥiyya (1346), Ṣahrīdj (1321) et Aṭṭārīn (1342) — cette dernière avec ses portes de bronze, son lustre pyramidal à décor gravé et ses colonnes fluettes, une des œuvres les plus parfaites de l’époque — cèdent la première place à la monumentale madrasa Bū‘Ināniyya. Construite de 1350 à 1357, école et mosquée (avec un minaret et un remarquable minbar), la madrasa Bū‘Ināniyya, dont les deux coupoles et la cour centrale peuvent être une transposition occidentale de la madrasa à iwān de Syrie et d’Égypte, est le dernier grand chef-d’œuvre de l’art hispano-moresque.

Après une longue période de relatif abandon, Fès connaît un nouvel essor architectural sous la direction de la dynastie ‘alawīte. En 1670, un ancêtre de la dynastie entreprend la medersa Sharrāṭīn dans l’ordonnance classique, mais en donnant une place plus grande aux logements des étudiants. Cette même année, il fait édifier un pont sur le Sebou, en amont de la ville. La tradition des fondouks (funduk), à la fois hôtelleries et bazars, illustrée dès le xive s. (fondouk Chammain), se perpétue jusqu’au xviiie (fondouk al-Nadjdjarīn). Si les anciens palais ont été défigurés, il subsiste à Fès de belles maisons particulières, dont les plus anciennes datent des xiiie et xive s. Elles sont construites selon un modèle unique, avec cour centrale encadrée par des galeries sur lesquelles ouvrent les chambres, et ornées de pavements et de revêtements de mosaïques de faïence, de plâtres et de bois sculptés. Leurs jardins intérieurs (riyād) constituent un de leurs plus grands charmes. Fès est également célèbre pour ses tissus, surtout pour ses brocarts et ses broderies, dont ne subsistent malheureusement que des échantillons récents.

J.-P. R.

➙ Maroc.

 H. Terrasse, l’Art hispano-mauresque des origines au xiiie siècle (Van Oest, 1936) ; la Mosquée Al-qaraouiyin à Fès (Klincksieck, 1968). / G. Marçais, l’Architecture musulmane d’Occident (Arts et métiers graphiques, 1955).